Aujourd'hui, l'Ecriture est accomplie

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Les relations entre Jésus et ses proches ont toujours été mouvementées, depuis le jour où il a commencé son activité publique jusqu'à ce dimanche de janvier 1993. Elles ont connu des moments de bonheur et des périodes de malentendus; il y a eu des séparations et des retrouvailles. J'en ai fait l'expérience dans ma vie, peut-être vous aussi ? Il paraît qu'il en va ainsi dans toutes les histoires d'amour.

Selon l'évangéliste Luc, nos relations avec Jésus ont commencé dans l'enthousiasme, quand Jésus a prêché pour la première fois.
Un seul mot, dans une toute petite phrase, a déclenché l'admiration et la liesse. Jésus venait de lire un passage du livre d'Esaïe où il est question des promesses de Dieu. Puis il s'était assis et il dit : "Aujourd'hui, cette écriture est accomplie dans vos oreilles".*

Pour la première fois quelqu'un a osé dire : "aujourd'hui" en parlant de l'accomplissement d'une promesse divine. D'habitude on parle de "perspectives d'avenir", de "réalités futures", voire de "récompenses célestes". Jésus dit : "aujourd'hui", et dans sa bouche, le mot a la légèreté d'une brise rafraîchissante, il répand un air de joie, il donne envie d'être heureux.

Pourtant, ce matin-là aussi, chacun avait ses soucis. L'un pensait à l'argent qui lui manquait pour payer ses dettes, une autre, à la maladie de son fils qui allait en empirant. Le cousin d'un troisième était parti dans la montagne pour combattre l'occupant romain, un autre encore venait de perdre son travail. Où trouver Dieu dans toutes ces situations ? Comment croire aux promesses dont parle la bible ?

Mais, quand ils écoutent Jésus, ils prennent conscience de la présence de Dieu. Il est là, tout proche, au moment même où chacun entend les paroles que Jésus dit. Il n'est pas resté lointain, indifférent aux peines et aux souffrances. Il vient partager nos angoisses, il porte avec nous ce qui nous pèse. Autrefois il avait envoyé le prophète Esaïe "pour proclamer une année d'accueil par le Seigneur",* maintenant c'est comme s'il disait, par la bouche de Jésus. "Aujourd'hui ma promesse devient réalité."

Cette scène a eu pour cadre la synagogue de Nazareth. Luc sait qu'elle s'est répétée depuis dans bien des endroits différents et, qu'à vrai dire, elle ne dépend ni du lieu ni du temps pour se dérouler toujours à nouveau. Mais la première fois elle a eu lieu là où Jésus a été élevé et où tout le monde le connaissait. Jésus a enthousiasmé ses compatriotes, ils ont eu le coup de foudre pour lui.

Or l'enthousiasme des gens de Nazareth semble bien avoir été la cause de la première crise de leurs relations avec Jésus.
Luc écrit que tous les gens de Nazareth "exprimaient leur admiration à l'égard de Jésus... Ils disaient : N'est-ce pas le fils de Joseph ?" (Luc 4,22). Ils sont fiers d'avoir un tel compatriote. Quel merveilleux sermon ne vient-il pas de prononcer ! Partout on reconnaît l'autorité qui émane de lui. Et il est un des leurs !

Nazareth peut s'enorgueillir d'héberger le plus grand prédicateur de son temps ! Les gens sont prêts à porter en triomphe Jésus, le fils de Joseph. Ils l'aiment. Mais Jésus prend ses distances. Il n'est pourtant pas hostile aux fêtes et il veut bien boire un verre avec des compatriotes. Seulement, il veut d'abord s'assurer que l'amitié qu'ils ont pour lui respecte sa liberté. Et voilà la crise !

Je crois que Jésus a discerné dès le début les dangers que sa cause fait courir à tous ceux qui l'aiment. Il y a l'hostilité et le rejet dont il va lui-même avoir à souffrir et que ses proches devront aussi affronter. Il y a surtout les ravages que peut causer un amour possessif pour Jésus. La chrétienté a malheureusement trop souvent succombé à cette tentation, depuis qu'elle existe jusqu'à nos jours.
D'où viennent les divisions entre chrétiens ? N'est-ce pas de la conviction de chaque fraction, de mieux comprendre Jésus que les autres, d'être la seule à laquelle il appartient pleinement ? Chaque communauté aime le Christ, c'est pourquoi elle a tendance à douter de l'amour des autres.

L'amour possessif est exclusif, il devient très vite intolérant, violent même. Au cours de l'histoire, beaucoup de non-chrétiens en ont souffert. Au nom du Christ, qu'on aime tellement, on a opprimé, violenté, massacré des peuples appartenant à d'autres religions.

Jésus ne veut pas être aimé d'un amour possessif. Il n'appartient pas à ses compatriotes de Nazareth, pas plus qu'il n'appartient aux chrétiens, aux protestants ou aux catholiques. Il a de l'affection pour eux, mais pas pour eux seulement. Il annonce aux siens le salut aujourd'hui, mais cette bonne nouvelle n'est pas seulement pour eux. A Capernaüm aussi les gens disent, après le passage de Jésus : "Nous avons vu aujourd'hui des choses merveilleuses" (Luc 5,26). Quand Jésus est reçu par Zachée, ce marginal de la vraie foi, il dit : "Aujourd'hui le salut est entré dans cette maison" (Luc 19,9). Et, sur la croix, il répond à un terroriste qui meurt à côté de lui : "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis" (Luc 23,43).

A tous Jésus fait comprendre que Dieu les accueille dans sa famille. Il accorde son aide et son amitié sans restriction et sans conditions. Jésus ne dit pas seulement que Dieu accomplit ses promesses aujourd'hui, il dit aussi qu'elles sont pour toute femme et pour tout homme. Le salut n'est pas seulement actuel, il est aussi universel. L'un ne va pas sans l'autre.
Si nous aimons Jésus, il faut donc accepter qu'il s'intéresse aussi à beaucoup d'autres gens qu'à nous, même à des gens que nous considérons, souvent non sans de bonnes raisons, comme nos ennemis, et envers lesquels nous éprouvons de la méfiance ou de la peur.

Si nous voulons vraiment rester unis au Christ, il faut renoncer à le garder pour nous, dans nos institutions et nos églises. Il nous faut le suivre et aller vers tous ceux qu'il veut accueillir de la part de notre père.
Beaucoup de chrétiens ont compris cela, sur les champs de mission et dans nos pays chrétiens. Vous aussi savez cela, n'est-ce pas, vous qui êtes au service du Christ à Saint-Loup et vous qui aimez Jésus, où que vous soyez en ce moment.
Vous savez aussi qu'il n'est ni simple ni facile d'aimer le Christ de cette manière-là. Chacun de nous a le désir d'avoir Jésus pour soi, de le voir accomplir des miracles chez nous et pas seulement en faveur des autres, de faire réussir nos entreprises et de donner plus de succès à nos communautés. Ce désir n'est pas illégitime, loin delà. Mais il a toujours tendance à mener à l'amour possessif.

Nous sommes donc bien placés pour comprendre les gens de Nazareth. Ils sont persuadés que Jésus repousse leur amour, ils ne voient pas qu'il veut les garder d'un piège. Ils sont proches de beaucoup de chrétiens qui ont fait une expérience religieuse profonde et qui ont ensuite été déçus, de leur pasteur, de leur église, ou du Dieu de leur imagination. Les gens de Nazareth réagissent avec violence. Ils emmènent Jésus hors de leur cité, sur un monticule, d'où ils pensent laisser tomber Jésus.

Mais on ne se débarrasse pas si facilement de Jésus, parce que lui n'est pas près de nous laisser tomber. Il continue son chemin, jour après jour. Quand il a enfin achevé son oeuvre sur la croix, il continue encore par-delà la mort. Est-ce que nous ne l'avons pas entendu, ce matin, nous dire une fois de plus : aujourd'hui les promesses de Dieu sont accomplies pour chacun d'entre vous. Où que vous soyez, c'est toujours encore l'année d'accueil pendant laquelle Dieu nous reçoit tous dans sa famille.

Amen.

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Avec la participation de
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