Pourquoi la souffrance ?
Pourquoi cette souffrance qui, en moi ou en toi, ronge corps et esprit ?
Pourquoi le mal ?
Pourquoi ce mal, qui, à deux pas de chez moi, à deux pas de chez toi, ronge les moindres mouvements de la vie ?
Pourquoi la solitude ?
Pourquoi cette solitude qui, en moi ou en toi, ronge et paralyse tout geste qui se voudrait d'approche, de proximité, d'intimité ?
Pourquoi la guerre ?
Pourquoi cette guerre qui, à moins de 10 pas de chez moi, à moins de 10 pas de chez toi, ronge toute espérance et fait douter même du moindre rayon de soleil qui porterait un peu de la lumière du ciel... sur moi, sur toi ?
Pourquoi le silence des amis ?
Pourquoi la lettre que j'attends et qui n'arrive pas ?
Pourquoi le geste, le signe que j'attends et qui ne vient pas ?
Pourquoi ? Pourquoi ? Que de cris...
Que de cris qui montent vers toi, Seigneur, écoute-les!
Je crie vers toi au nom de tous ceux qui n'ont plus la force de crier...
Je crie vers toi au nom de tous ceux qui ne savent vers qui crier...
Et pourtant tu nous parles d'amour…
Tu nous redis sans cesse que nous sommes aimés... de toi...
Tu nous redis sans cesse que nous n'avons rien à craindre
Tu nous redis sans cesse que nous sommes dans ta main
Que nous sommes en toi… accueillis, pardonnés, aimés…
Seigneur, Tu me mets sur la route, ma route et celle de mes frères pour les écouter et les entendre.
Débarrasse-moi de tout ce qui m'empêche d'écouter. Débarrasse-moi de tout ce qui m'empêche d'entendre. Débarrasse-moi de tout ce qui m'empêche de donner. Débarrasse-moi de tout ce qui m'empêche de croire. Débarrasse-moi de tout ce qui m'empêche de pardonner. Débarrasse-moi de tout ce qui m'empêche de prier. Débarrasse-moi de tout ce qui m'empêche d'aimer…
Frères et Soeurs, c'est une prière, une prière qui m'est venue du fond de moi. Elle est, je le crois, sincère. C'est peut-être la vôtre aussi, un peu la vôtre... ou peut-être pas... Ce matin, pourtant, elle est la mienne, très simplement. C'est celle qui m'est venue à la lecture du texte de l'évangile de Jean, entendu tout à l'heure. Une prière pour dire ma faiblesse, une prière pour dire mes doutes et tout autant mon espérance.
Le Christ me parle d'amour, de cet amour dont je suis aimé de Dieu. Il me parle aussi de cet amour que je me dois de faire jaillir de moi.
De moi... alors qu'en moi, le plus souvent il y a le vide. Non pas que je ne veuille pas aimer, non pas que je me refuse à être aimé, non, ce n'est pas de cela qu'il s'agit... Je me sais aimé de Dieu. J'en suis conscient... Mais je ne le sens pas toujours, vraiment... cet amour que Dieu me donne. Ne le sentant pas toujours vraiment, je ne suis pas toujours porteur de cet amour que j'ai de la peine à dire avec des mots d'homme, avec mes mots, tout simplement. Je me sens limité, je suis limité... Limité dans ma nature, avec mes peurs, mes frustrations, mon espérance...
Et pourtant, c'est encore plus simple et plus difficile à la fois. Je voudrais bien être aimé, je voudrais bien aimer, mais l'amour engage, m'engage... et je suis si peu sûr de moi... C'est vrai, rien n'est facile...
On aime parce que...
On aime parce que, parce que c'est bien, parce que c'est beau, parce que cela nous fait plaisir, parce que nous en ressentons l'envie, alors qu'on devrait aimer pour que... pour que les autres puissent vivre dans la paix, pour qu'ils puissent vivre dans la joie, pour qu'ils puissent s'épanouir, grandir, devenir ce qu'ils sont.
Aimer, vu sous cet angle, c'est bien difficile, c'est vrai.
On ramène tout à soi, presque naturellement, alors que l'amour a son centre dans l'univers des autres, de l'autre, de mon prochain.
Même les mathématiques ne sont pas à même de résoudre pareille problématique. Et, de plus, comme le Christ nous le demande, il faudrait que cet amour porte du fruit... que cet amour porte du fruit... C'est ici aussi que nous nous trouvons confrontés à une autre réalité. Nous ne sommes pas tous vignerons, pas tous arboriculteurs, mais il reste en nous un reste de connaissances qui nous sont communes.
Pour que la vigne porte du fruit, pour que l'arbre porte du fruit, il faut tailler, il faut traiter, il faut faire une place à la lumière. C'est important, c'est essentiel, c'est vrai...
Ce que nous croyons vrai pour la vigne, ce que nous croyons vrai pour les arbres fruitiers, nous devons aussi le croire vrai pour nous.
Je ne peux pas aimer vraiment si je n'accepte pas que le Christ me taille et me traite. Je ne peux pas aimer vraiment si je n'accepte pas de me laisser interroger, questionner, remis en question par le Christ. Je ne peux pas aimer vraiment si je n'accepte pas d'être nourri, régénéré, élevé par le Christ. Ce n'est pas évident, jamais évident, et pourtant c'est implacable, incontournable. L'amour que je dois à Dieu, comme l'amour que je dois aux autres, tous les autres, quels qu'ils soient, se doit d'être dépouillé, sans jugement aucun, désintéressé, il n'attend rien en retour. Cet amour-là doit être vrai, juste, comme le dit l'apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens :
" L'amour prend patience, l'amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il n'entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout".
Amour utopique ? Oui et non, mais assurément un amour que je me dois de tenter de vivre. Un amour qui me permet de comparer le mien et qui me pousse, m'oblige à me corriger.
Aimez-vous les uns les autres… "Oui, mais on ne sait jamais vraiment qui est l'autre et ce qui se cache sous le verbe aimer.
On croit parfois qu'on aime tout le monde, comme ça, mais cela devient plus difficile de parler d'amour quand un voisin dérange avec sa musique trop forte et qui, de plus, me va sur les nerfs.
Cela devient plus difficile de parler d'amour quand, pour une raison ou pour une autre, je me mets à jalouser celui qui a plus que moi, celui qui réussit mieux que moi, et que je parle alors de chance ou d'injustice. Cela devient plus difficile de parler d'amour quand ce sont les autres qui sont au centre et que je reste en marge ; quand je croise des regards d'indifférence ou de mépris posés sur moi...
Dans les Eglises, on a trop mis l'accent sur le devoir, sur les interdits, sur le péché. On a oublié de dire, d'affirmer que Dieu est amour.
En mettant l'accent sur le devoir, les interdits, le péché, on a oublié de dire aux hommes qu'ils étaient et restent aimés de Dieu, pardonnés, et que ce qu'on attendait et ce qu'on attend d'eux est d'abord qu'ils répondent par l'amour à l'amour de Dieu.
Amour balbutié, amour timide, bribes d'amour, peut-être, mais au moins ces premiers mouvements de vie ne pourraient qu'en appeler d'autres, plus forts, plus intenses, plus osés, plus vrais.
L'Evangile est l'expression de la libération et non de la contrainte. Une libération pour aimer, dire son amour et le donner, le vivre. En aimant on construit ; par la haine on détruit. Dieu, dans une démarche d'amour extraordinaire, en envoyant le Christ vivre parmi les hommes, a voulu construire le monde, il n'a jamais voulu détruire sa création. Tout se tient, amour de Dieu pour l'homme, amour de l'homme pour Dieu, amour des hommes les uns pour les autres...
Malgré nos devoirs d'adultes, nos préoccupations, nos responsabilités et peut-être même notre suffisance, il doit rester quelque part en nous un lieu privilégié qui est le rappel d'un geste, d'une étreinte, d'une attitude, d'un mot… Ce lieu privilégié, lieu d'un amour reçu, d'un amour désintéressé, épanouissant est l'amour de la mère ; amour donné dans toute sa gratuité comme exemple et force de vie.
C'est peut-être par là qu'il faudrait commencer : l'éveil à l'amour...
Malheureusement, devenus adultes on a perdu notre regard d'enfant, perdu nos gestes d'enfant, perdu notre coeur d'enfant. Ce qui nous manque le plus, c'est certainement la spontanéité. Nous, nous calculons, nous gérons, nous prévoyons. Nos stratégies d'existence ont noyé nos moindres élans.
C'est vrai et pour le dire, je vous livre la fraîcheur d'un texte écrit par un enfant de 8 ans il y a quelques années. On y découvre autant de spontanéité que de simplicité, autant d'amour que de regards d'amour.
"Une grand-mère est une femme qui n'a pas d'enfants à elle. C'est pour ça qu'elle aime les garçons et les filles des autres. Les grand-mères n'ont rien à faire, elles n'ont qu'à être là. Quand elles nous emmènent en promenade, elles marchent lentement à côté des belles feuilles et des chenilles. Elles ne disent jamais : "avance plus vite !"
En général, elles sont grosses mais pas trop, pour pouvoir attacher nos souliers. Elles savent toujours qu'on a besoin d'un deuxième morceau de gâteau ou un plus gros. Une grand-mère ne tape jamais un enfant, elle se met en colère en riant.
Elles savent être sourdes quand il faut pour ne pas nous gêner quand nous sommes maladroits. Les grand-mères portent des lunettes et parfois elles peuvent même enlever leurs dents. Elles peuvent répondre à toutes les questions, par exemple : "Pourquoi les chiens ils détestent les chats ?" ou bien " Pourquoi le bon Dieu il n'est pas marié ?"
Quand elles nous lisent une histoire, elles ne sautent jamais un bout et elles n'ont rien contre si on réclame toujours la même histoire. Les grand-mères sont les seuls adultes qui ont toujours le temps. Elles savent faire le geste qui fait du bon quand on a mal. Les grand-mères ne sont pas aussi fragiles qu'elles le disent, même si elles meurent plus souvent que nous !" Tout le monde devrait essayer d'avoir une grand-mère, surtout ceux qui n'ont pas la télé !"
Spontanéité, amour, regards d'amour… ça ne s'invente pas, cela se vit intérieurement.
On ne découvre l'amour de Dieu qu'avec un coeur d'enfant. On est capable d'aimer qu'avec un coeur d'enfant. On est capable de recevoir l'amour qu'avec un coeur d'enfant.
Un coeur qui donne et reçoit, un coeur qui donne parce que, d'abord, il a reçu… sans compter, sans mesurer... Il a reçu sans contrainte, sans jugement. Il a reçu très simplement l'amour comme cadeau.
C'est pour cela qu'il peut donner sans compter. S'il faut être adulte et fort pour faire face aux difficultés de la vie, il faut retrouver l'enfant qui est en nous pour recevoir et mettre en terre l'essentiel de la vie... aimer.
Amen.