Réconciliation des Eglises

Nous voici ensemble aujourd'hui, protestants et catholiques pour vivre dans l'unité ce temps de prière et d'écoute de la parole de Dieu.
Depuis bon nombre d'années maintenant, nos églises cheminent sur la voie de la communion et de la réconciliation. Nous ne pouvons que nous réjouir des étapes accomplies et des progrès réalisés en ce domaine. Un grand travail d'écoute mutuelle et de recherche théologique a été effectué jusqu'à présent. Ce moment que nous vivons est un des fruits de tout ce travail, un pas sur ce chemin. Des obstacles à la pleine communion persistent, mais les unes et les autres continuent l'effort.
La question, à l'heure actuelle, si elle n'est plus celle de la recherche de la communion et de la réconciliation, pourrait être celle de la place que nous lui accordons sur le plan communautaire et individuel. Où en sommes-nous dans nos communautés locales, dans nos paroisses, où en sommes-nous individuellement dans l'établissement de passerelles, de ponts, entre les différentes communautés, entre les individus, en vue d'une meilleure connaissance mutuelle, d'une meilleure compréhension, d'une écoute et d'un partage renouvelés. Est-ce que la réconciliation, et notamment la réconciliation des Eglises, est un souci passager ou une préoccupation vitale ? Où en sommes-nous ici, à Ajaccio, à Bastia, chez vous qui nous écoutez ce matin ?

Pourtant, au coeur même de l'Evangile s'inscrit ce message de réconciliation comme un message radicalement nouveau qui bouscule les habitudes et les a priori jusque-là bien établis :
— Dieu choisit librement de se faire proche. Dans un geste d'amour, comme une main tendue, il choisit la réconciliation. C'est l'événement de la croix où il se donne et par lequel nous pouvons comprendre que, désormais, il est tout proche de chacun, comme l'ami est proche de son ami.
— Maintenant, au travers du ministère du Christ, de sa mort et sa résurrection, il nous est proposé d'emprunter ce chemin de réconciliation. Chaque jour, toutes choses sont nouvelles, un nouveau possible se présente vers la pleine communion retrouvée.
Tous, nous sommes invités à nous lancer sur ce chemin de réconciliation. Tous, sans distinction, que ce soit chez Jean «Le monde», quand il dit : «Dieu a tant aimé le monde», ou chez Paul, le «pour tous», ainsi qu'il est écrit : «Il est mort pour tous». Nous partageons désormais la même invitation à la réconciliation, car nous partageons le même amour de Dieu, le même Christ mort et ressuscité.

Bien sûr, nos existences communautaires et individuelles se vivent dans la différence. Certains préfèrent ceci et d'autres cela. Les protestants aiment plus ceci et les catholiques plus cela. Certaines de nos différences avec le temps et l'habitude deviennent des marques identitaires, alors nous ne disons plus nous aimons, mais, nous sommes ceci ou cela.
Communion et Réconciliation ne signifient pas Uniformité dans laquelle nous ne pourrions plus reconnaître aucun particularisme, aucune habitude ou tradition. notre passé, nos mémoires, notre vécu religieux, tous sont différents. Se réconcilier, c'est mettre en partage tout ce qui fait cette différence, c'est confronter les mémoires et les habitudes pour qu'elles se conjuguent les unes et les autres, qu'elles trouvent leur nouvelle harmonie dans le respect et la tolérance de l'apport de chacune.
Nous partageons le même Christ, mettons en commun nos mémoires. Il en va de notre cohérence théologique, mais aussi, tout simplement, de notre crédibilité, de l'image que l'Eglises chrétienne donne d'elle-même. A l'heure où nous attendent les autres religions pour entrer en dialogue, pour confronter encore plus avant notre expérience de Dieu, il est temps que les chrétiens trouvent leur unité.
Nos marques identitaires, nos bonnes habitudes, deviennent crispations dans la peur ou la haine de la différence de l'autre, de celui qui ne fait pas comme nous, de celui que l'on ne connaît pas. Mais, dans la lumière de l'amour de Dieu, la peur devient confiance, la crispation devient liberté, les liens qui nous tiennent enserrés peuvent être enlevés, nous pouvons entrer à notre tour dans cet amour parfait qui bannit la crainte. Chaque individu, chaque communauté se retrouvent devant Dieu dans ce qu'il ou elle est, et se savent reconnus et acceptés dans sa différence et son originalité. C'est ainsi que la Réconciliation n'est plus un rêve lointain mais devient possible.
Vivez réconciliés !

Dieu a aimé le monde, Dieu aime le monde. Ce monde de la fin du XXe siècle. Et pourtant, Jésus a dit aux disciples : «Vous n'êtes pas du monde». Il est vrai que dans le Nouveau Testament, le mot «monde» a aussi parfois un sens péjoratif. C'est le sens d'une mentalité fermée à Dieu.
Nos séparations viennent en partie de ce que nous sommes trop de ce monde-là, c'est-à-dire de ce que nos intérêts sont trop humains, non seulement nos intérêts individuels, mais nos intérêts collectifs. Nos églises sont aussi pour une large part, l'histoire l'atteste, des groupes sociaux tentés un jour ou l'autre par le nombre, par le prestige, par la puissance.
Notre conversion personnelle et communautaire sera ce retournement qui nous fera rechercher le Christ au lieu de nous chercher, de nous rechercher nous-mêmes.
Quand donc notre point de vue sera-t-il celui de Dieu ? Dieu n'a pas envoyé son Fils pour juger le monde mais pour qu'il soit sauvé. Pourquoi juger là où Dieu n'a d'autre ambition que de sauver ? Juger ses frères, Jésus nous l'a dit : «La poutre est dans ton oeil et tu regardes la paille qui est dans l'oeil de ton frère». Juger le monde, pourquoi donc ? Car si nous avons parfois à le contredire dans sa fermeture à Dieu, dans son matérialisme, ce sera pour qu'il s'ouvre à Dieu qui sauve.
Il y a entre nous des différences, il y a des différences parfaitement légitimes. Elles cesseront d'être séparatrices lorsque notre regard sera davantage celui de Dieu, lorsque nous nous mettrons ensemble à regarder le Monde, ce Monde, avec le regard d'amour de Dieu. Alors la réconciliation des Eglises sera le signe et l'instrument de la réconciliation des hommes entre eux.