Vivre tous ensemble sans rejeter quiconque !

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Dans quelle mesure une ville peut-elle accueillir des exilés ? Au lendemain de l'expérience de l'exil à Babylone qu'a vécue la population de Jérusalem, un prophète nous offre le point de vue qu'il a reçu de Dieu. Une vision de la nuit aux sept visons (520), une fresque à l'envergure universelle ! C'est un visionnaire, et non pas un voyeur fasciné par les images et les feuilletons télévisés comme nous le sommes souvent. Il «se tient devant le Seigneur de toute la terre» (4, 13b) et voit ce que Dieu projette pour le monde.

Les Perses ont vaincu l'ancien maître du monde, Babylone. L'histoire s'est figée entre leurs mains. Pour l'heure, ils dominent le monde. Rien à vues humaines ne présage des changements. Le salut ne semble pas pouvoir venir du déroulement de l'histoire. C'est une intervention de Dieu qui brisera le cours apparemment tranquille des évènements. Les puissants vont être soumis et Dieu instaurera lui-même du nouveau.
Mais que voit Zacharie ? Un arpenteur, muni d'un cordeau à mesurer, qui effectue les travaux préliminaires à la reconstruction de Jérusalem. Il établit les plans pour refaire ses murs tombés sous les coups des Babyloniens soixante ans plus tôt. Ce travail s'impose pour assurer la sécurité de ses habitants.
Mais, par l'intermédiaire de deux anges, cet arpenteur reçoit l'ordre d'interrompre ses mesures. Dieu entend assurer autrement la sécurité des siens ! Jérusalem doit rester un territoire non clôturé, sans protection, une ville non défendue, non fortifiée. Dieu promet qu'il lui servira lui-même de rempart.

La question posée par cette vision est donc très concrète : est-il possible de vivre dans une ville non protégée et donc dans l'insécurité ? Zacharie presse son peuple de compter sur la seule présence du Seigneur. Selon lui, les croyants peuvent vivre sans défense devant le monde [Et ce n'est pas naturel du tout ! La Bible elle-même l'avoue : la reconstruction des murailles de Jérusalem, refusée par Zacharie, sera réalisée un siècle plus tard par Néhémie !]

Mais rêvons encore un peu avec Zacharie ! Jérusalem ville ouverte, protégée par cette extraordinaire muraille de feu (une sorte de ceinture formée par le feu de la sainteté divine). Le prophète est peut-être inspiré par ce que l'on rapportait de Cyrus : il avait voulu sa capitale Pasargadès sans murs pour symboliser sa puissance sur le monde entier ! Comment alors ne pas penser à une ville qui rende visible la gloire de Dieu ? Zacharie rappelle la sortie d'Egypte : Et moi je serai là. Dieu sera fidèle à son nom. «Je serai qui je serai» (cf. Exode : colonne de feu). C'est la ville elle-même qui devient temple, demeure de Dieu.
Zacharie invite les habitants de Jérusalem à une conversion : qu'ils considèrent désormais ce qu'ils perçoivent comme une cause d'insécurité comme le gage d'une promesse; en accueillant les exilés, la ville est appelée à grandir, sa population sera plus nombreuse que jadis et des bestiaux en abondance feront sa richesse. L'accueil des rapatriés qui ont perdu tous leurs biens est à voir comme une cause d'enrichissement !
Témoignage de Lisette GAY :

Ce ne sont pas les murailles visibles qui sont les plus hermétiques. On pourrait dire aussi que chaque mur dressé entre les humains plonge ses fondations à l'intérieur de nous-mêmes.
Pour ma part, plusieurs années à l'étranger et le contact avec différentes cultures, avaient déjà quelque peu effrité mes murailles intérieures. La tolérance et l'ouverture ne sont-elles pas plus faciles lorsqu'on est ailleurs, chez les autres ?
Il y a bien des années, j'ai comme entendu cette sorte d'appel pressant à rester «ville ouverte», cœur ouvert. Quand je suis rentrée au pays - permettez-moi de reprendre le langage de notre texte biblique - un ange a passé dans ma vie : «sois solidaire des exilés, accueille les réfugiés, ne rentre pas dans ton cocon !» Alors, j'ai bien vu en moi, non loin du mur en ruines, les pierres éparses des pourquoi, des préjugés, de la peur… Cette muraille serait si facile à reconstruire ! Comment rester "ville ouverte", comment oser être vulnérable, comment supporter la fragilité ?

Avec quelques collègues, je travaille actuellement sur une frontière. Une frontière bien concrète puisqu'elle représente pour certaines personnes, un obstacle infranchissable. Cette muraille, c'est la zone de transit de l'aéroport, c'est surtout une procédure administrative qui décidera de l'entrée en Suisse ou du refoulement de la personne qui a demandé l'asile. Personne ne peut imaginer que la ville des Droits de l'Homme, la vie d'Henri Dunant où siègent tant d'organisations prestigieuses soit une «ville fermée» où l'on commence d'abord par soupçonner… Le choc est dur, la déception immense pour ces personnes et l'attente du verdict souvent insupportable. Notre ministère de solidarité consiste à être signe du Royaume qui vient. Les frontières sont là, nous n'y changeons rien, pas plus qu'à la procédure, mais nous sommes présents au nom du Christ pour encourager, soutenir, défendre, consoler, servir des femmes, des hommes, des enfants qui nous ressemblent, qui ont envie de vivre normalement, qui cherchent la paix, qui voudraient croire à demain.
Ces personnes ne sont pas des dossiers, leurs souffrances et leur espérance deviennent les nôtres. Et combien de fois, n'avons-nous pas vu la promesse de Dieu s'accomplir : il était là parmi nous, et sa présence a calmé nos peurs, les leurs et les nôtres.


Paroles de Marie-José Bavarel :

«Genève, c'est un rêve». Voici ce que me disait une jeune femme qui venait d'arriver du Proche-Orient, accompagnée de ses deux fillettes. Après la disparition de son mari, puis deux ans d'interrogatoires et de menaces par la police de son pays, elle s'est enfuie. Au bout d'un voyage plein de dangers, elle est parvenue à Genève, pour elle, la ville des droits de l'homme, la Jérusalem sans remparts.
«Notre but, la Suisse, pays des droits de l'homme», c'est ce que nous a dit un jeune couple rwandais. «Nous avons fui au Zaïre pour échapper aux massacres du Rwanda. Nous avons survécu à l'horreur des camps. Nous avons fui de nouveau. Nous espérons ici une simple vie. Est-ce qu'on peut nous renvoyer de Genève ?» Est-ce qu'on peut les renvoyer de Jérusalem, ville ouverte, sans remparts ?
Lorsque les requérants d'asile entrent dans le Centre d'enregistrement de la Confédération, à Genève, ils sont porteurs d'un immense espoir de vie, mais souvent le rêve se brise. Ils se retrouvent dans ce qui leur apparaît comme une prison. Le centre est gardé - pour leur sécurité, dit-on - leur liberté restreinte. Ils sont assignés à résidence pendant une semaine, parfois deux, trois ou plus.
Ce printemps, un haut mur a été érigé le long de la terrasse du Centre d'enregistrement, pour que les voisins ne voient plus les requérants d'asile et pour que les requérants d'asile ne voient plus les voisins. Certains de ces voisins ont protesté et ce mur - dit mur de la honte - a été démoli.
Cependant, d'autres murs, invisibles ceux-là, sont aussi à démolir. Ils s'appellent : peur des étrangers, indifférence à leur souffrance, ignorance de ce qui se passe dans les pays d'où ils proviennent, l'Algérie, le Rwanda, l'Irak, l'Afghanistan, la Colombie… Il est difficile de détruire ces murs. C'est une tâche ardue, qu'il appartient à chacun et chacune d'entre nous d'entreprendre.
Une tâche qui n'est pas impossible. Quand une bénévole de l'Agora entend cette parole dans la bouche d'un Sénégalais : «Vous êtes la première personne qui m'ait salué, qui m'ait souri et qui m'ait écouté», c'est le signe qu'une brèche s'est ouverte. Quand une paroisse invite des requérants d'asile pour entendre leur témoignage, c'est une autre brèche. Quand - c'est pour bientôt - l'on fête Noël avec des requérants d'asile, c'est encore une brèche.
Si, dès maintenant, nous avons le désir de vivre tous ensemble, sans rejeter quiconque, Dieu est déjà présent, parmi nous, comme il l'est dans la Jérusalem céleste dont parle l'oracle du Seigneur, dans la vision de Zacharie.


Témoignage de Sr. Colette :

Je me sens interpellée par ce passage de l'évangile : «Soyez miséricordieux.» Au CARE, j'essaie d'accueillir chaque personne, telle qu'elle est, avec sa vie, son passé, sa souffrance. Eux, comme moi, nous avons besoin d'écoute, de présence, et souvent de silence.
Pour moi, c'est cela, vivre la miséricorde.
Je retiens aussi cet autre passage : «C'est une bonne mesure, tassée qu'on versera.»
Cette bonne mesure, je la reçois à travers des gestes de solidarité au CARE :
• c'est quand un gars vient me dire qu'il accueille un copain dans son appartement ou son squat,
• c'est l'appel à l'aide pour un voisin de table en situation de détresse,
• ou celui qui m'annonce qu'un ami est malade ou hospitalisé.

Cette attention des accueillis du CARE les uns pour les autres m'évangélise et me remplit d'espérance.

Témoignage de Romano Beltrami :

Ce texte de l'évangile me renvoie à ma propre histoire de vie.
Arrivé à Genève suite à un mal de vivre, je suis accueilli au CARE. Là, je me fais rapidement des amis : je ne suis plus un inconnu. Pas de différence face à mes origines, ma culture, ma langue.


Je peux manger. Je trouve une ambiance d'amitié et de respect, de la compréhension. J'ai la chance, par la suite, d'être reçu comme bénévole. Cela ne change pas ma relation avec les personnes accueillies.
Au CARE, nous sommes tous dans le même bateau et cherchons ensemble le bon vent.

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Détails

Avec la participation de
et Jean-Marie Viénat, Abbé
Orgue
Musique
Chorale des Africains de l'Agora

En collaboration avec