L'espérance vivante

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Les Mages du premier siècle appellent les croyants de tous les temps à venir à leur tour contempler, adorer, louer Jésus. Avec eux, nous voulons donc, ce matin, nous approcher de lui, l'accueillir et lui rendre hommage, l'hommage de notre foi et de notre amour. Et c'est le passage de la première épître de Pierre - que nous avons lu tout à l'heure - qui nous aidera à le faire. Ces quelques versets comportent - vous l'avez entendu - une louange à Dieu, une proclamation de la bonne nouvelle qui suscite cette louange et une réflexion sur le sens et les conséquences de cette bonne nouvelle.
Au coeur de cette proclamation joyeuse de la bonne nouvelle, il y a le thème de l'espérance : " Dieu nous a fait renaître pour une espérance vivante ". Cette espérance trouve son fondement en " Dieu qui nous a fait renaître par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts ". Il est un fait que nous ne parlerions pas de l'enfant Jésus, que nous ne fêterions ni Noël ni l'Epiphanie, si Jésus n'était devenu adulte, s'il n'avait enseigné ses contemporains, guéri des malades et rencontré autrui comme il l'a fait, s'il n'était mort et ressuscité. C'est parce que les premiers disciples ont cru à la résurrection de Jésus que toute sa vie a pris une importance et une signification nouvelles; c'est parce qu'ils ont cru à sa résurrection que les premiers chrétiens se sont remémoré les paroles et les gestes de Jésus et les divers épisodes de sa vie; et c'est à la lumière de sa résurrection qu'ils ont regardé sa naissance et les événements qui l'ont entourée (dont l'adoration des Mages).
" Dieu nous a fait renaître pour une espérance vivante ", nous dit l'apôtre. Observons tout d'abord que cette espérance est un don. Elle ne se trouve pas en nous; elle n'est ni à inventer ni à conquérir comme les espérances que propose le monde. Elle n'est pas non plus à acheter ou à vendre. Elle se reçoit comme un héritage.

Mais il s'agit " d'un héritage qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir ". Tout ce que nous pouvons posséder sur terre est voué à la destruction, est donc passager, fugace, éphémère. En revanche, l'héritage, dont nous parle l'épître de Pierre, " nous est réservé dans les cieux ".
Cette expression peut se comprendre de deux manières :
- en un premier sens, " l'héritage qui nous est réservé dans les cieux " peut être interprété comme le salut final que Dieu nous octroiera au terme de l'histoire; il est alors une réalité que nous espérons pour le futur, dans le monde de Dieu. En ce sens, l'espérance qui nous est donnée consiste à croire que le dernier mot de l'histoire n'est pas entre les mains des humains, mais appartient à Dieu qui instaurera son monde à lui et nous y recevra dans sa joie, sa paix, sa lumière.
- mais dans un deuxième sens, cette expression indique l'origine de cet héritage : ce qui nous est donné est alors un héritage céleste ou divin, un héritage dont nous ne nous emparons pas nous-mêmes, mais qui nous est donné par Dieu qui l'avait réservé pour nous. Et nous pouvons vivre dès ici-bas quelque chose de cet héritage; il est alors une réalité divine que nous espérons pour le présent.

Ces deux interprétations ne sont pas exclusives l'une de l'autre. L'Eglise chrétienne a toujours cru en un monde nouveau, au Royaume de Dieu instauré à la fin des temps par la puissance créatrice de Dieu. Mais elle a proclamé également qu'il nous était donné d'en vivre dès ici-bas des avant-goûts et de poser, par nos paroles et nos gestes, des signes concrets de ce Royaume.
Ainsi, Dieu nous donne une perspective ultime : un monde qui trouvera tout son sens, un monde de communion sans mélange avec Dieu et avec les humains, un monde sans deuil ni souffrance, un monde où chaque personne humaine trouvera son plein épanouissement dans la lumière de Dieu.
Et en même temps, Dieu nous invite à goûter déjà de ce monde à venir, en suscitant par nos actes et nos paroles une vie qui ait un sens, une existence où chaque être humain s'épanouisse davantage dans une communion vécue avec autrui et avec Dieu.
Telle est " l'espérance vivante à laquelle Dieu nous a fait renaître par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts ". Parce qu'elle a détruit le pouvoir de la mort elle-même, cette résurrection vient nous dire qu'il n'est pas de situation désespérée dans notre vie comme dans le monde, que toute fatalité a été brisée, que la souffrance et la mort (qu'elles soient infligées ou subies) n'ont pas le dernier mot.

En faisant resurgir la vie dans la mort même de Jésus, " Dieu nous fait renaître pour une espérance vivante ". Dieu nous fait renaître de cette morosité dans laquelle nous enfoncent les événements du monde, amplifiés par les médias; avec eux, nous sommes ballottés d'une tempête à une marée noire, d'un tremblement de terre à un massacre de civils, d'une prise d'otages à une guerre, d'une fusion d'entreprises à une vague de licenciement. La dernière catastrophe nous apportant sa ration suffisante d'émotion, les réalités permanentes de la faim, de la misère et des maladies dans le monde passent presque sous silence. Et comme si cela ne nous suffisait pas, nous recevons à tout moment l'annonce d'un cataclysme écologique, cosmique ou autre, avec ou sans la caution des experts d'usage. Et nous subissons tout cela dans un climat de déprime, de catastrophisme, de fin de siècle ou de millénaire, pourquoi pas de fin du monde ?
Ce climat de morosité n'est-il pas l'expression et la conséquence de l'état de nos sociétés qui ont abandonné toute valeur collective ou communautaire, susceptible de rassembler les populations autour d'un ou de plusieurs projets sociaux ? Le bien-être individuel, valeur suprême de nos sociétés occidentales, n'est pas capable de susciter un projet mobilisateur, car il ne satisfait jamais qu'une partie plus ou moins importante de privilégiés et il ne répond pas à cette attente plus profonde du coeur, à savoir de quelque chose qui apporte une certaine plénitude, une certaine harmonie avec soi, avec autrui, avec le monde, avec Dieu.

Or, tandis que si souvent nous pataugeons dans un monde qui nous désenchante, voire nous scandalise, alors que nos coeurs peinent à trouver un équilibre ou une harmonie, une raison de vivre qui soit source d'épanouissement et de joie, Dieu vient à nous dans la personne de Jésus; par sa Parole, par son action dans nos coeurs, par sa mort et sa résurrection, il donne sens et valeur à nos existences et il nous ouvre des possibilités nouvelles de vivre en ce monde. Nous ne sommes plus voués à l'errance et à l'absurdité parfois de notre monde. Nous avons une destinée, sur cette terre et dans les cieux. Réjouissons-nous donc de cette venue de Dieu dans nos vies ! Réjouissons-nous de cette espérance vivante à laquelle Dieu nous fait renaître ! Accueillons dans nos coeurs ce constat de l'apôtre sur les effets de cette espérance : " Aussi tressaillez-vous d'allégresse... d'une joie ineffable et glorieuse ". Voilà le message extraordinaire que Dieu nous adresse une nouvelle fois aujourd'hui!
Mais l'apôtre est bien conscient que ni la joie ni l'espérance donnée ne nous situent hors de notre monde réel. C'est pourquoi il précise : " Même s'il faut que, pour un peu de temps, vous soyez affligés par diverses épreuves ".
Les communautés auxquelles s'adressait l'auteur de l'épître ne vivaient pas une situation idyllique. Elles avaient reçu l'Evangile et vécu l'enthousiasme des débuts; elles étaient entrées dans une phase de consolidation, nécessitant persévérance et espérance. Mais les difficultés sérieuses commencent à poindre : les premières persécutions menées par l'Empire romain apparaissent. Le zèle des croyants pourrait se relâcher et leur courage être mis à l'épreuve face aux difficultés croissantes. L'auteur de l'épître écrit donc à ces communautés pour exhorter les chrétiens, les fortifier dans la foi et leur redonner courage.
Des difficultés nouvelles qui apparaissent, auxquelles on n'était pas habitué et qu'il faut affronter avec courage, n'est-ce pas précisément ce que découvrent depuis quelques années nos sociétés et nos Eglises occidentales ?
Nous étions habitués au plein emploi et à bénéficier de tout ce que l'Etat pouvait nous offrir; et voici que sont apparus le chômage, les déréglementations et des contraintes professionnelles nouvelles, l'accroissement de la pauvreté, voire de la misère, alors que simultanément augmentent le nombre et la fortune des millionnaires et des milliardaires. Ce phénomène trouve son origine dans une profonde modification des valeurs qui guident l'économie et la politique.
Nos Eglises, elles aussi, ont dû s'accommoder de moyens financiers diminués. Elles ont dû se réorganiser pour continuer à assumer leur mission fondamentale. Ministres et laïcs ont dû reconsidérer, leur vision de l'Eglise, de la paroisse, du pasteur. Des efforts supplémentaires leur ont été demandés aux uns et aux autres. Les ministres ont dû apprendre à travailler autrement, à collaborer davantage, à se spécialiser peut-être, à renoncer à certaines activités qu'ils aimaient, à affronter une augmentation des charges de travail ou des demandes d'aide sociale engendrée par la détérioration de la situation économique.
Les laïcs ont dû apprendre à rencontrer des croyants d'autres paroisses, à se familiariser avec d'autres visages de ministres, à se déplacer de quelques hectomètres en ville et kilomètres à la campagne pour vivre un culte ou partager une étude biblique. Or, il apparaît que ce qui était normal chez nous il y a quelques décennies ou qui l'est dans d'autres contrées de nos jours encore devient un effort excessif, lorsque nous avons été habitués à plus de commodités ! Qu'il est difficile de renoncer ou de changer !

Dès lors, le message de la première lettre de Pierre ne conserve-t-il pas une étonnante actualité ? Car cette lettre ne nous rappelle pas seulement la grandeur inouïe du don de Dieu; elle nous invite également à réfléchir au sens que peuvent prendre pour nous les difficultés. " Vous êtes affligés, pour un peu de temps, par diverses épreuves, afin que la valeur éprouvée de votre foi - beaucoup plus précieuse que l'or périssable qui pourtant est éprouvé par le feu - provoque louange, gloire et honneur... " Au fond, l'apôtre nous dit que nos épreuves et nos difficultés peuvent servir de test de notre foi et que notre manière de réagir exprime la qualité de cette foi.
Ainsi, les difficultés sont des tests ou des épreuves de notre foi en ce sens qu'elles nous amènent à manifester si notre amour de Dieu est tel que nous sommes prêts ou non à faire davantage ou à faire autrement pour vivre et nourrir notre foi. Elles sont des tests qui nous font montrer si notre amour de Dieu est tel que nous allons solidairement vivre la communauté chrétienne célébrant son Seigneur et lui rendant témoignage dans la société ou, au contraire, nous éparpiller dans le découragement ou la résignation.
Mais les difficultés sont aussi des tests en ce sens que la dégradation de la situation sociale provoque notre foi, notre espérance et notre amour: allons-nous ou non nous rendre activement solidaires des victimes de l'évolution de la société ? Allons-nous ou non agir pour atténuer les effets du libéralisme débridé, pour en corriger les perspectives perverses, pour imaginer et proposer d'autres modes de fonctionnement social ?
Saluons ici tous ceux et celles qui, en 1999, individuellement ou en groupe, ont répondu à la Consultation oecuménique sur l'avenir économique et social de la Suisse lancée par les autorités catholiques et protestantes de notre pays. Et attendons-en avec impatience les résultats et retombées pour nous engager davantage pour un monde plus juste et plus communautaire.
L'héritage que Dieu nous a réservé ne se compte pas en dollars ou en monnaie forte; il n'est pas celui d'une élite de millionnaires vivant à côté d'une majorité de miséreux. Il est dans ce mouvement irrépressible vers la promotion à plus d'humanité de chaque personne, de chaque groupe, de chaque peuple. Et ce mouvement a un nom : c'est l'espérance vivante.
Dieu nous a fait renaître pour une espérance vivante; cette espérance est pour nous et elle est pour le monde. Unissons nos coeurs à la louange de l'épître de Pierre : " Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui, dans sa grande miséricorde, nous a fait renaître pour une espérance vivante ". Et vingt siècles après, suivons les Mages pour rendre gloire au Christ qui a suscité et suscite toujours à nouveau cette espérance.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Andréa Boniforti
Musique
Trompettiste