C'est Paul Tournier, le célèbre médecin suisse, protestant, qui après tant d'autres, posait cette question tellement essentielle : "Qu'est-ce qui aide les gens ?" Et il répondait en disant (j'aime beaucoup sa réponse) : "Certainement pas les conseils, car ou bien ils les suivent comme des petits gosses, ou bien ils ne les suivent pas. Donc, nos conseils ne servent à rien." "Ce qui aide les gens - disait-il - ce qui m'a aidé moi-même, c'est la rencontre de personnes qui parlent réellement de leurs souffrances, de leurs difficultés, de leurs obstacles, de leurs refus et de leurs fuites.".
Ainsi donc, nos rencontres - je veux parler ici de rencontres véritables - sont certainement plus importantes que tous les conseils que nous pouvons donner ou recevoir.
Or ce matin, voilà que nous avons ouvert la Bible au Livre des Conseils. Excusez-moi, c'est sans doute un lapsus, je veux dire au Livre des Proverbes. Mais vous comprenez : apparemment, nous n'avons plus qu'à les suivre ces Proverbes, ces conseils, comme des petits gosses, en espérant que ça marchera, qu'ils nous aideront dans notre vie de tous les jours.
Je sais bien qu'il y a toujours des gens qui vous diront : "Moi, j'ai essayé, et ça marche!". Mais en ce qui me concerne, je n'ai pas envie de prendre la Bible comme un livre de petites recettes bon marché qu'il me faudrait appliquer telles que - fussent-elles de sages recommandations ! Je n'ai pas envie d'être sage! On ne construit pas sa vie comme on prépare un plat pour ses invités ! Il n'est pas question de mesurer des ingrédients : une petite cuillère de pardon, une pincée d'amour, un sachet de service du prochain.
Car nous nous savons appelés à aimer, servir et pardonner sans mesure. Pour ce qui est de la foi, c'est-à-dire dès qu'il s'agit de notre vie, il faut se donner et donner sans compter.
C'est pourquoi je considère chacun de ces Proverbes bibliques, non comme des conseils (nous venons d'entendre qu’ils sont inutiles), mais comme autant d'histoires qui nous sont racontées et qui, parce qu'elles sont aussi là, dans la Bible, peuvent nous aider vraiment, à la fois à réfléchir et à agir. Et à nous engager au service des autres, à aller à la rencontre de l'autre, de tous les autres. Non pas à cause de bons principes ou de bons sentiments, ou parce que c'est marqué dans la recette, mais parce que c'est là, le véritable sens et l'accomplissement de notre vie.
Par exemple au v 8, il est écrit : "L'homme qui erre loin de son pays est comme un oiseau errant loin de son nid.". Admettons qu'il s'agisse, non pas d'un conseil, mais d'une histoire, et essayons d'en renouer les fils. Levons les yeux vers le ciel, et regardons ensemble cet oisillon parti à l'aventure. C'est vrai qu'il nous semble formidablement libre et heureux. On dirait que le monde lui appartient.
Mais voilà le Proverbe qui vient en quelque sorte "tout casser" et désenchanter, en nous disant : "Mais attention ! Est-ce qu'il n'est pas, aussi, seul, et à la merci des prédateurs ? Trouvera-t-il seulement la force nécessaire pour revenir vers son nid ? Et si, épuisé de fatigue, il tombait comme une pierre ?"
Ainsi, et c'est la conclusion de cette histoire, l'homme qui est parti loin de chez lui pourrait bien ressembler à cet oiseau courageux, mais téméraire. Eh bien je regrette ! Mais je ne suis pas d'accord ! Bien sûr que la sagesse et la prudence sont importantes. Mais je préfère sortir de mon nid, et prendre le risque non calculé de partir à la rencontre des autres, de leur histoire. On ne peut pas constamment vivre dans la peur de s'exposer, de se livrer ou même d'écouter. Et alors quoi ? On reste sagement chez soi ! Car la foi est faite de rencontres : celle du Christ, et celle des autres.
C'est encore Paul Tournier - c'était un homme remarquable, et je ne peux que vous encourager à le découvrir par ses livres - qui écrivait : "Le centre de l'Evangile, ce n'est pas une doctrine mais une personne." Dans ma vie et dans mon histoire, je peux rencontrer une personne qui s'appelle Jésus-Christ. Et son histoire peut croiser mon histoire. Et son histoire peut m'aider, nous aider à sortir de notre nid.
Et dans les histoires qu'il raconte, ce nommé Jésus, il y a justement beaucoup de petits oiseaux du ciel, "qui ne sèment ni ne moissonnent (qui parfois sont un peu imprudents), mais dont Dieu prend le plus grand soin." Et dans la vie de Jésus, il y a aussi, surtout, des rencontres.
Alors, ce matin, je vous parlerai encore de rencontres, et de petits oiseaux. Il y a quelques semaines de cela, je suis sorti de mon nid, de mes sécurités, de mes habitudes, de mon bureau où je suis si souvent rivé à un écran d'ordinateur que j'ai l'impression de devenir un pasteur virtuel, je suis sorti, pour faire des rencontres et partager des histoires. En finalement, après avoir erré comme un petit oiseau, j'ai abouti dans une librairie où j'ai acheté un livre. Vous me direz : il y a des rencontres plus réussies !
Mais dans ce livre, j'ai rencontré deux hommes absolument exceptionnels qui s'appellent : Pierre et Théodore. Vous les connaissez : le premier, c'est l'Abbé Pierre, fondateur d'Emmaüs, voix des pauvres, apôtre de la justice et de l'amour du prochain. Et l'autre, Théodore Monod, grand savant, héraut de la paix et témoin du respect de la Création.
Donc, je ne les ai pas eus là, comme ça, en face de moi. Je n'ai pas pu leur poser des questions directement. Mais dans cet ouvrage qui rapporte leur dialogue et qui s'intitule : "Théodore Monod et l'Abbé Pierre, en route vers l'Absolu" (c'est publié chez Flammarion), je crois les avoir rencontrés à la manière dont on peut rencontrer le Christ dans la Bible, c'est à dire : en vérité.
Et je voudrais souligner ceci : ce qui m'étonne chez eux, outre leur formidable enthousiasme pour la vie (certains diront : vu leur grand âge, ce n'est pas raisonnable, mais justement, quel exemple), ce qui me frappe, donc, c'est qu'ils se gardent bien de nous donner des conseils.
Ils ne donnent pas de conseils (avec eux, pas de : "Il faut" ou de : "Tu devrais"), mais comme le Christ, qu'ils n'ont jamais cessé de rencontrer dans leur vie, qui inspire leurs combats et leur indignation, et comme du reste toute la Bible (même les Proverbes !), ils nous racontent des histoires.
Celle-ci est rapportée par Théodore Monod, et il vaut vraiment la peine que nous l'entendions. Elle se passe en Afrique, au Mali, à l'époque coloniale. C'est l'histoire d'un sage, Tierno Bokar, c'était son nom, un musulman, homme très humble, tailleur-brodeur de son état. On lui avait proposé de devenir soldat, mais il avait répondu : "Non, j'aime mieux vêtir les hommes que les tuer." Alors, il est resté tailleur-brodeur toute sa vie. Mais il donnait aussi aux paysans des cours de théologie.
En 1933, pendant une leçon, un poussin d'hirondelle tombe d'un nid fixé au plafond. Tout attristé de l'indifférence générale, Tierno Bokar interrompt son exposé et dit : "Donnez-moi ce fils d'autrui !" Il examine le petit oiseau qu'il vient d'appeler si humainement "fils d'autrui", reconnaît que sa vie n'est pas menacée et s'écrie : "Louange à Dieu dont la grâce prévenante embrasse tous les êtres !" Puis, levant les yeux, il constate que le nid est fendu : d'autres petits risquent encore de tomber.
Aussitôt, ayant demandé du fil, il grimpe sur un escabeau improvisé et raccommode à l'aiguille le nid endommagé, avant d'y replacer l'oisillon.
Puis, au lieu de reprendre son cours, il dit : "Il est nécessaire que je vous parle de la charité, car je suis peiné de voir qu'aucun de vous n'a suffisamment cette vraie bonté du cœur. Si vous aviez un cœur charitable, il vous eut été impossible de continuer à écouter une leçon quand un petit être misérable à tous les points de vue nous criait au secours et sollicitait votre pitié. Celui qui apprendrait par cœur toutes les théologies de toutes les confessions, s'il n'a pas de charité dans son cœur, ses connaissances ne seront qu'un bagage sans valeur. Nul ne jouira de la rencontre divine, s'il n'a de la charité au cœur. Sans elle, les cinq prières quotidiennes (il s'agit des prières de l'Islam) sont des gestes purement matériels, sans elle le pèlerinage, au lieu d'être un voyage sacré, devient une villégiature sans profit."
Finalement, frères et sœurs, il faut peut-être que nous soyons comparés à de petits oiseaux, pour que nous prenions enfin un peu de hauteur. Pour que nous volions de nos propres ailes et que nous comprenions le sens de notre vie. Il est vrai que nous, nous sommes faibles et fragiles. Il est vrai que parfois, nous avons l'impression d'errer ! Nous nous sommes trop éloignés du nid, de nos familles, de nos amis, de l'Eglise, de Dieu lui-même, et nous ne voyons plus comment revenir. Il est vrai que dans cette Eglise Protestante Francophone à Washington, nous nous sentons quelquefois comme ces oiseaux errant loin de leurs nids. Il y a des jours où notre long voyage est vécu comme un déracinement, une souffrance, une forme d'exil intérieur. Il est vrai que nous avons tous connu, un jour ou l'autre, des rencontres en forme d'échec, et partagé des histoires qui ne menaient à aucun sens. Mais écoutez encore la Bible, et voyez : la colombe est quand même revenue vers Noé, tenant dans son bec une jeune feuille d'olivier, signe d'Alliance et de paix pour le monde. Et l'Esprit de Dieu est là, aussi, comme une colombe, pour nous inspirer.
Alors, avec le secours de Dieu, au lieu de donner des conseils, nous saurons tendre la main et aller à la rencontre. Alors, au lieu d'écouter des leçons de théologie tout en restant insensibles, nous saurons répondre aux appels de ces petits qui sont tombés et crient au secours ! Alors, même si notre nid et notre vie sont fissurés, nous laisserons le Christ les raccommoder par sa Parole, et la confiance qui naîtra ou renaîtra en nous nous donnera des ailes. Dieu nous rencontre, chacun, dans notre histoire. Par le Christ, il a partagé notre vie. Qu'il nous soit en aide ! Car ce qui nous aide vraiment, c'est la rencontre de Dieu et la rencontre des autres.
Amen !
L'Esprit de Dieu est là, comme une colombe
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