Tout à l'heure, nous avons entendu un récit de guérison tiré de l'évangile de Matthieu. Cette guérison a la particularité de s'opérer à distance. Le malade est couché à la maison, nous dit-on, pendant que son maître se trouve aux portes de la ville et là, il rencontre Jésus. Une guérison à distance, en absence du malade qui, de surcroît, n'est peut-être pas au courant de la démarche entreprise par son maître, c'est très surprenant !
Enfin une guérison miraculeuse est de toute façon toujours surprenante. Elle provoque d'un côté l'émerveillement de ceux qui y croient et la suspicion de ceux qui n'y croient pas. Face à un tel mystère, les croyants y voient le doigt de Dieu ; les incroyants face à une guérison incompréhensible et en l'absence d'explication, y voient un effet psychosomatique.
Bref, peu importe !. Nous ne sommes pas réunis pour rédiger un procès-verbal médical. Je vous propose plutôt d'examiner, en détail, ce dialogue très intéressant entre l'officier romain et Jésus. L'officier expose brièvement la situation : " Mon serviteur souffre de paralysie et j'aimerais que tu fasses quelque chose pour lui. "
Réaction de Jésus : " Quoi ? c'est toi qui me demandes cela !" Cette surprise de Jésus n'est pas étonnante. Parce que n'oublions pas que cet officier romain n'est pas à Capharnaüm pour faire du tourisme. Il fait partie des troupes d'occupation. Et comme dans toutes les guerres, il y a un fossé de haine, de peur et de mépris entre les forces d'occupation et la population locale. C'est normal.
Disons que c'est plutôt mal parti pour entreprendre une démarche de guérison spirituelle ! parce que le minimum requis pour s'engager dans une telle démarche serait que les parties impliquées trouvent au moins une complicité de foi, une ferveur commune, pour espérer obtenir éventuellement quelque chose de la part de Dieu ! C'est un premier handicap.
Mais ce n'est pas tout. 2e handicap : L'officier romain sait très bien qu'un Juif ne peut que le détester. Alors, il s'aplatit quelque peu devant Jésus : " Ne viens pas chez moi ! Je ne suis pas digne que tu entres dans ma maison. " Mais enfin ! Faudrait quand même savoir ce qu'il veut. D'une part, il demande à Jésus de guérir son serviteur et en même temps il lui demande de ne pas venir chez lui ! Essayez donc de faire cela avec votre médecin de famille. Angoissé, vous lui téléphonez à 2 heures du matin parce que vous avez un enfant malade et en même temps vous dites à votre médecin : " Écoutez, en fin de compte, il n'y a pas besoin de venir." !
Décidément cette histoire se complique. Mais c'est précisément arrivé à ce point qu'il ne faut pas rater le virage décisif du texte. Et comme vous allez tout de suite le constater, ce n'est même pas Jésus qui proposera le médicament miracle sensé agir à distance, mais c'est le Romain qui le suggère à Jésus.
Ce médicament, le voici : " Dis un seul mot et mon serviteur sera guéri !". Un mot pour guérir : j'avoue que ça me dépasse totalement. Serait-ce à dire que cet officier romain aurait réussi à pénétrer les mystères du verbe créateur de Dieu et de surcroît compris que Jésus en est l'ambassadeur ? Pas du tout, la suite du dialogue va nous le montrer.
A cet égard, la suite du dialogue est à première vue plutôt décevante. Loin de s'élever dans les hauteurs des perceptions spirituelles, l'officier fait - on ne saurait plus au ras des pâquerettes - c'est du côté des cours de casernes qu'il va chercher son inspiration ! C'est là, et pas ailleurs, qu'il a lui-même appris et expérimenté l'efficacité de la parole : qu'un seul mot peut produire un effet concret.
" Je dis à un soldat : 'Va' ! et il va, à un autre : 'Viens' ! et il vient. " Juste une petite parenthèse à ce propos : Le Jésus - " peace and love ", jeans, col roulé, façon 2e moitié du 20ème siècle - aurait certainement dit ceci à l'officier : " Tu me dégoûtes de mener ainsi des gens à la baguette et de t'en vanter. "
Mais non ! Dans notre texte, pas une remarque de Jésus sur la question de sa fonction militaire et de sa mission d'occupant. Ce silence me semble mieux mettre en évidence l'enjeu réel de tout le passage qui réside dans cette conviction :
" La parole est efficace et peut produire un effet matériel et palpable. " C'est sur le statut actuel de la parole que je vous propose de nous arrêter brièvement. Jamais la parole n'a circulé aussi rapidement et massivement que ces dernières années. Après la radio, le téléphone et la TV ce qui est déjà beaucoup, nous avons encore inventé Internet et la Natel. Il n'y a maintenant plus aucun obstacle pour entraver la circulation libre et extrêmement rapide de la parole : " Envoie-moi un SMS et mon serviteur sera guéri !"
Oui, et pourtant dans ce fleuve intarissable de la communication, la parole donne en même temps le sentiment de se diluer, de s'évaporer, d'arriver à une telle inflation que le seul moyen de se faire entendre, c'est le matraquage verbal ; le harcèlement verbal pour faire passer une idée ou vendre un produit.
Bref ! cela nous conduit loin de cette foi du Romain qui recherchait une guérison par un seul mot du Christ : le mot efficace qui peut guérir. Non pas une formule magique, mais peut-être ces mots que je ne trouve pas ou que je refuse de prononcer, dans mes propres conflits, dans mes propres blessures, mû par une peur inconsciente de les voir disparaître !
On pourrait s'arrêter ici pour méditer et réfléchir à cela. Mais je ne voudrais pas passer à côté d'un autre message de taille qui forme d'ailleurs la conclusion de tout le passage. Jésus, non seulement frappé d'admiration par la foi de cet officier païen - parce que n'oublions pas que c'est un païen - Jésus donc, va jusqu'à citer la foi de ce païen en exemple pour ses coreligionnaires : " Je n'ai jamais vu une telle foi en Israël !" Voilà un boulet rouge tiré à bout portant dans toute forme d'autosuffisance religieuse, dans la conviction facile que la vérité religieuse est toujours dans mon propre camp, qu'elle soit juive, chrétienne, catholique, protestante.
Il faut bien voir les choses en face. En prenant comme modèle de foi un païen du 1er siècle, Jésus place aujourd'hui, ici devant nous, un bonhomme appartenant à je ne sais quelle vague religion non chrétienne et nous déclare souverainement : " Je n'ai jamais vu une telle foi dans votre église protestante, catholique ou évangélique. " Alors, chers amis, je vous laisse mesurer à quel point cette conclusion christique réduit à néant toute prétention de n'importe quelle église à vouloir définir ou à s'arroger la véritable foi chrétienne.
Il est temps de nouer la gerbe. Dès qu'une église tente de définir ou de dogmatiser la foi, elle va forcément recourir à des mots qui enferment, excluent, blessent parfois. Une fois encore, je vous laisse mesurer ce verbiage vaniteux par rapport à la pureté de la quête de l'officier païen qui peut devenir la mienne : "Dis-moi un mot qui guérit ! "
Amen !