Chers frères et sœurs,
Jésus de Nazareth, le Christ de Dieu, n'est pas la preuve, mais la trace de la présence de Dieu parmi les humains et nous avons accès à cette trace par la foi, par la confiance; la confiance de Jésus et en Jésus, cette confiance qu'on appelle aussi la foi. C'est le seul et vrai trésor de l'Église, c'est le seul et vrai trésor des croyants.
"Il faut le voir pour le croire", est une expression populaire et usuelle par laquelle un événement considérable dans sa réalisation vient combler notre manque d'imagination ou notre incapacité à anticiper et prévoir. Il faut le voir pour le croire ! Nous n'aurions jamais pensé, imaginé et prévu une attaque terroriste de grande envergure sur une grande ville. Nous l'avons abondamment vu et donc nous l'avons cru et avons cru que désormais cela devenait possible, c'est-à-dire crédible. Ce qui était impossible à notre esprit est devenu pensable, car nos yeux en ont été témoins. En fait, nous n'osons pas souvent croire de grandes choses positives ou négatives, nous sommes le plus souvent dans la voie moyenne, médiane, nous voulons bien espérer encore, mais surtout nous voulons voir des signes tangibles, concrets, visibles.
D'accord, les paroles c'est bien, les promesses à la rigueur, mais surtout des actes bien visibles; nous jugerons sur pièce ! Nous jugerons sur les actes ! Sur ce qui est visible; pourtant nous savons bien que nos sens nous trompent et que nous voyons ce que l'on veut bien nous montrer et ce que nous voulons bien voir. Souvent, l'évidence ou la réalité du visible est un leurre. Le spectacle divertit et ne garantit rien du tout.
Nous le savons bien la foi est aux prises avec ce qui se voit. Ce qui se croit doit se voir. Ceux et celles qui croient sont appelés à rendre visible, tangible ce qu'ils croient. Que la communauté ecclésiale soit visible dans la société et non enfouie et cachée est une exigence élémentaire qu'elle soit reconnue dans la société civile nous fait plaisir et nous engage et nous oblige. En même temps nous savons et croyons aussi avec l'épître aux Hébreux, que la foi est la ferme espérance des choses que l'on espère et une certitude concernant les choses que l'on ne voit pas. Et donc que tout ne passe pas par l'image. Et de plus, nous savons et croyons à la suite de la lecture et de la méditation des Évangiles que ce sont les aveugles voient et que ceux qui croyaient sont en réalité aveugles et ne comprennent rien. Cruel et génial paradoxe !
Heureux qui sans avoir vu, ont cru ! A la fin de son évangile, Jean a la bonté de penser enfin à nous, les croyants de seconde main (ceux qui n'ont rien vu), vous et moi qui avons cru ou qui nous mettons en marche sur le chemin de la foi, sans assurance concrète et visible. Enfin je suis injuste, Jean pense à nous depuis le début, mais il nous le dit ici à la fin comme dans une relation maladroite. Lui qui a montré l'aventure de Jésus aux prises avec l'histoire visible et invisible, avec ce qui se voit et ce qui se croit et s'interprète : le chemin, la vérité, la vie, la porte, les sarments, la Samaritaine, la lumière et les ténèbres, les noces et Lazare, l'aveugle et Nicodème, la Parole venue et rejetée; lui qui refuse de parler de miracles trop spectaculaires mais de signes, c'est lui qui vient aujourd'hui nous faire signe enfin pour nous dire : continuez, continuez à faire confiance à ces récits. Ils parlent d'une bonne nouvelle et ils parlent de vous, d'un ailleurs et d'un maintenant, de là-bas et d'ici, continuez à vivre sous l'empire des signes qui font vivre et donnent un sens à votre vie, ne vous découragez pas, vous avez là, l'essentiel de ce qu'il faut pour croire, de ce qu'il est possible de vivre; n'allez pas chercher ailleurs. Vous avez une mission celle de devenir témoins de l'action étonnante et souvent cachée de Dieu lui-même. Ce qui s'est passé avec les premiers témoins, c'est aussi pour vous, un encouragement, une stimulation et un défi pour votre vie.
Oui, votre foi visible ou cachée, forte ou en train de naître, est fondée sur une rencontre alors que les portes de votre vie, de vos conceptions et de vos orientations étaient verrouillées, même les potes de Jérusalem - et même celles de Ramallah sont verrouillées. A une semaine d'intervalle, on nous raconte un rassemblement bizarre : celui des disciples apeurés et malhabiles, craintifs, sous le choc d'une bonne nouvelle en demi-teinte. Il n'est plus et voici qu'ils sont livrés à eux-mêmes; le maître a disparu, il est introuvable. Le Temple n'est plus le bon lieu pour se rassembler, ni la montagne, et la synagogue encore moins. C'est désormais dans leur for intérieur, c'est le soir que le Seigneur vient. C'est lorsqu'il n'est plus là, lorsque tout semble fermé et clos qu'une présence, qu'une parole est dite : "Vous n'êtes plus seuls, la paix est avec vous." C'est bien dans la nuit de la crainte et sous les verrous que l'étau se desserre et que l'équilibre s'annonce.
Oh, ce n'est pas une découverte éblouissante et fulgurante puisqu'il faudra 8 jours plus tard que cela se répète, comme s'il fallait du temps pour que cette présence et cette parole soient reçues et encore contestées, que tout un chacun soit concerné. Ce que les chrétiens ont à annoncer est pourtant là contenu et communiqué. Il n'y a plus désormais de lieux, d'espaces et de temps sacrés. Il n'y a plus de terre sainte qui mériterait que l'on se batte pour elle. Il n'y a plus d'organisation ecclésiale qui puisse à elle seule contenir le message. Le déplacement des lieux et des temps s'opèrent dans un élargissement qui va prendre corps, qui va prendre forme. Il n'y a plus rien à répéter : tout est à inventer désormais. Il n'y a plus de vie monotone et plate, il n'y a plus de modèle à reproduire, mais comme toujours le premier jour de la semaine comme au matin du monde, tout reste à faire et à devenir.
Au commencement était la Parole, avait dit Jean, voici que cette Parole devient une parole d'envoi, une parole pour moi, une parole pour vous . J'ai été envoyé, je vous envoie à mon tour pour que vous annonciez; le tout est toujours possible, vous allez désormais l'annoncer, vous allez désormais le faire et le vivre. Je suis frappé, frères et sœurs, que parfois nos Églises s'épuisent dans des stratégies complexes, dans des programmes épuisants, dans des analyses qui parfois masquent la clarté de la mission.
Nos Églises paraissent parfois comme des lieux et des espaces clos, on dit qu'elles ne sont pas - ou plus - attractives. Je n'arrive pas à le croire et à le vivre. Je n'arrive pas à croire que ce que nous voyons, savons et analysons soit le centre du message. Comme si celui qui vient et qui s'annonce était épuisé, comme si le message était usé. Vous n'attendiez plus personne et bien quelqu'un vient; vous étiez séparés et bien voici que l'unité est rendue possible, prisonniers vous êtes rendus aux portes d'une liberté toute proche; vous étiez cloués dans la maladie, eh bien voici une vie possible et renouvelée; vous aviez une image de dieu toute faite et toute prête alors il faut l'abandonner. Au cœur même de la répétition, il est possible de découvrir de nouvelles traces d'invention, gage de notre fidélité. Vous vouliez des preuves, voici des traces à reconnaître, des signes à interpréter pour mieux apercevoir celui qui vient et qui revient apporter la paix, sur les lieux d'inquiétude, de bêtise ou de la guerre.
Oh je sais, direz-vous, cela n'est pas si simple. Mais la simplicité n'a jamais été le gage de la vérité. Notre vie, notre histoire, nos Églises ne sont pas simples, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle elles sont promises à la rencontre du Seigneur.
Vous pensiez que le Seigneur était tout puissant, alors dit l'Évangéliste Jean, souvenez-vous que le tout puissant est aussi le tout serviteur. Vous pensiez au ressuscité, eh bien observez en même temps le crucifié. Désormais ce que je vous propose, c'est que le vainqueur vive comme un vaincu.
Ce qui avait annoncé et peu compris commence à se réaliser dans l'étonnement et la confiance. Je vous envoie non pour faire des miracles, mais pour que vous soyez signe de cette rencontre, de cet amour possible, d'une vie plus grande que la mort, d'une espérance plus grande que le désespoir, un signe d'une foi plus grande que le doute.
Pourquoi n'irions-nous pas rencontrer les autres différents avec ce programme minimum ? Non pas pour le claironner, ni l'imposer, mais le partager avec celles et ceux qui sont comme nous barricadés dans des certitudes et des fausses assurances, fruits parfois de la peur. C'est l'aveugle qui voit, c'est l'incrédule qui croit et confesse : "Mon Seigneur et mon Dieu !", c'est le païen qui sait : "Celui-ci était bien le fils de Dieu !"
Oui, le Seigneur vient nous rencontrer, nous, les croyants affermis, mais aussi les tâtonnants et les chercheurs d'espérance. Il vient toujours rencontrer des hommes et des femmes qui ont renoncé à être autonomes et indépendants, des êtres qui cherchent dans l'autre une part d'eux-mêmes. "Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux. "
Je voudrais terminer, frères et sœur, sur cette image du souffleur. Comme au théâtre, il y a toujours là quelqu'un au cas où le texte échapperait - le souffleur. Nous sommes dans le théâtre de la vie, le grand théâtre du monde, celui de l'histoire belle et de l'histoire difficile. Eh bien il y a toujours un souffleur, il y a toujours celui qui souffle ce qu'il y a à vivre, celui qui nous souffle ce qu'il y a à dire, pour qu'on leur dise et redise encore à ceux-là qu'ils sont vivants. Nous avons tous frères et sœurs, besoin d'un souffleur d'espérance, de paix et d'amour. Nous n'avons pas besoin d'un souffle magique, ni bruyant, ni puissant, mais d'un doux murmure qui dira la vie possible, la confiance retrouvée. Finalement, la communauté de l'Église ressemble à une compagnie de souffleurs de paix, qui eux aussi se mettent en marche. Puissions-nous, là où nous sommes et comme nous sommes, redécouvrir notre mission de souffleur même lorsque les portes sont verrouillées.
Amen !
Souffleur d'espérance de paix et d'amour
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