La nuit est tombée sur notre ville de Lausanne, dans nos rues toutes éclairées où certains d'entre vous couraient encore aujourd'hui après les derniers cadeaux.
Nuit qui évoque nos propres obscurités, nos doutes, la solitude qui se creuse un peu plus ce soir-là, parce qu'un proche n'est pas au rendez-vous de Noël, ou parce que nos peurs d'un lendemain sans travail nous tenaillent. Ce qui est blessé est un peu plus à vif, dit-on. Nuit qui évoque aussi notre terre secouée de séismes et noyée d'inondations. Ou ce monde en déroute, où les guerres saignent sur le continent africain, au Moyen-Orient, ailleurs encore. Toutes ces fractures qui obscurcissent notre vie, comme la nuit.
Et ce soir, plus que d'autres soirs encore, nous sommes en quête de lumière, comme on chercherait à éclairer notre vie d'un sens. Nous marchons même vers la lumière. A votre image, paroissiens des hauts de Lausanne qui avez parcouru ce chemin dans la nuit, torches en main, pour rejoindre la radio : hommes et femmes qui vous situez " en chemin " justement, en marche, avec dans les mains déjà un peu de cette lumière que vous portez et qui vous habite aussi.
Car si nous sommes là, avec vous amis auditeurs qui êtes à l'écoute, c'est que vous avez déjà reçu un peu de cette lumière, c'est que vous êtes peut-être en quête de sens au bout de la nuit.
Et ce soir, c'est en se déplaçant qu'on la recueille cette lumière, c'est en se mettant en route, dans son corps ou dans sa tête, dans son cœur, qu'on peut l'accueillir " autrement ".
Nous voilà arrivés autour de ce tableau de la Nativité que Luc, l'évangéliste, dépeint. Effeuillons ensemble les pages de cet album-photo. C'est tout de suite l'étonnement qui survient, comme celui de ce peuple qui a vécu ces événements et qui entend cette Bonne Nouvelle : Tout, tout dans cette naissance, se passe autrement que nous aurions pu l'imaginer pour la venue d'un roi, d'un sauveur !
Là c'est Marie, cette fiancée enceinte, cette " fille-mère ", qui déjà à l'époque, comme femme qui avait un enfant et pas de mari, aurait été promise à la lapidation, c'est Marie qui met au monde cet enfant, en voyage, dans cette étable obscure et sale qui laisse passer les courants d'air, dans le plus grand dénuement et l'insécurité. Pourtant Marie écoute avec le cœur, elle a en elle cette lumière intérieure, ce regard qui lui fait comprendre ce qui est au-delà du visible, ce qui vient d'ailleurs.
Et puis, Joseph, le meurtri et le confiant, le fidèle qui a mis sa fierté sous ses pieds, qui a reçu cet enfant comme le sien, accouchant de sa paternité difficile. Il offre ses mains et son chemin sans lesquels Dieu ne peut pas faire naître, même le sauveur !
Mais surtout cet enfant, qui devient " signe ", dit l'Evangile : " un bébé emmailloté et déposé dans une mangeoire.". On aurait pu faire mieux pour le berceau d'un roi.
Pourtant Dieu préfère naître dans la fragilité, l'impuissance et la pauvreté de cet enfant sans parole. Comme pour rappeler aux lecteurs avertis de Luc que les silences, les rejets et le dénuement de la croix avaient déjà pris racine, là, dans ceux de la crèche.
Enfin les bergers, bien familiers, eux, de ces mangeoires d'étable, qui sont les premiers à mettre en lumière cet événement peu crédible.
Curieux porte-parole que les bergers, eux qui étaient les marginaux de l'époque, ceux dont la parole n'était même pas reconnue fiable en justice, ceux qu'on prenait pour des voleurs et des pécheurs, les mêmes avec lesquels Jésus mangera plus tard ! Ces bergers ne sont pas là par hasard : ils rappellent aux lecteurs de Luc que le grand roi David, leur ancêtre, était lui aussi berger à Bethléhem, le petit dernier choisi pour devenir roi et préfigurer un autre berger, le Christ !
Mais des bergers justement parce que ces veilleurs dans la nuit étaient aussi nomades dans leur tête comme dans leur corps. Ils avaient en eux cette disposition intérieure à recevoir, à se laisser déplacer, à porter cette lumière dont ils avaient reçu comme un avant-goût, dont ils désiraient voir la plénitude pauvre et cachée.
Ainsi le mystère de cette naissance passe par la parole de gens peu crédibles qui disent l'incroyable et que l'on a cru ! Décidément, tout, dans cette nuit, aurait pu se passer autrement !
Manque encore dans ce tableau qui nous étonne celui que l'on appelle de nos cris lorsque l'on chante : " Ah si le ciel se déchirait, si jusqu'à nous tu descendais… " : Dieu lui-même ! Car c'est lui, l'auteur de ce qui se vit là ! C'est lui qui crée l'événement en se " déplaçant " cette nuit jusqu'à venir à nous, jusqu'à se faire en tous points semblable à nous, jusqu'à nous rejoindre, mystérieusement, dans cet enfant caché et sans apparence. Dieu choisit la fragilité de cette naissance, l'insécurité de ce voyage, la nuit et ses obscurités, pour venir au monde : ce qui est nu, pauvre, et déjà contesté. Dans cette nuit, la même que celle de nos solitudes et de nos fractures, dans ce chemin d'une famille qui n'avait rien comme les autres. C'est lui, Dieu, qui a fait cela ! C'est lui qui intervient, c'est lui qui crée ! C'est son choix d'amour que de prendre cette initiative de nous rejoindre par le plus grand des bouleversements : c'est " l'amour fou du Seigneur qui va faire cela !", annonçait Esaïe ! C'est sa " bienveillance envers les hommes qu'il aime " qui a fait cela dit Luc.
A tous ceux qui demandent : mais où est-il ton Dieu ? Que fait-il dans ces catastrophes, ce chômage, ces insécurités constantes, ces guerres et ces injustices ? Dieu s'est-il absenté de nos chemins tortueux, douloureux, fragiles?
Eh bien non, Dieu a déchiré le ciel pour rejoindre notre humanité, pour se mêler à nos fragilités, pour devenir à son tour, semblable à nous, vulnérable. Là prend sens notre vie : cette lumière à laquelle j'aspire, je ne me la donne pas à moi-même, je la reçois d'un Autre. Ce sens que je cherche désespérément à ma vie, à celle du monde, je le reçois d'un Autre : ce Dieu qui s'est fait humain, enfant, à l'image de tout ce qui est nu, désarmé, pauvre et caché. Il a choisi de naître d'un ventre de jeune fille et de mains d'homme, de la parole de bergers peu crédibles et d'une vie qui ne tenait qu'à un fil cette nuit-là.
N'est-ce pas le cœur de la foi chrétienne que ce Dieu qui choisit de bouger de son ciel, de se mêler à nos obscurités pour nous conduire vers sa lumière, jusqu'à ce qu'il devienne lumière en nous, autour de nous pleinement.
Là, dans la solitude qui se fait fardeau, dans nos amours difficiles, dans notre recherche de Paix et de justice, dans nos peurs du lendemain. Bref là, dans tout ce qui ressemble à cette nuit de Noël précaire et éprouvée, en quête de lumière.
Mais comme les anges l'ont chanté cette nuit-là, c'est de Dieu que je reçois le sens, la lumière, et cette présence née dans l'insécurité et la pauvreté. Comme pour me rappeler que tout cela vient d'en haut, et pas d'en bas, mais rejoint le plus fragile en nous. C'est ici que Dieu a élu domicile, pas ailleurs !
A l'image des bergers, ces nomades dans leur corps et dans leur cœur, qui ont été à la crèche, nous aussi, nous nous sommes mis en route. Des 4 coins de cette paroisse des Hauts de Lausanne, nous avons quitté notre cadre d'église habituel pour aller ailleurs, à la radio en l'occurrence.
Déplacement symbolique, lumière en main dans la nuit, comme les bergers se mettent en route et se déplacent vers cet événement. Comme Marie et Joseph qui ont été capables de vivre ce qui leur était donné, avec ce regard du cœur qui voit au-delà et qui reconnaît, dans ce signe de l'enfant, la présence de Dieu venue jusqu'à nous.
Sommes-nous aussi capables de vivre un " déplacement " dans notre tête, dans notre cœur, dans notre vie, de voir au-delà de ce qui nous est donné ? Sommes-nous capables de traverser aussi la fragilité de cette nuit : cette naissance sans bain chaud ni linge propre, entre les impôts, le froid, les fentes sous le toit et la porte battante pour accueillir cet enfant, Fils de Dieu ?
Dieu s'incarne, dit notre foi chrétienne, dans un petit d'homme, Dieu se donne dans cette nuit où tout est vulnérable, dans ce cadeau d'un enfant Dieu, pauvre et sans apparence
A l'image des bergers nous repartons de cette nuit bouleversante, où Dieu se mêle à nos obscurités, où Il naît là, dans ce qui est encore douleur, questionnement, pauvreté. Mais déjà la joie surgit, venue d'ailleurs.
Tout à l'heure, une bougie allumée brillera dans les mains de chacune, chacun au moment de repartir dans la nuit, signe de cette lumière née avec le sauveur, devant nos pas.
Vous aussi amis auditeurs, de Suisse ou de Kinshasa, d'ailleurs encore, pouvez allumer cette lumière chez vous, ce soir et les jours prochains, en communion avec ceux et celles qui, partout dans le monde, dans cette nuit, ont laissé naître pour eux, cet enfant-Dieu. La nuit n'aura peut-être pas changé de votre fenêtre, les obscurités seront tenaces, nos douleurs toujours grinçantes, la solitude bien là. Mais cette nuit, une espérance est née… comme une lumière dans l'obscurité.
Amen !