Frères et sœurs,
Dans notre vie de tous les jours, des mots nous viennent. On ne sait pas toujours d'où ils nous viennent, ni s'ils sont vrais, sincères ou mal intentionnés. Les mots nous viennent des journaux que nous lisons, de la télévision que nous regardons et écoutons, de la radio et de toutes les rencontres que nous faisons dans le cours de nos journées.
Je m'interroge souvent sur les mots que j'entends, ceux que je reçois, ceux qui paraissent m'être destinés, ceux qui me blessent, ceux qui me mettent en joie. C'est vrai de dire que les mots font partie de notre quotidien. Il y a les mots qu'on dit, ceux qui ne se disent pas, mais se sentent, ceux qui font mal, ceux qui ne sont pas " à propos ", ceux qui tombent mal. Il y a les mots qu'il n'aurait jamais fallu prononcer, ceux qu'on regrette, ceux qu'on oublie, ceux qui nous remettent en question. Il y a les mots qui ont un sens, d'autres un parfum, d'autres encore qui ont un goût, amertume, acidité, douceur, plénitude. Il y a les mots qui me parlent du désert, d'autres d'une oasis, d'autres du soleil, de la neige, de la pluie, du printemps retrouvé, de l'hiver qu'on subit.
Des mots partout. Des mots de toujours, des mots pour aujourd'hui, des mots pour demain. Des mots qui font vivre et des mots qui font pleurer. Des mots qui font espérer, des mots qui tuent. Mots qui nous reviennent en mémoire et qui rappellent une blessure ! Mots d'un jour, mots d'amour, mots de rage et de haine, trop souvent déplacés. Mots, toujours des mots, pour se dire ou tenter de se dire ! Pas facile, jamais !
Les mots m'obsèdent, ils m'émerveillent et me révoltent. Tenez, il y a des lieux où l'on est bourgeois, citoyen, habitant, résidant et des lieux où l'on devient client, patient, dépendant, des lieux où l'on est étranger, accepté, rejeté, malvenu, mal vu. Je pense à ces mots sur lesquels on glisse, mais dont on ne pense pas moins. Des mots qui ne veulent plus rien dire, tous ces mots qui font baisser la tête et ceux qui la font se relever, fièrement.
Il y a encore les mots choisis qu'on utilise pour mettre en valeur ceux dont on attend quelque chose et ceux qu'on emploie pour rabaisser celui qu'on méprise. Les mots des menteurs qui veulent tromper, les mots des frustrés, des agressifs qui veulent faire mal et les mots des pacifiés qui veulent apaiser. Il y a les mots jamais justes et surtout jamais vrais ni sincères. Mots perdus comme le pain, mots trouvés comme le vin.
Dans le domaine de la foi, de l'Église, il en va de même. Il y a une foule de mots qu'on ajoute les uns aux autres ou qu'on empile les uns sur les autres et qui ne veulent plus rien dire ou presque, mais qui sont de bon ton, donnent bonne impression. Bonne impression de soi pour impressionner de l'étendue de sa foi !
Ces mots sont souvent décharnés. On les a vidés de leur sens. Dans l'Église, il y a des mots " alibi ", des mots pour faire passer, des mots pour vendre, mais trop peu de mots pour être vraiment entendu et compris parce qu'on en a perdu le sens profond.
L'apôtre Paul, dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe insiste sur le parler vrai, le parler juste. Il en parle juste assez pour qu'on puisse réveiller des mots endormis comme la confiance, la patience, l'espérance, le pardon ! Je voudrais vous faire partager ces quelques mots, le plus simplement possible.
La confiance : la confiance fait partie intégrante de la vie du croyant. C'est vrai que qui dit foi dit confiance en celui en qui on a mis sa foi. La confiance n'est pas un mot qui se partage : on a confiance ou on n'a pas confiance. Pas de quartier, même si dans la réalité, la confiance s'avère difficile à donner. On ne fait pas confiance pour voir jusqu'où celui en qui on l'a mise la mérite; la confiance, on la donne sans détour, avec sincérité. En Dieu, on ne la met pas pour une heure ou deux, voire un jour, on la met totalement, complètement, même s'il reste des temps de doute, d'angoisse et de peur !
La patience : la patience est un mot qui ne prend son sens que dans son contraire : l'impatience ! Malade, on veut être guéri le plus vite possible ; adolescent à peine, on revendique le statut d'adulte. Patience, mais dans la mesure où j'ai mis ma foi en Dieu, donc ma confiance, j'ai inclus la patience. La patience comme celle que je mets en attendant les saisons, le printemps avec ses nivéoles, ses perce-neige, ses crocus et ses jonquilles. Elles reviendront, je le sais comme tout le monde. Si donc je sais faire confiance à la nature, je sais devoir faire et confiance et œuvre de patience envers Dieu, maître des hommes et de la création.
L'espérance : un autre mot lourd de sens, un mot qu'on confond avec espoir. Deux mots qui, certes, parlent de demain et d'après-demain, mais deux mots qui ne peuvent coexister. L'espoir est un souhait qui peut ou ne peut pas se réaliser. Si j'ai l'espoir de faire une belle journée de ski mercredi prochain, je sais que je suis dépendant de la météo, de la fameuse dépression sur les Açores, des vents qui viennent et qui vont. L'espérance, c'est autre chose, c'est une conviction, une certitude qui me vient de Dieu et que je mets en Dieu. Dans le mot espérance, il y a le mot confiance et le mot patience, une assurance ferme et claire.
Un dernier mot : le pardon : dans la vie de tous les jours il arrive qu'on pardonne, mais le drame chez nous humains, c'est qu'on pardonne et qu'on n'oublie jamais ou rarement. Le pardon de Dieu, lui, est total. Il ne s'embarrasse de rien, ne comptabilise jamais. Il efface parce que Dieu reste confiant, patient et plein d'espérance pour nous. Ce pardon-là est fait d'une dimension qui nous dépasse trop souvent. Nous restons dans notre espace d'humanité alors même qu'il faudrait retrouver Dieu dans son espace d'éternité pour qu'à notre tour nous puissions vraiment pardonner.
Frères et Sœurs, je sens bien que je me fais quelque peu piéger avec ou à travers mes propres mots. Pourtant, je reste persuadé qu'il faut maîtriser ses mots, continuer à sonder nos mots à nous. On pourrait ainsi continuer à s'interroger et vous et moi sur d'autres mots. Ce pourrait être des mots comme " Sauveur ", comme " Salut ", comme " mort ", comme " résurrection ", comme " Éternité ".
Pas facile ! Je nous proposerais plutôt, dans la semaine qui s'ouvre devant nous, une réflexion qui porterait sur trois mots : " amour ", " justice " et " paix ". Trois mots qui voudraient dire quelque chose, trois mots d'aujourd'hui pour que demain soit possible, trois mots du dictionnaire pour les enfants de demain, trois mots qui résonnent encore au plus profond de notre être, trois mots de Dieu, trois mots vivants, trois mots d'une actualité implacable d'éternité.
Pour que nos mots ne soient pas que des mots, mais qu'ils nous collent à la peau, qu'ils collent, même malgré nous, au témoignage que nous voulons porter. Dans un monde qui ne sait plus se dire, dans un monde qui a besoin des mots de Dieu pour avancer, de l'aube au crépuscule, vers le printemps de l'homme dans la lumière des mots du ciel.
Amen !