"Comment se fait-il que chacun d'entre nous les entende parler sa langue maternelle ?"
Chers Catéchumènes,
Chers paroissiens de notre paroisse réformée de Neuchâtel,
Chers amis auditeurs qui nous faites la joie de partager avec nous cette fête de fin de catéchisme,
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais cette question suscite toujours un double sentiment : une surprise d'abord, parce qu'on se demande toujours comment il est possible de se représenter un tel miracle, un tel signe ! Une possibilité de savoir parler tout d'un coup une langue qui n'est pas la sienne et qui plus est la capacité de parler la langue maternelle de plusieurs personnes qui se trouvent là.
Et puis de l'autre, s'il faut que le souffle de Dieu se répande, autant qu'il touche le cœur des gens qui sont là, dans des langues qui furent les leurs au moment où ceux-ci apprenaient à communiquer.
Aussi, avec les catéchumènes qui sont avec nous ce matin, dans ce que nous avons pu entendre d'eux au cours de ces deux années, disons-le : je me suis vu moi-même quand j'avais leur âge ; je me suis même entendu moi-même prononcer mes premières convictions ; je me suis revu dans le groupe de catéchumènes, emporté par un esprit jusqu'alors inconnu. Ces fois où Dieu se disait timidement, où Dieu se prononçait avec des boutons d'acné, où Dieu - si vous me passez l'expression - muait.
"Je crois en l'Esprit Saint mais pas forcément comme tout le monde se l'imagine. Pour moi, il est un peu comme un ange gardien qui surveille et aide l'ange gardien de chaque habitant de la terre. " Ces mots ces paroles, c'est un extrait d'une des multiples confessions de foi que nous avons recueillies au cours de ces quelques mois de préparation à notre culte d'aujourd'hui ! Osons le dire franchement :
Des mots peu sûrs et qui pourtant assurent ;
Des phrases qui transpirent l'air du temps sans pour autant être du vent ;
Des phrases juvéniles sans être infantiles ;
Une façon de dire qui n'est pas celle que nous entendons d'habitude, mais qui ose nous surprendre ;
Une façon qui peut nous nous blesser ou nous toucher tel le souffle divin venu d'ailleurs donnant à Dieu sa présence.
Un double sentiment, vous le voyez qui avouons-le n'est pas chose facile à vivre parce que d'un côté nous aimerions tant entendre la voix d'adulte de ces jeunes qui se forment et de l'autre nous entendons dans ces mots, ceux de notre jeunesse, ceux qui raisonnent comme notre langue maternelle, cette langue même où nous avons appris à dire de belles choses sur Dieu. Alors au fond me vient une question que j'aimerais partager avec vous : qu'est ce qui se passe quand on s'essaye à la foi chrétienne ? Qu'est-ce qui se passe lorsque l'Esprit s'essaye 50 jours après Pâques ?
Je crois qu'on entre dans une situation, dans un mode qui peut surprendre au premier abord ! On entre dans un mode bien particulier : celui du paraître. Et oui dans ce mode que nous rejetons très facilement aujourd'hui. On entre dans ce mode du paraître parce qu'on ne peut pas faire autrement !
Pensez-vous que celui qui balbutie le cappadocien soit cappadocien ? Il semble être cappadocien, mais il n'est pas cappadocien et pourtant dans quel émerveillement ne plonge-t-il pas ses auditeurs cappadociens ? L'esprit de Dieu pouvait-il faire autrement que de s'essayer aux langues et dialectes de tous les peuples de l'époque ? Paraître pour être, ou pour le dire avec une expression bien connue qui associe l'habit et le moine, je me risquerais à dire qu'à Pentecôte, l'habit fait le moine.
La tradition de l'Église rapporte à ce propos une histoire que j'aimerais vous conter; c'est celle d'un vagabond assez peu scrupuleux envers ses semblables. Jugez plutôt : vol à l'étalage, fourberies et autres larcins minables. Tel était son misérable quotidien ; tout un programme !
Un jour, il décide de tenter un gros coup. Il connaissait, perdu au fond des bois, une abbaye dont on disait que son trésor regorgeait de vases sacrées, de pierreries et autres objets extraordinaires, tous confectionnés en or. S'emparer de ce trésor voilà ce qu'avait décidé ce vagabond. Mais comment ? Par la force ? Il n'en avait pas les moyens. En creusant un trou et des galeries ? Trop long et facilement repérable. Non, s'il devait s'emparer de ce trésor, ce serait par la ruse. Il jouerait les convertis, puis les novices et enfin le moine jusqu'à gagner la confiance du Père abbé pour pouvoir s'approcher du trésor et s'en emparer.
Et c'est ainsi que notre vagabond commença sa vie au monastère. Il marchait les yeux fermés, les mains dans les manches, n'arrivait jamais en retard aux offices, travaillait dur à la lecture de l'Écriture, comme aux champs, bref il forçait l'admiration de tous !
Au bout d'une année, il n'avait toujours pas eu vent du trésor de l'abbaye, il songeait à fuir. Mais l'hiver arriva pour le faire réfléchir et lui montrer qu'il faisait bien meilleur dans une abbaye à cette époque que sur les routes. Au cours des années suivantes, il se reposa plusieurs fois la question et à chaque fois il décidait de rester.
Au bout de dix ans pourtant, il traversa une crise plus profonde ! "Il n'y avait pas de trésor à prendre, il n'y en avait peut-être jamais eu !", se disait-il. Qu'importe les conséquences, il avait un âge où il importait d'être en accord avec lui-même. Sa vie monastique le lui avait appris : il était entré ici par duplicité, avec intention de nuire, il lui fallait partir et affronter la vie dans sa dure réalité, quitte à reprendre son errance de jadis.
Et il partit. A peine éloigné de quelques lieues il entendit la cloche de l'église. C'était l'appel à la prière. Il songea à sa chaise soudain vide, le regard déconcerté de ses frères, le désarroi du Prieur. La panique l'envahit et il retourna à toutes jambes pour reprendre sa place et pour ne plus la quitter. Il ne pouvait plus partir. Cette abbaye était sa maison pour toujours.
Après quelques bonnes poignées d'années, il reçut la prêtrise, c'est-à-dire qu'il put célébrer l'office divin. Cette nouvelle charge au lieu de le réjouir, l'écrasa : comment pouvait-il célébrer l'office au nom de Jésus-Christ, lui qui était là devant l'autel par ruse, duplicité et tromperie ? Impossible ! Il décidait d'ouvrir son cœur au père abbé qui le reçut séance tenante. Il lui raconta tout depuis le début. L'abbé lui dit : Pendant toutes ces années, vous avez été tenté comme peu d'autres moines l'ont été, vous êtes resté fidèle à vos engagements alors que votre cœur était aride. La vie que vous avez cru mener par fraude, vous l'avez vraiment menée et elle parle pour vous. Et selon les usages de cette abbaye et la tradition qui était la sienne, le Père Abbé lui annonça le pardon de ses péchés. Et notre vagabond termina ses jours au milieu des siens heureux.
Paraître pour être; revêtir pour être; ressembler pour être; jouer au moine et le devenir. Difficile à admettre, très difficile à reconnaître, je vous l'accorde même après cette jolie histoire et, aujourd'hui plus que jamais, alors qu'on ne cesse pas de nous dire, de dire aux jeunes qu'il importe d'être : d'être dans le vent, d'être dans le coup, d'être sûr de soi, d'être bon, d'être dans le monde, d'être au courant, d'être présent.
Paraître pour être ! Osons le défi de renverser une expression que nous taxons directement de négative pour y voir non pas, un état mais une étape, non pas un " tout " mais un atout, non pas un statut mais un salut. N'est-ce pas au demeurant le b-a, ba de toute phase d'apprentissage ? N'est-ce pas de cette façon que nous fonctionnons tous ? N'est-ce pas l'esprit de Pentecôte même que de paraître pour être ?
Les apôtres, répétons-le, ne sont pas cappadociens, ils ne sont pas phrygiens, ils ne sont pas libyens et encore moins pamphyliens et pourtant les louanges de Dieu qu'ils balbutient paraissent aux oreilles de ceux qui les entendent comme quelque chose de juste. Ils ne s'inscrivent pas en faux en paraissant être ce qu'ils ne sont pas. De la même façon, les catéchumènes, touchés par l'esprit de Dieu et sa grâce depuis le début de leur instruction religieuse, ne sont pas dans l'erreur lorsqu'ils s'avancent devant l'autel : pour vivre une communion avec un cœur plein de doute, pour dire une confession de foi qui, par moment, se contredirait même, pour dire à la suite de ce père à qui Jésus vient de guérir son fils : "Je crois, viens au secours de mon incrédulité."
Et puis nous-même adultes : pouvons-nous prétendre être parfaitement ou pleinement accomplis ? Pouvons-nous dire qu'à 16 ans ça y est, nous sommes ? Pouvons-nous prétendre être dans le mode être alors que nous ne cessons de vivre sur nos avoirs ! Non, un simple examen de conscience nous montrerait rapidement que nous aussi nous avons encore à revêtir l'habit du croyant pour le devenir en fin de compte. Car l'étape du paraître n'est pas de réussir à être un jour un petit Moise, un petit Jésus ou un petit apôtre, non le grand défi du paraître, c'est bel et bien de parvenir à être soi-même.
Amen !