Dessous de table

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Le texte que je vous propose ce matin se trouve dans l'évangile de Marc, chapitre 7, versets 24 à 30, et fait partie d'un moment charnière dans cet évangile. Il nous fait passer du lavement des mains au-dessous de la table, ou bien l'on pourrait dire que Jésus déplace les frontières : la tradition légaliste vole en éclats, le corps à corps se transforme en un cœur à cœur et dans le texte que nous allons entendre " l'impossible devient réalité ", avec une femme qui ose forcer Jésus à guérir sa fille. Dans chaque texte, il y a déplacement des limites ou des frontières. Après notre texte, Jésus va opérer plusieurs guérisons en milieu païen. Les cultes radiodiffusés témoignent concrètement de cet Évangile pour tous et partout !
Les médias diffusent un certain nombre d'histoires de pot de vin. Comme si notre société dans ses grands marchés, ses grandes décisions ou pour avoir le privilège d'accueillir les J.O., n'étaient possibles que grâce aux " dessous de table " ! En général cela nous scandalise. Aujourd'hui, c'est l'évangile de Marc qui nous entraîne dans une histoire sous la table, et là aussi - surprise - cela rapporte !
Oui, ce texte nous choque ! Aujourd'hui l'on dirait : " Non-assistance à personne en danger " et l'on soulignerait le caractère injurieux qui étiquette ceux du dedans comme des enfants, les autres - du dehors - comme des chiens ! Jésus est-il si fatigué qu'il ne désire pas être dérangé ? Sa guérison est-elle en quantité limitée ?

Voilà, tout est dit ! Extraordinaire ! Extraordinaire, l'attitude de cette femme qui a toutes les audaces : étrangère, femme, elle se jette aux pieds de Jésus, mendie quelque chose pour sa fille. Et au lieu d'être choquée quand Jésus semble la traiter d'équivalent aux petits chiens, elle accepte. On pourrait dire de cette femme qu'elle est extraordinaire. D'ailleurs c'est la première personne dans l'évangile de Marc qui appelle Jésus " Seigneur ". Ses disciples ne l'appellent pas Seigneur, les autres - ceux que Jésus rencontre, en voyage, sur son chemin - ne l'appellent pas Seigneur. Il faudra attendre une autre personne, le Centurion païen au pied de la croix pour entendre son témoignage sur la Seigneurie de Jésus : " Assurément cet homme était Fils de Dieu ".
Jésus se laisse bousculer par cette femme-là, qui dépasse les limites, les frontières, envahit son territoire. Jésus jusque-là se contentait de donner aux Juifs - même s'il vient de guérir un homme possédé par une légion de démons - était le Messie pour ceux qui seuls peuvent le reconnaître comme le Messie, les païens n'attendaient rien, pourtant ils semblent espérer quelque chose de Lui.
Cette femme qui vient de l'étranger est étonnante. On pourrait lui prêter de mauvaises intentions. La Galilée étant un pays pauvre et le territoire de Tyr riche, la tentation pouvait être de vouloir acheter - par un dessous de table ! - la guérison auprès de cet homme précédé par une telle notoriété de guérisseur hors pair. Elle espère que Jésus se plie à son attente, lui demande de chasser le démon de sa fille. Elle ne lui dit pas : " Est-ce que tu pourrais… ", elle supplie, tel un chien aboie, crie de tout son cœur, donc du siège de son émotion la plus vitale. Elle crie, attendant, désirant, suscitant de la part de Jésus au fond qu'il cède et Jésus va céder ! Jésus va reconnaître dans l'attitude de cette femme, non pas une demande comme celle de la veuve importune qui toute la nuit tambourine à la porte du juge, mais à cause de sa Parole. Elle la païenne, elle l'étrangère, elle qui est de l'autre côté de la frontière des traditions établies par ceux qui sont dans l'entourage de Jésus, y compris peut-être par ses disciples. Elle qui vient du dehors reconnaît dans la personne de Jésus celui qui est LE Seigneur. En fait sa demande, et c'est ce qui décide Jésus à lui donner satisfaction, ce n'est pas tellement le cri de sa douleur de mère - et nous comprenons sa souffrance - mais c'est surtout parce qu'elle introduit une confession de foi. Elle est la première à confesser dans ces termes-là que Jésus est LE Seigneur et que Jésus est aussi SON Seigneur.

À cause de cette Parole - et non pas à cause de sa démarche - Jésus cède. Il n'était pas prêt à entendre, à recevoir, à remarquer qu'il puisse y avoir quelqu'un de l'étranger qui le reconnaisse. Jésus, tel Paul, a comme des écailles légalistes ou étriquées qui tombent de ses yeux, il voit que le nom qui est attribué au Fils de Dieu a déjà dépassé les frontières.
C'est peut-être une ruse de la part de cette femme qui sait employer les mots justes pour faire céder Jésus. Non, elle le confesse en fonction de sa foi. Alors elle dit Seigneur, puisque Jésus vient de raconter ce qui se passe dans la maison. Il y a des enfants, quantité négligeable, que les disciples avaient déjà repoussés.
Autre quantité négligeable : les chiens. Chiens et enfants sont autour de la table. Les enfants sont nourris en premier et s'il reste quelque chose les chiens en profitent. Vous avez remarqué que tous les enfants aiment bien donner des miettes, des croûtes de fromage ou autres gâteries, aux chiens. Elle remarque ce manège dans la maison : les chiens au moins dans la maison ont le droit d'aller ramasser les petites miettes, au moins ils ont droit à quelque chose.

C'est peut-être une interprétation qui peut nous donner à réfléchir. Nous sommes dans une Europe, géographique, riche. Autour d'elle, il y a des milliers de personnes qui pensent qu'il y a peut-être des miettes à récupérer ! Il y a de nombreux pays qui viennent frapper à nos portes. Nous avons tous en mémoire les images de ces bateaux surchargés, des hommes cachés, au péril de leur vie, dans les soutes des avions ou plus simplement aux portes de nos Églises, les brisés de la vie qui mendient des miettes. Ces miettes pour vivre et survivre dont on peut trouver une trace claire dans la déclaration des droits de l'homme ou des droits de l'enfant, ou plus simplement encore dans la première demande du Notre Père : " Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour ! "
Domaine de réflexion dans lequel on peut se laisser aller en se disant : n'est-ce pas normal qu'il y ait attroupement pour ramasser les miettes qui tombent de nos tables ? Nombreux sont les domaines où l'on suscite envie, désir, attente de partage. Quand quelque chose est donné à certains, il y en toujours d'autres qui se disent : " Si je pouvais en avoir quelques miettes. "
Nous avons tous entendu ces réflexions : " Ah si j'avais la foi comme eux ou j'aimerais bien avoir la foi " qui traduisent aussi à leur façon que ce qui vient de Dieu et qui nous habite, ils aimeraient bien en avoir les miettes. Il y a de plus en plus de personnes qui viennent frapper à la porte de nos Églises avec le désir pour leur vie intérieure de se nourrir des miettes que nous laisserions tomber de nos riches tablées financières, sociales, mais aussi spirituelles.
Les enfants, les chiens et maintenant la femme viennent chercher des miettes. Erreur ! Jésus ne fait pas baisser la température d'un enfant malade ou une rémission ou ne rétablir qu'un pourcentage plus ou moins élevé en fonction de la foi du demandeur ! Non, Jésus donne en totalité la guérison. Quand Jésus répond, ce ne sont jamais des miettes, c'est toujours en totalité. La totalité de son amour, la totalité pour la vie. L'évangile de Jean ne nous dit pas que Jésus est " les miettes de Dieu " mais le Pain de Vie ! Un pain de vie pour tous. Quand la femme rentre chez elle, l'enfant étendu sur le lit, le démon était sorti.
Ensuite, Jésus guérit hors frontières un sourd-muet. Puis, dans le passage qui suit, du pain en abondance est donné à des milliers de personnes affamées de 36 choses, vont être rassasiées et il restera même sept corbeilles. L'amour que Dieu donne, et Jésus le signifie dans ce passage-là, quand il répond ou quand il cède, peu importe, ce ne sont jamais des miettes. Même si ce sont des miettes qui sont demandées comme ici par la femme, juste des petits morceaux pour la vie de sa fille, mais Jésus répond : va, ta fille est pleinement vivante.

On pourrait avoir d'autres lectures de ce texte :
- Cet événement joue un rôle dans l'ouverture de la mission de Jésus. Jésus est chez lui dans la maison avec ses disciples, mais à l'étranger puisque dans le territoire de Tyr. Par contre la femme est chez elle à Tyr, mais comme à l'étranger par son intrusion dans la maison où Jésus se trouve.
Et c'est là, dans la maison, que la foi véritable, hors Israël, est affirmée par cette femme ; elle est plus importante que l'appartenance à un groupe religieux. Jésus décide et/ou accepte de poursuivre son ministère en territoire étranger. Jésus fait comprendre que la frontière entre les chrétiens d'origine juive et les chrétiens d'origine païenne n'est plus une barrière !
J'aime imaginer que notre culte ce matin, célébré en majorité pour des gens de passage ici, et pour des auditeurs dans de nombreux pays dans lesquels certains d'entre vous êtes étrangers, témoigne de l'universalité du message du Christ.
- La libération de sa fille l'emporte sur le respect des lois et des règles. Le combat d'une femme qui accepte la différence entre enfants et chiens, affirme que la mission de Jésus ne peut se réduire au peuple croyant d'Israël. Son combat et sa clairvoyance peuvent nous aider aussi à crier à Dieu nos faims et nos soifs, avec l'assurance que nos cris seront entendus. Peuvent nous permettre de nous associer à ceux qui entendent ces cris et tentent d'y répondre malgré toutes les distances sociales, de culture, de religions.

La femme désire avoir les miettes de ce Seigneur et elle a la totalité de l'amour de Dieu. Ce qui se passe sous la table est en fait le rayonnement de l'amour de Dieu. Jésus s'en alla dans le territoire de Tyr, il entra dans une maison, il voulait que personne ne le sache, il voulait que personne ne le sache ! et cette femme l'appelle Seigneur. Quand elle rentre chez elle, effectivement, le Seigneur a donné la totalité de son amour. N'ayons pas peur de donner à tous les " ramasse-miettes " !

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Eliane Bertholet
Musique
Patrizia Müller-Speich, flûte traversière