Une vieille expression prétend que les voyages forment la jeunesse ! C'est vrai que le simple fait de partir, de s'éloigner de sa maison, de ses petites habitudes bien installées pour se risquer ailleurs forme ou déforme la vision que l'on a du quotidien. Tous ceux qui sont partis le savent : au retour, le regard que l'on porte sur le monde est différent. Certaines de nos activités qui nous semblaient essentielles se révèlent un peu vaines, comme vidées de leur sens.
Ainsi, partir vers quelque contrée inconnue comporte un risque réel. Et je ne parle pas de ramener dans ces bagages une maladie tropicale, pour ne pas dire exotique. Non, je parle de ce risque plus sournois, le risque de revenir différent, transformé. On parle de baptême pour celui qui prend pour la première fois l'avion. On pourrait parler également de baptême pour celui qui part pour la première fois. On pourrait dire que vous avez devant vous des jeunes fraîchement baptisés par la réalité du monde, celle dont on prend conscience lorsque l'on s'y confronte.
Il y a un an environ, lorsque les membres du groupe m'ont approché pour me demander de les accompagner, ils se trouvaient dans une situation difficile. Ils venaient de travailler durant presque deux ans à l'élaboration d'un voyage qui devait les conduire au Cameroun. Mais pour plusieurs raisons, ce voyage ne pouvait plus se faire. À quelques mois de la date du départ, il fallait tout changer : la destination, les personnes de contact, les rêves que l'espoir et l'attente avaient fait naître. Il fallait changer tout ça.
Un élément cependant ne changeait pas : c'était le but de leur voyage. Ils voulaient partir rencontrer et aider, dans la mesure du possible, une communauté de chrétiens. Cette volonté était si forte en eux qu'ils ont trouvé le courage de tout changer. J'ai trouvé ça admirable. Tout pouvait être remis en question, leur foi ne bougeait pas.
Ce qui importait, c'était d'aller rencontrer des frères et des sœurs qui vivent leur foi avec d'autres mots, d'autres chants, mais qui vivent de cette même sève, parce qu’issus du même tronc, du même cep, du même Dieu. Je n'avais pas à faire à n'importe qui.
Vous me direz que d'organiser un voyage pour aller à la rencontre de chrétiens est sans doute moins compliqué que de vouloir aller observer des gorilles de montagne au nord du lac Kivu. Des chrétiens, on en trouve partout ! Et c'est une bonne nouvelle d'en trouver partout. Nous avions l'embarras du choix et nous avons opté de partir pour la Roumanie. Des frères somme toute assez proches de nous. Les quelques contacts que nous avons eus avec Imola, la pasteure du village de Simonflava, nous ont appris qu'ils avaient une église et une salle de paroisse à retaper.
Partir chez eux voulait dire travailler avec eux, chaque jour, plusieurs heures par jour et non pas seulement lorsque nous en aurions envie. Partir là-bas voulait dire être en contact toute la journée avec les mêmes têtes, contraints d'être imaginatifs pour arriver à se faire comprendre.
En plus, la Roumanie ne promettait pas de sublimes paysages exotiques. La Transylvanie, région dans laquelle nous nous rendions, ressemble d'ailleurs à notre magnifique plateau vaudois. Mais l'idée d'aller rendre service là-bas où justement il n'y a pas d'attrait touristique, là où le gouvernement roumain n'injecte pas de force pour aider les habitants, parce qu'ils sont considérés comme des citoyens de second ordre, l'idée de se rendre là-bas pour soutenir dans leurs efforts et dans leur foi des laissés pour compte, ça, ça avait du sens aux yeux des membres de l'équipe.
Nous avons donc tout préparé, pris l'avion, loué des voitures et nous voilà arrivés sur place. Le village est petit, pas de route goudronnée, quelques rares voitures. Nous sommes invités à entrer dans l'église pour un culte d'accueil. Une bonne partie de la communauté est présente, les autres sont restés aux champs, faut bien vivre !
Comment allions-nous être accueillis ? Qu'attendaient-ils de nous ? Attendaient-ils trop ? ou pire, n'attendaient-ils rien ? C'est aussi délicat d'accueillir que d'être reçus. La prédication du culte de bienvenue s'appuyait sur le second texte que nous avons lu ce matin. Le devoir des forts de venir supporter l'infirmité du faible.
La gifle qu'on s'est pris ! Nous qui venions en frères rencontrer et aider d'autres frères. Voilà qu'eux attendaient de nous que nous soyons forts, que nous changions les choses d'un coup de baguette magique ! Et pouf, la petite église toute vieille qui se transforme en une belle cathédrale toute neuve !
Nous ne nous sentions pas forts, nous nous sentions même plutôt petits. Pour un peu, on leur aurait serré la main. Merci pour votre accueil, vous êtes bien aimables mais nous avons dû nous tromper de village ! Seulement voilà, rassemblés par ce même Dieu, il n'est pas facile de choisir qui va être le frère, le proche avec qui je vais passer quelques semaines de ma vie.
Nous n'avions pas le choix de partir et, d'ailleurs, il n'en a jamais été question. " On a la vie qu'on mérite ", comme on se le répétait souvent entre nous pour rigoler. En travaillant, au fil des jours, nous avons appris comment vivent les villageois de Simonfalva. Nous avons appris les chants par lesquels ils expriment leur joie de suivre le Christ. Nous avons appris quelques mots de leur langue et plusieurs de leurs tours de main.
Je crois qu'ils nous ont apporté largement autant que ce que nous leur avons apporté. Ils nous ont ouvert les yeux sur une autre réalité, une autre façon de vivre ensemble. Pour nous qui sommes habitués, au point de ne plus le remarquer, à une forme d'individualisme, nous avons vu des femmes travailler à 8 dans une cuisine autour d'un énorme potager brûlant pour que notre repas soit prêt à temps. Nous avons vu des hommes se mettre à plusieurs pour effectuer une manœuvre. Nous avons appris à travailler ensemble à la réalisation d'un projet commun. Nous avons appris qu'il est bon de prendre un temps de recueillement pour commencer et clore une journée. Nous avons découvert que la vie rythmée par la présence de Dieu au cœur de nos rencontres a du bon. Il a fallu que nous allions là-bas pour apprendre tout ça.
Que reste-t-il de ce voyage dans nos cœurs ? Qu'avons-nous rapporté de là-bas que nous puissions partager avec vous qui formez la communauté de frères et de sœurs dans laquelle nous vivons ? Nous ne vous avons pas rapporté de tapis richement décoré à suspendre dans une de nos salles de paroisses et qui va tranquillement et immanquablement prendre la poussière.
Nous vous avons rapporté quelque chose qui ne vieillit pas, quelque chose de vivant et qui continuera de vivre aussi longtemps que vous en prendrez soin. C'est un peu comme une plante qui donnera à votre vie de belles touches de couleur ou qui, si vous l'oubliez, mourra comme meurent les plantes, en silence.
Notre cadeau est une invitation : que vous soyez immobiles chez vous, mais en lien avec le monde par la prière, que vous partiez faire vos courses à la Migros du coin ou que vous partiez voyager à l'autre bout du monde, nous vous offrons la seule chose qui soit vraiment utile à avoir sur soi : le désir de rencontrer l'autre tel qu'il est. Ce cadeau peut paraître bien peu de choses, mais sachez qu'avec lui, c'est Dieu que vous emportez.
Et alors, où que vous soyez et quoi que vous fassiez, vous serez toujours accompagnés par celui qui rapproche, rencontre et place à égalité chacun de ses enfants. Ainsi, chaque pas dans votre vie peut devenir voyage à la rencontre de l'autre. Chaque pas dans notre vie devient l'occasion de se former à un regard nouveau.
Notre cadeau ne vaut rien, mais il offre tout.
Amen !
Les voyages forment la jeunesse ?
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