Lydie, première personne d’Europe à devenir chrétienne ! (Enfin, tout dépend où commence et finit l’Europe, mais nous ne traiterons pas cette question !)
Lydie : le souvenir de son baptême nous est parvenu et c’est vraiment une bonne chose, car dans le livre des Actes, le projecteur est rarement braqué sur les femmes. Il faut lire avec attention les récits si l’on veut repérer l’importance du rôle qu’elles ont eu dans les églises naissantes, comme le montrent des recherches actuelles. D’ailleurs, aviez-vous remarqué qu’à côté des 12 disciples officiels qui suivent Jésus, Luc nomme expressément plusieurs femmes?
Lydie : ère chrétienne en Europe ! si l’on évoque son nom, c’est que son identité a de l’importance ! Cette femme a visiblement un certain pouvoir : dans sa vie publique, c’est une femme d’affaires, commerçante d’un tissu précieux; dans sa maison, elle a de l’influence puisque sa famille et ses gens sont baptisés en même temps qu’elle. Auprès de l’apôtre, elle a du crédit puisqu’elle le force à rester chez elle.
Décidément, les rôles masculin/féminin, ne sont pas toujours figés dans la Bible ! Ce passage en est un bon exemple; tenez, dans notre société, on a été largement habitué à ce que des femmes inspirent des créations, des initiatives, que ce soit dans le domaine de l’art, de la religion, de la politique. De fait, ce sont plus souvent des hommes qui sont devenus célèbres pour ce qu’ils ont accompli.
Or, dans notre récit, c’est un homme anonyme et qui apparaît en rêve à Paul pour l’appeler en Macédoine et lui inspire le chemin à prendre ! Et c’est une femme avec une identité forte qui inaugure le mouvement d’essor du christianisme en Europe.
Voilà qui nous rappelle que le message évangélique a l’art de souffler un vent inattendu qui bouleverse les données habituelles. Il peut bouleverser les rôles typés des hommes et des femmes; plus largement, cet esprit qui souffle où il veut, peut transformer tous les rapports humains qui enferment dans un carcan ! (Souvenez-vous : les premiers seront les derniers/ Qui veut être le maître, qu’il soit serviteur de ses frères... )
La force de l’Évangile, c’est notamment cela : un vent qui change le cours de monde, un grain de sable qui grippe les rouages trop bien huilés et nous oblige à réviser nos manières de vivre les uns avec les autres.
Au-delà de ces rôles masculin/féminin, cet épisode nous fait partager un cheminement possible de transmission de la foi; un cheminement parmi d’autres, mais intéressant car il réussit. En effet, à la suite du baptême de Lydie, d’autres personnes se rattachent au christianisme, et plus tard Paul écrira avec bonheur à la communauté de cette ville Philippes une lettre chaleureuse.
Lydie, une histoire de transmission de la foi réussie, qui rayonne au-delà des siècles et nous interpelle. Aujourd’hui, nous traversons une crise difficile et douloureuse : comment transmettre l’Évangile autour de nous et aux générations qui suivent ? J’ai entendu tant de parents, de grands-parents dire : « Je suis très content de mes relations avec mes enfants, petits-enfants, mais je n’ai pas su transmettre la foi et encore moins l’attachement à notre église qui a pourtant tellement compté pour moi...» Ils font ce constat avec une part de tristesse. Mais le problème est plus compliqué : la société a changé tellement rapidement en quelques décennies, les manières de vivre sont marquées par l’éclatement, le mouvement, la vitesse, les compréhensions du monde se sont complexifiées, les qualités exigées dans le monde du travail ne sont plus les mêmes. Dans ces conditions, c’est difficile de savoir quoi transmettre et comment. D’ailleurs, il n’y a pas que la religion qui se pose ces questions, mais toute notre culture : nos savoir-faire, nos savoir-être que nous avons hérités de ceux qui nous précédaient, sont-ils vraiment complètement dépassés, inutiles ? Pourraient-ils être encore valables pour l’avenir qui s’annonce ?
Mais pour nous, la question de la transmission est une question vitale : car une religion qui ne se partage plus, une église qui ne rayonne plus est en train de mourir. Le Premier Testament le rappelle avec force : « Écoute les paroles, garde-les près de ton cœur et enseigne-les à tes enfants... » Y a-t-il des manières d’être ou d’agir plus adéquates que d’autres, plus bénéfiques, plus porteuses ?
Le récit de Lydie – malgré la différence de la situation – pourrait stimuler notre méditation. Observons ce qui se passe entre Paul et Lydie :
1. Lydie est une craignant-Dieu : ce mot désigne en général des personnes d’origine étrangère acquises au judaïsme. Paul choisit d’emblée le jour et l’endroit où il va pouvoir rencontrer des personnes qui vivent déjà quelque chose avec Dieu. On pourrait voir dans cet élément une sorte de préparation du terrain chez Lydie dont Paul tient compte : rejoindre d’abord ce terrain-là donne toutes ses chances à la graine du message de l’Évangile de se planter, de croître et de pousser.
Je me demande : quelle attention portons-nous au terrain dans lequel nous sommes; quel est l’arrière-fond affectif, spirituel de ceux de ceux que nous côtoyons ? Y a-t-il déjà pour eux un vécu antérieur de confiance avec Dieu ou non ? Comprenons-nous leur univers ? Une graine a de meilleures chances si on prépare la terre.
2. Quand Paul se rend au milieu des gens, il s’assied parmi eux et leur parle. Si on visualise la scène, l’image évoque une communication tout à fait à niveau. J’y entends un encouragement pour nos églises à être présentes là ou les gens se rassemblent, là où l’on a des chances de les rencontrer, s’asseoir parmi eux pour parler, d’où l’importance des aumôneries qui se développant dans cet état d’esprit dans tous les lieux possibles et imaginables et jusque dans la rue !
3. Lydie était tout oreilles, car le Seigneur avait ouvert son cœur pour la rendre attentive aux paroles de Paul. Lydie est capable d’attention, elle est disponible, prête à se laisser toucher et interpeller, grâce au Seigneur, qui ouvre les cœurs comme il ouvre les yeux d’un aveugle, les oreilles d’un sourd, la bouche du muet, les Écritures pour les disciples sur le chemin d’Emmaüs. D’après cette expression, la possibilité d’accueillir l’évangile revient à Dieu lui-même pas à nous ! On ne maîtrise pas le cheminement de foi des autres, ni même du sien sans doute.
D’ailleurs, si vous regardez votre parcours de vie, est-ce que vous distinguez ce qui a permis l’ouverture de votre cœur, de votre écoute, de votre attention ? Est-ce que vous arrivez à repérer des événements, des rencontres, des atmosphères qui vous ont rendu Dieu plus proche?
Quand on pose cette question à large échelle (et cela a été fait à plusieurs occasions), les réponses sont multiples : une atmosphère familiale de confiance en Dieu qui a laissé un goût savoureux et qu’on ne voudrait pas perdre; un obstacle dans la vie qui a forcé à chercher un sens possible; une rencontre marquante qui a bouleversé; un besoin toujours plus fort au fil du temps de vivre d’autres choses que de télé à regarder et de frigo à remplir, un besoin de renouer avec ses racines et souvent d’ailleurs le cumul de plusieurs éléments. Au milieu de cette diversité, ce qui a favorisé un chemin de foi se trouve non pas tellement dans tel ou tel événement en lui-même, mais dans la manière dont il a pu être traversé, accompagné, intégré, relié.
Oui, l’ouverture du cœur est bien un travail que Dieu opère lui-même et qui nous échappe, mais il s’appuie sur le témoignage à la fois de parole et de vie. En tant que croyants, nous avons la responsabilité de transmettre, nous ne pouvons pas l’abandonner sous prétexte que nous ne savons plus comment faire.
En nous remémorant le cheminement qui mène au baptême de Lydie, nous pouvons :
1. être attentifs au terrain dans lequel nous évoluons, pour apprendre à en tenir compte ;
2. chercher à rejoindre les gens là où ils se trouvent, en nous mettant eux et nous à niveau ;
3. nous pouvons nous risquer à partager ce qui nous habite par la parole en veillant à ce que nos attitudes ne démentent pas nos dires.
Il est nécessaire, dans la transmission de l’Évangile, de tendre vers une cohérence toujours plus grande entre notre foi et notre vie, sans quoi nous ne serons que des cymbales bruyantes qui ferment les oreilles et le cœur à la musique de l’Évangile.
Car nous sommes appelés à vivre de foi, d’espérance et d’amour, c’est-à-dire à :
- planter l’espérance au milieu de la sinistrose ambiante ;
- cultiver la confiance au milieu des angoisses ;
- soigner les relations aux autres au-delà des attirances instinctives ou des agacements inévitables et à rendre compte de notre foi qui nous pousse à vivre ainsi.
Et Dieu qui ouvre les cœurs fera le reste.
Amen !