Le chemin large ou la porte étroite : un choix de vie

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Voulez-vous réussir votre vie ? Question bateau ? et pourtant ! C'est bien ce que désire le père qui donne conseil à son fils, tel ce sage du livre des Proverbes que nous venons d'entendre, « Si tu gardes mon enseignement, tu seras heureux, tu réussiras. » Si je schématise un peu, à 20 ans, réussir sa vie, c'est devenir quelqu'un, s'intégrer dans le monde du travail et peut-être fonder une famille; au milieu de vie vers 40 ans alors que la vigueur de la jeunesse est déjà derrière soi, c'est tenir le coup en luttant au milieu d'un monde professionnel et familial rude; et à l'âge de la retraite, on se demande ai-je bien réussi ma vie?
Mais Jésus nous invite à regarder vers l'avant, quel que soit notre âge ! « Entrez par la porte étroite… » Dans ce long discours rapporté par Matthieu aux chapitres 5 à 7, Jésus enseigne à ses disciples, sur la montagne. Ils avaient répondu oui à son appel à le suivre, ils étaient tout disposés à connaître ce qu'était un disciple et ce que cela impliquait. Et que leur a-t-il dit ? Commençant par les fameuses béatitudes « Heureux les pauvres de coeur, le Royaume des cieux est à eux. », il leur montre qu'il existe une étonnante manière d'être heureux. Et fidèle à Dieu.
Car comme disent les psaumes et les paroles des sages, anciens, le vrai bonheur c'est d'observer la Loi divine. Mais pour Jésus il faut aller au centre, qui est l'amour, jusqu'au bout : « Vous avez appris qu'il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi, mais moi je vous dis: aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. » « Faites aux autres ce que vous voudriez qu'ils fassent pour vous. »

Jésus, tel un nouveau Moïse, est le guide pour le Royaume des cieux. Conscient de l'inouï de son message, il va le redire dans cette formule lapidaire : « Entrez par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mènent à la perdition, et nombreux sont ceux qui s'y engagent; mais étroite est la porte, et resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui le trouvent. »
Que veut-il donc dire avec cette image? Que pour être bon chrétien il faut en baver plus que les autres ? Ce chemin étroit est-il le symbole de l'effort moral ? Et ce petit nombre d'élus franchissant cette porte étroite, est-ce une secte de disciples que Jésus veut former ?
Rien de tout cela. Le désir profond de Jésus est que son message soit reçu de tous. Message d'amour, de liberté. Ce n'est pas de la religion avec son légalisme, ses rites, visant à obtenir par ses propres efforts des faveurs de Dieu. Jésus annonce l'irruption du Règne de Dieu, tout proche, un Dieu de tendresse, de compassion, passionné pour tous. Jésus rompt d'avec la religiosité lourde et excluante de son temps, et ouvre la voie de Dieu aux plus humbles. « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. »
Ce thème du bon et du mauvais chemin est bien connu du judaïsme qui dit toujours que le bon chemin est celui de l'obéissance à la Loi divine. Alors Jésus le reprend et va plus loin. Il associe porte et chemin. D'abord cet appel : entrez ! Il s'agit de répondre oui à l'appel de Dieu. Faire un pas décisif, entrer et marcher sur un chemin, le chemin de Jésus.
Mais alors pourquoi, pourquoi cette porte est-elle étroite ? L'image fait allusion à une porte dans une ville ou un temple : pas une porte si petite qu'il faudrait se plier pour entrer, mais simplement une porte qu'on ne voit pas facilement, qu'on louperait plutôt, parce que la foule passe tout naturellement par une large porte. Mais suivre Jésus ce n'est pas suivre une foule. De même ce chemin est resserré. Je vous raconte une petite parabole actuelle pour ceux qui aiment la montagne.
Un groupe d'alpinistes redescend vers la cabane, à la fin d'un longue journée, sur un glacier. On voit déjà la cabane. Mais deux d'entre eux refusent de passer, ayant entendu parler de crevasses sur la voie normale. Ils se séparent pour suivre un passage plus difficile dans les rochers, rejoignant la cabane par un autre chemin. Le reste du groupe, de son côté, suit la voie normale et large. Hélas, un pont de neige a cédé au passage d'une dangereuse crevasse et tous y sont tombés.

Le chemin étroit, c'est celui de Jésus. C'est celui qu'il a pris lui-même et, pour chaque disciple, c'est un chemin personnel, de foi. Le chemin large, c'est l'autre. Et Jésus désire à tout prix l'éviter à tous, mais écouteront-ils ? Le chemin large, c'est le chemin de la facilité, de la foule, le chemin qui met Dieu en dehors, ou dans la marge, ou dans sa poche. Oui, c'est une voie large, tel un fleuve où des courants vous emportent tous dans la même direction. Quels seraient ces courants ?
Il y a le conformisme, qui cherche avant tout à plaire aux autres. Il y a le légalisme, qui s'appuie sur une obéissance à des règles communes, qui dit toujours « il faut ». Il y a le ritualisme, qui cherche par sa pratique rituelle, religieuse, à s'attirer la faveur de son Dieu, d'une divinité, d'une énergie. Et puis il y a le jeunisme, qui lutte essentiellement contre le vieillissement, parce que pour ses adeptes, « Mon dieu, c'est mon corps ! »
Il y aurait peut-être encore le zenisme « Soyez zen ! » parce que l'essentiel c'est de ne pas se laisser troubler par des impressions négatives de l'extérieur : « Touche pas à ma bulle ! »
Et puis (j'invente le mot) le victimisme: nous sommes de pauvres victimes : la responsabilité de tous les maux est sur les autres, sur la société: l'Etat, l'économie, les étrangers, les religions, etc. etc.
Oui, la voie large est celle de la foule, où pourtant règnent le chacun pour soi et la loi du plus fort. Les forces qui vous y dirigent et vous manipulent sont l'égoïsme, le pouvoir, l'argent, la vitesse, l'artificiel. Des bulldozers arrachent les dernières fleurs. Des fléaux ancestraux y sévissent toujours: la faim, l'injustice, la guerre.
Voilà quelques raisons à ce mot de Jésus : c'est le chemin de la perdition, c'est à dire de la ruine. Voilà aussi pourquoi Jésus, avec une joie mêlée de solennité, appelle : « Entrez par la porte étroite ! » Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas d'un appel à une bonne moralité ou à la juste croyance, ou à devenir de meilleurs chrétiens. Jésus nous appelle à un choix décisif : être disciple de Jésus. C'est peut-être un peu difficile, pas évident, parfois à contre-courant.

Le pasteur Dietrich Bonhoeffer, résistant à Hitler, dans son livre « Le prix de la grâce » [p138], écrit au sujet de ce chemin étroit:
Être appelé à faire ce qui est extraordinaire, le faire et, cependant, ne pas voir et ne pas savoir qu'on la fait... voilà un chemin étroit ! Témoigner de la vérité de Jésus, la confesser et cependant, aimer l'ennemi de cette vérité, son ennemi et le nôtre, de l'amour inconditionnel de Jésus-Christ... voilà un chemin étroit ! Croire à la promesse de Jésus selon laquelle ceux qui obéissent posséderont la terre et cependant, rencontrer l'ennemi sans défense, souffrir plutôt l'injustice que la commettre... voilà un chemin étroit !
Mais c'est un choix de vie qui n'a pas de prix. Il y va de la réussite de la vie. Il en vaut la peine. Oui, ce chemin étroit est celui de la proximité de la terre, du pas-à-pas, des obstacles patiemment ôtés. Sur le chemin étroit, à la suite de Jésus, je peux aimer la relation plutôt que le confort, aimer l'autre plus que moi-même. Et il me le rend bien.
Et comme dit encore Bonhoeffer, ce chemin est impossible si je le suis dans l'effort de suivre un ordre, ou la peur de moi-même et des obstacles; mais si je regarde Jésus-Christ me précéder pas à pas, alors je peux le suivre.
Avez-vous réalisé à quel point la présence du Christ est bienfaisante sur ce chemin étroit qu'est le vôtre ? Si vous y marchez, avez-vous réalisé que, oui, vous avez fait le bon choix ?
Le chemin étroit est celui que doit suivre l'Église. Certes Jésus avertit : il y en a peu qui le trouvent. Cela ne veut pas dire médiocrité. Ce petit nombre est à mettre en lien avec la croix, scandale pour les uns, folie pour les autres, comme dit l'apôtre Paul. Ce n'est pas Jésus qui veut séparer son Église du monde. C'est que sa Parole, son appel, nécessite une réponse, un oui ou un non, et cette réponse sépare les chemins.
Pourtant pas question que cette séparation conduise à une attitude sectaire. Car jusqu'au bout Jésus et ses disciples seront une communauté profondément plongée dans le monde : ils sont, avec lui, sel de la terre et lumière du monde.
Que faites-vous dans ce monde ? Avez-vous choisi le bon chemin ? Jésus donne un sens à votre vie, il en fait la saveur, la couleur, il désire qu'elle soit réussie, vis-à-vis de Dieu. Où que vous soyez, où que vous en soyez dans la vie, il y a devant vous, tout près de vous, une porte, un chemin à ne pas manquer, et même s'il est difficile, c'est celui où se tient Jésus, où il marche, et c'est le chemin de la vraie vie.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Marc Dubugnon
Musique
Union chorale de Vevey, direction de Luc Baghdassarian