« Dans ma classe dit un jeune lausannois, il y a 3 musulmans, 2 orthodoxes, 2 évangéliques, 5 sans-confession, tous les autres sont catholiques, je suis le seul réformé. » Dans un monde marqué de plus en plus par l’individualisme, particulièrement dans la recherche du sens de la vie, comment parler encore d’unité ? Chacun cherche, en premier lieu, à trouver sa véritable personnalité, à définir une manière originale de se situer dans la différence. Ainsi, qui pourra dire au jeune lausannois ce qui le lie aux orthodoxes, aux évangéliques et aux catholiques face aux musulmans, par exemple ? Et est-il vraiment nécessaire de toujours valoriser sa différence contre les autres ?
La prière de Jésus : « Que tous soient un ! » est-elle une contrainte pour les croyants ? Et l’unité appelée par le Christ nous empêche-t-elle par principe d’exercer notre droit à la singularité et à la différence ?
Dans la prière sacerdotale que nous trouvons au chapitre 17 de l’évangile de Jean et dont nous n’avons lu que les derniers versets, Jésus donne à sa prière un style nouveau et original. Cette prière est à la fois empreinte de liberté de ton et d’une étonnante audace. C’est la manifestation d’un cœur à cœur. Jésus est à tu et à toi avec le Père. Il est en totale communion avec lui. Il vit avec lui une véritable passion : ils ont un projet commun, une conspiration commune. Et quel est ce projet qui les unit ainsi ? C’est de faire connaître et partager à tous ceux qui le veulent leur secret d’amour. Extraordinaire : le projet d’unité du Père et du Fils est fondé sur l’amour.
Extraordinaire, oui, parce que souvent nous nourrissons notre projet d’unité de bien d’autres ingrédients que l’amour. Et il est vrai qu’entendre : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi » rend pénible le spectacle de nos divisions. La liste est trop longue des déceptions, des malentendus ou des prétentions mal digérées. Nos projets d’unité trouvent leur racine plus souvent dans un pragmatisme lucide et résigné que dans l’immense désir d’amour que souhaitent partager le Père et le Fils ! Parfois, c’est un sentiment d’indignité qui nous pousse à remettre des projets d’unité sur le métier. L’indignité de ne pas être à la hauteur des attentes de Dieu envers nous. A la hauteur de ce projet d’unité fondé sur l’amour.
Parfois nous nous contentons du fait que chacun puisse avoir son idée de l’unité tout en faisant comme si nous avions tous la même, quitte à pousser de hauts cris quand les événements nous ramènent brutalement à la réalité. Pour les uns, ce sera voir les différences comme une richesse plutôt que comme une menace. Accepter les différentes manières de vivre en Eglise comme chance ce qui peut nous faire oublier que la rencontre régulière n’est pas à négliger. Pour les autres, l’unité sera l’attente impatiente que les frères séparés regagnent le giron de la seule vraie Eglise, ce qui peut nous faire négliger la vraie reconnaissance.
Pourtant, la seule chose qui puisse fonder nos projets d’unité, c’est de se souvenir que le Père nous juge dignes, tous, croyants que nous sommes, d’entrer dans l’amour qui l’unit au Fils. Et l’amour n’est rien d’autre que la rencontre de deux désirs qui aboutit à une communion. Et cette communion du Père et du Fils n’est pas un modèle à imiter. C’est un élan dont Dieu est le véritable souffle. Il ne s’agit pas de se mettre laborieusement au travail pour essayer de se mettre à la hauteur divine. Il s’agit de se laisser porter, emporter par le souffle d’un amour qui nous précède et nous accompagne tout à la fois. Un souffle qui nous ouvre à une spiritualité du cœur à cœur, qui met au centre le désir qui pousse vers l’autre, un désir qui est la fois moteur de relation et moteur de la prière qui nous relie à Dieu. Un désir qui est aussi une réponse à ce testament du Christ recueilli dans ce 17ème chapitre de Jean, une réponse à cette prière du Christ qui demande que tous soient un.
Nos humbles expériences d’unité, que ce soit entre nos Eglises, voire dans nos paroisses, n’en deviendront pas forcément plus simples ou faciles. Elles continueront à être jalonnées d’échecs, de stagnations, de reculs, d’efforts plus ou moins récompensés. Mais ni leur lenteur, ni leur passage dans la nuit des refus et des résistances ne pourront dissimuler que le désir mis par Dieu au cœur de l’homme de vivre en communion, fait chaque jour des brèches dans les murs qui se dressent entre les humains. Ensuite, souvenons-nous que toute communion est fruit d’un élan qui ne vient pas de nous mais qui nous précède, nous porte, transfigure nos limites, pour nous permettre de nous voir dignes d’être artisans de communion. Afin que les hommes et les femmes continuent à croire et que l’Eglise grandisse dans l’amour qui nous unit au Père et au Fils.
Oui, l’Eglise est bel et bien livrée entre nos mains, nous les porteurs de Bonne Nouvelle qui sommes tous singuliers dans notre manière de proclamer l’Evangile mais qui puisons tous à la même Source, une Source de renouveau qui secoue l’Eglise entière.
Amen !