Un homme vient à la rencontre de Jésus, en sortant des tombeaux.
L’homme n’a pas de nom, mais il se donne le nom de « Légion », car il est possédé par de nombreux démons » qui l’obligent continuellement à s'infliger des sévices afin de le faire souffrir D'une force herculéenne, il terrorise la région. Une telle conduite extrême montre que la possession démoniaque n'est pas une simple maladie ou aliénation mentale, mais une tentative désespérée des démons pour déformer et détruire l'image de Dieu dans l'homme.
Quand « Légion « voit arriver Jésus, il est obligé de se prosterner, car il connaît sa puissance divine. Il tente de se défendre, il hurle le nom de Jésus, Fils du Dieu Très Haut, il supplie de ne pas le punir, il tergiverse, il négocie, il sait que sa carrière de « Légion » est terminée.
Dans les anciennes croyances, les démons sont des forces obscures, des puissances secrètes et personnifiées qui provoquent des maladies, manipulent les sentiments, suscitent en la personne des réactions de violence, de discorde, de conflit ou encore mettent en exergue tout ce que la personne a de mal en elle.
Un combat de la personne avec ses doutes, avec son désir de pouvoir, avec ses faiblesses, ce combat que l’apôtre Paul exprime si bien lorsqu’il dit « … le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. » (Rom. 7, 19)
Je pense qu’Henri-Alexandre Junod, le grand-père que je n’ai pas connu, était ce que l’on appelle aujourd’hui « un être surdoué ».Il s’intéressait à la botanique, à la nature, à toutes les manifestations de la vie. Il herborisait et faisait des collections de papillons. Tout jeune missionnaire, il a acquis des connaissances médicales et chirurgicales. Il jouait du violon, il aimait les Lettres et les langues, oui c’était un homme aux nombreux intérêts très diversifiés.
Cet homme sérieux, profond, imposant a traversé dans sa jeunesse des moments de doute, d’angoisse et de combat, trop pudique pour en parler. Pour utiliser un langage imagé, je suis convaincue qu’il lui a fallu faire taire les démons qui étaient en lui. Il a très certainement traversé les tensions entre les choix qui correspondaient à ses désirs, ses envies, sa manière de vouloir gérer sa vie et les choix qui lui étaient imposés de l’extérieur. Dans sa biographie, on lit « ce fut contre ses propres goûts, contre son inclination naturelle, contre ses capacités scientifiques que sa vocation se dressa. »
Il aurait pu choisir de rester en Suisse, d’envisager une carrière scientifique, universitaire, d’avoir une vie de famille agréable sans traverser ces deuils qui ont assombri sa vie conjugale et familiale. Mais comme dit un proverbe portugais : « Dieu écrit droit par des lignes courbes. » Quand on choisit de faire confiance au Seigneur, on ne sait pas où l’on va être conduit et l’on n’est plus maître de sa vie.
C’est vrai aussi pour le démoniaque qui ne sait pas où il va être conduit. Guéri, libéré de ses démons, l’homme veut s’attacher à son guérisseur, mais voilà : sa candidature spontanée est refusée, car c’est toujours Dieu qui appelle.
Les récits de vocations sont parmi les pages les plus impressionnantes de la Bible. Ils mettent en présence Dieu dans sa majesté et son mystère et l’être humain dans sa vérité, sa peur, sa générosité, dans ses résistances et dans son accueil . « Va ! » Tel est l’impératif que Dieu adresse. Impossible de ne pas obéir. On ne discute pas, même si certains ont essayé :
- Qui suis-je pour aller vers le Pharaon demande Moïse, je ne suis pas doué pour la parole, j’ai la bouche lourde et la langue lourde… ?
- Jusqu’à quand dois-je parler au peuple ? interroge Esaïe.
- Je suis bien trop jeune, répond Jérémie.
Jésus a appelé des hommes à le suivre, à tout quitter pour mettre leurs pas dans les siens. En lisant les évangiles, on sent que toute la prédication est un appel à le suivre. « Viens, suis-moi ! », tel est l’impératif de Jésus qui s’engage à précéder chacun, chacune sur son chemin de vie. Jésus a guéri l’homme des tombeaux, mais il ne l’appelle pas.
Qu’en est-il d’Henri-Alexandre ? On lit dans la vieille Bible familiale : « Le 17 mai 1863, encore un dimanche, mais cette fois-ci une demi-heure après le culte, le Seigneur a daigné nous donner un fils, que nous Lui avons consacré comme Samuel, et par le baptême le 7 juin suivant, sous les prénoms de Henri-Alexandre. Puisse-t-il ratifier lui-même, le plus tôt possible, cette consécration par le dévouement de toute sa vie au service de son Dieu et de ses frères.
C’est en 1878, lors des « six semaines «de son instruction religieuse qu’Henri-Alexandre a entendu l’appel de Dieu, clair et net. Il a alors compris que ses goûts pour la science devaient passer à l’arrière-plan et qu’il devait se vouer à la carrière pastorale. Vocation qui a été reconnue par l’Église lors de sa consécration le 27 octobre 1885, alors qu’il avait 22 ans et demi.
Dans la tradition protestante, la vocation concerne toutes les activités humaines. C’est le lien entre « Beruf-Berufung « de Martin Luther, intraduisible en français qui dit le lien entre le métier et la vocation. Chaque être humain est appelé à servir Dieu là où il vit et travaille.
Les « vocations « sont–elles transmissibles ? Il y a des familles où le métier se transmet de père en fils, de mère en fille, générations d’agriculteurs, de vignerons, de médecins, de boulangers, d’avocats, de théologiens, et j’en passe ! Ainsi chaque nouvelle génération reprend le flambeau de la génération précédente en l’adaptant à l’environnement de la société.
Pour les parents d’Henri-Alexandre, il était évident que le premier fils des 6 enfants – il est le quatrième – continue l’histoire pastorale de la famille, c’est ce qu’il a fait, mais il n’est pas devenu pasteur de paroisse en Suisse, comme ses ancêtres. Il a choisi la voie missionnaire au loin.
Quelle influence sur ses descendants ? J‘ai envie de dire que l’on retrouve les intérêts d’Henri-Alexandre en chacun d’eux, jeunes et moins jeunes. L’ intérêt pour la musique, plus précisément pour le violon, pour les sciences en général, pour la médecine, pour l’anthropologie, les langues, la théologie est dispersé sur ses descendants, comme si chacun portait et perpétuait, là où il est, une des caractéristiques de son ancêtre.
Mais revenons à l’homme guéri par Jésus, assis, vêtu, dans son bon sens. L’histoire pourrait s’arrêter là. L’homme a retrouvé une attitude humaine, une dignité qui autorise les relations. C’est la fin de l’aliénation antérieure.
Seulement Jésus ne veut pas d’un homme qui reste assis. Il faut qu’il se relève pour être debout. Jésus ne répond pas au désir de l’homme qui veut le suivre, mais il lui donne une mission : « Va dans ta maison auprès des tiens, rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde ! »
Va... ! l’impératif de Dieu ! Mission difficile qui est une forme d’appel. Premièrement, l’homme doit accepter de suivre Jésus en le quittant. Deuxièmement, l’homme va se retrouver chez lui, c’est à dire là où tout le monde a connaissance de son passé, chez des gens qui l’ont étiqueté comme étant le « fou dans les tombeaux ». Troisièmement, il doit parler de ce qui lui est arrivé, pas pour s’en vanter mais pour orienter le regard des gens vers Celui qui l’a guéri.
Nous ne connaissons pas la suite de l’histoire, mais il est fort probable que cet homme soit à nouveau confronté aux démons. Aux démons intérieurs qui vont tenter de l’éloigner de sa mission, aux démons du monde qui rendront sa mission compliquée et difficile. Personne ne sait l’influence qu’a eue cet homme. A-t-il revu Jésus par hasard un jour en marchant ? A-t-il créé une première communauté en terre païenne ? A-t-il eu des enfants qui ont repris le flambeau et sont devenus témoins du Christ crucifié ressuscité ?
En revanche, nous connaissons la vie d’Henri-Alexandre. Il s’est levé, il a quitté ses repères familiaux pour une vie dure de missionnaire en terre étrangère. Il a lui aussi combattu les démons intérieurs : envie de revenir en Suisse et tant d’autres épreuves qui essaient de le détacher de Dieu. Mais Henri-Alexandre fait front, car il les considère comme des moyens dont Dieu se sert pour mieux l’unir à lui.
Il y avait aussi les démons du monde, le sopé, cette eau-de-vie qui est son grand ennemi, la polygamie et l’hostilité des chefs. Avec l’apôtre Paul, Henri-Alexandre pourrait dire « Alors que nous venons de souffrir et d’être insultés, comme vous le savez, nous avons trouvé en Dieu l’assurance qu’il fallait pour vous prêcher l’Évangile à travers bien des luttes. »
Mais il ne faut pas oublier les petits bonheurs, les grandes joies, les rencontres avec les Africains qu’il a toujours considérés comme des êtres humains à part entière, son activité littéraire considérable avec la Grammaire Ronga et la traduction de la Bible ainsi que ses recherches scientifiques qui l’ont mis relation avec des savants du monde entier.
Pour lui, il y a un appel et une mission qu’il résume ainsi : «l’appel c’est l’obéissance au devoir religieux ; la mission c’est le service militaire de l’Église : il faut obéir pour conquérir. »
Son influence est grande, probablement plus importante à l’extérieur de la famille qu’à l’intérieur, car comme dit le proverbe « nul n’est prophète dans son pays ! »
Dans quelques jours sera inauguré un Centre là où il a vécu et est enterré avec sa seconde femme. Ce centre à Ricatla manifeste que ses recherches, ses nombreux travaux, ses traductions ont porté leurs fruits.
Puisse son travail nourrir des générations d’hommes et de femmes qui le feront évoluer en tenant compte de leurs besoins et de l’environnement de la société. Soli Deo Gloria.
Amen.
Le culte radio, entre la Suisse et le Mozambique (2/3)
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