Mettre notre soupir dans celui de Dieu

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Il n’y a que 2 récits de guérison dans tout l’Ancien Testament, c’est décevant. Et quand je dis que c’est décevant, je ne dis pas que je suis déçu, mais je dis que Jésus est déçu, que Dieu est déçu. Et je le lis aussi : « Nul n’est prophète en son pays. En vérité, il y avait beaucoup de lépreux en Israël du temps d’Élisée et cependant aucun ne fut purifié, seulement Naaman (un Syrien). » C’est intéressant de pouvoir lire un récit de l’Ancien Testament tel que Jésus le voit, tel que Jésus le comprend. Et Jésus le comprend comme une terrible déception. Il y a beaucoup de lois dans l’Ancien Testament et très peu de récits de guérisons. On aimerait que ce soit l’inverse qui soit vrai ! C’est le cas dans l’Évangile. Jésus rattrape le temps perdu en quelque sorte. Pourquoi y en a-t-il si peu ?
C’est justement la leçon que nous sommes invités à entendre aujourd’hui en relisant ce récit. L’histoire de Naaman, en hébreu comme en arabe Na’am qui veut dire oui ! C’est ce petit mot que nous entendons lors de nos récits de voyage au Moyen-Orient ! Na’am, na’am, oui, oui ! Finalement l’itinéraire de Naaman, c’est l’itinéraire de quelqu’un qui a su dire : « Oui ». Mais cela n’a pas été facile, vous l’avez entendu. Il a fallu presque toucher terre et c’est quelque chose que nous avons du mal à faire, empêtrés que nous sommes dans nos théories du soupçon, enrichis jusqu’à en être sclérosés, incapables de se prosterner.
Tout a commencé par un soupir et ce soupir c’est une petite jeune fille qui l’a exprimé. Peut-être que tout commence par un soupir finalement. Ah, si mon maître pouvait connaître le prophète qui est à Samarie, je suis sûre qu’il le délivrerait de sa lèpre. Simple expression de foi, qui dépasse toutes les frontières. Ah, si mon peuple pouvait connaître mon Fils que j’ai envoyé sur terre, je suis sûr qu’il le délivrerait de sa lèpre ! Même soupir, le soupir est le début de toute véritable histoire finalement, histoire d’amour : Ah, si… ! si jamais… ! Chaque événement aussi, chaque rêve commence par un soupir : Ah ! Le soupir voyage de cœur à cœur et elle en parle à sa maîtresse qui le soir venu en parle sans doute à son mari, Naaman. Et si c’était vraiment possible, crois-tu ? Il en parle à son roi dont il est le vizir, le premier ministre, le chef d’armées si vous voulez, un homme béni puisqu’il rencontre des victoires. Et le roi prend la chose très officiellement avec tout le pouvoir et l’arrogance des rois. Il écrit une lettre, sommant peut-être le roi d’Israël d’agir, comme si tout se passait entre rois, comme si c’était le roi qui devait guérir. Le roi d’Israël reçoit cette lettre et il en est fort abattu. Il est même véritablement endeuillé, il la prend pour lui. Et il s’arrête.
Le problème c’est qu’avec lui, la parole s’arrête aussi. La parole est confisquée, le soupir de la jeune captive n’existe plus. Il ne voyage plus, il est tombé, il est dans un cul-de-sac, comme toutes les paroles que nous confisquons, comme tous les soupirs que nous ne transportons pas plus loin, comme tous les rêves que nous brimons. La parole est perdue ; il faut la remettre en circulation. Et c’est là que le prophète agit. Il s’adresse au roi de son propre pays, au roi d’Israël et lui dit : Qu’il vienne, qu’il sache lui (puisque toi tu ne sembles pas le savoir !) qu’il y a un prophète en Samarie : Élisée, c’est-à-dire moi ! Et là quand même le roi d’Israël se laisse faire enfin. Et la parole circule de nouveau ! Le soupir de la captive, le rêve de Naaman conjointement circulent de nouveau et Naaman peut surfer sur cette parole et arriver près d’Élisée, lépreux mais confiant. Parole libérée, le prophète est celui qui libère le soupir de Dieu.

Le ministère de Jésus sur cette terre est un ministère de délivrance, mais ce qui est libéré avant tout c’est l’expression du soupir de Dieu. Ah, si mon peuple pouvait connaître le Fils que je lui envoie, je suis sûr qu’il serait délivré de sa lèpre ! Mais Élisée ne bouge, Élisée n’est pas comme un roi qui veut s’attirer tous les honneurs, signaler sa présence à chacun de ses déplacements : Regardez bien, je suis là parmi vous. Non, Élisée est un homme qui sert son Dieu et qui lui laisse toute la place. Il ne bouge pas, il envoie à son tour simplement une parole qui peut guérir : Mais il va falloir que tu laves sept fois, c’est-à-dire divinement dans le petit fleuve qui est là, qui s’appelle le Jourdain !
Naaman n’en revient pas et le soupir de la jeune captive cesse de vivre à nouveau. Cette parole n’est pas assez grande pour lui. Il aurait préféré un exorcisme, il aurait préféré être littéralement possédé, puis libéré. Il ne cherchait pas un prophète, il cherchait un chaman, comme les gens d’aujourd’hui ils sont souvent à la recherche d’un chaman, qui leur pratiquerait des tas de délivrances bruyantes, charismatiques. Non, Élisée ne bouge pas et Naaman est seul. Que va-t-il faire de cette parole ? Ben, il n’en fera rien, cette parole ne circulera pas et pourtant si, grâce à l’intervention de quelqu’un d’autre. Qui ? Un petit serviteur qui lui dit quoi en substance : Tu sais, Naaman, si le prophète t’avait dit de faire quelque chose d’immense, d’aller à Lourdes à pieds joints ou à genoux, tu l’aurais fait ! Et nous le faisons volontiers, mais juste là te baigner divinement, totalement, complètement en sachant que l’eau qui coule sur toi n’est rien d’autre que l’eau du baptême, ça tu ne peux pas le faire ! Elle est grande, la parole du prophète, Naaman, pour moi qui suis un homme petit à ton service, elle est grande ! C’est percutant, la parole du serviteur. Mais ça va percuter une âme. Ce sont les petits qui nous percutent parfois, n’est-ce pas ?
Et Naaman finit par se résoudre et il réfléchit en se disant : c’est vrai, je l’aurais fait. Si on m’avait dit : Retourne à Damas et jette-toi dans le vide depuis le grand pont, je l’aurais fait. Alors pourquoi est-ce que je ne ferais pas ce que Dieu me demande, à savoir me prosterner devant lui ?

Il le fait. Il revient. Il est guéri. Maintenant il veut payer, 350 kg d’argent, ça veut dire peut-être 8 à 10 chameaux, plus de l’argent. Mais la guérison c’est comme la perle dans le champ de la parabole du royaume de Jésus. On achète le champ, mais la perle est gratuite. C’est une nouvelle défaite pour Naaman. Désormais, il sera endetté à l’égard de Dieu, comme nous le sommes tous. C’est gênant, n’est-ce pas d’être endetté ? C’est une tare dont on veut bien se passer. Et pourtant c’est endetté qu’il reprendra le chemin de Damas, endetté mais libéré, comprenant que la dette en question est celle d’une grâce, impossible à rembourser, endetté jusqu’à la fin de ses jours.
Peut-être notre grandeur consiste à refuser cette dette ! Si le centre de gravité chrétienne a déserté l’Occident, c’est bien peut-être à cause de cette grandeur. Si le centre de gravité tombe sur des peuples au cœur simple qui se prosternent, c’est bien peut-être à cause de notre richesse. Les paroles qui expriment des rêves ne sont plus répercutées, les soupirs des jeunes même lorsqu’ils ne sont pas captifs ne sont pas écoutés, les grands itinéraires qui mèneraient aux guérisons ne commencent même pas. Trop grands, trop riches, trop soupçonneux, il nous faut entendre aujourd’hui la parole du Christ : il y a beaucoup de lépreux chez vous, mais c’est ailleurs que Dieu les guérit. Si Dieu soupire avec nous, si nous savons mettre notre soupir dans le sien, nous avons toutes les chances de nous relever après nous être prosternés.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Louis Leuthold
Musique
Madrijazz, direction Jean-Luc Dutoit