Écouter le culte :
Lorsque Jésus apprend que son ami Lazare est tombé gravement malade, Jésus se trouve en un lieu qui n'est pas n'importe quel lieu : nous apprenons en effet, en lisant le chapitre qui précède, qu'il se trouve « au-delà du Jourdain ». (Jn 10, 40) Et qu'il est retourné là où il avait été baptisé par Jean, là où ce même Jean témoignera qu'il avait « vu l'Esprit tel une colombe descendre du ciel et demeurer sur Jésus ». (Jn 1, 32) Jésus est donc retourné sur les lieux où, pour lui, tout avait véritablement commencé, il est retourné sur les terres où s'enracine la source de sa vocation.
Or, ce retour de Jésus aux sources de son ministère arrive à un moment charnière de son histoire. En effet, nous apprenons toujours dans ce chapitre 10 qui précède le récit de Lazare, qu'il a rejoint le lieu de son baptême fuyant Jérusalem, menacé qu'il était de lapidation. La pression et les menaces sur sa personne s'intensifient. A chaque jour qui passe l'étau se resserre. Alors, afin de se protéger et de prendre du recul Jésus revient prendre des forces « au-delà du Jourdain », là où tout a commencé.
Mais la réalité le rattrape très vite et c'est dans ce contexte qu'il apprend la maladie de son ami Lazare. Jésus - et ce malgré les risques encourus et les appels à la prudence de ses disciples - décide de se rendre au chevet de son ami. Mais son intention est clair. Au lieu de fuir la menace et rester à l'abri, il décide de répondre à tous ses détracteurs par un dernier signe, un signe qui, espère-t-il, finira par les convaincre que oui, en vérité, il est bien l'envoyé du Père et qu'à ce titre vie et mort sont entre ses mains. Je cite : « Cette maladie n'aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu. » (Jn 11, 4) Face à la forte opposition qu'il rencontre, Jésus n'a pas d'autre choix que de manifester au monde que, oui, il a le pouvoir de vaincre la mort, qu'il a le pouvoir non seulement de susciter la vie mais aussi de la ressusciter. Tel est son projet lorsqu'il quitte le bord du Jourdain direction le village de Béthanie, village situé à un jet de pierre de Jérusalem.
Arrivé sur place, il rencontre tout d'abord Marthe, une des deux sœurs de Lazare. C'est là qu'il apprend que Lazare a succombé à sa maladie. On sent même comme une pointe de reproche dans la bouche de Marthe. Le dialogue se poursuit. Or, nous voyons bien que même si Marthe manifeste une totale confiance envers son maître, elle n'est pas en mesure d'imaginer une seconde que Jésus va, en réalité, ressusciter Lazare sur le champ. Car, pour Marthe, comme elle le dit elle-même : « Lazare ressuscitera, certes, mais au dernier jour. »
Alors Jésus, en un très court échange avec Marthe, va resituer le véritable enjeu dès lors que nous parlons de résurrection. Dans ce dialogue absolument précieux pour notre vie de foi, Jésus tente de dire à Marthe que l'important n'est pas de savoir si elle croit ou non à la résurrection mais si elle croit ou non en Jésus, fils de Dieu, envoyé parmi les humains pour manifester l'amour de Dieu. Car comme il le déclare à Marthe : « Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Ce qui est absolument décisif ici est, avant toutes choses, la relation que Marthe est prête à établir avec Jésus, que Marthe est prête à vivre avec lui, qu'elle est disposée à engager jour après jour avec lui. Et Jésus de lui dire : si tu me fais confiance, si tu crois en moi, alors notre relation ne peut pas avoir de fin ; alors elle se poursuivra au-delà de la mort.
Ce dialogue terminé, voilà que c'est au tour de Marie, l'autre sœur de Marthe, de rejoindre Jésus. Et là, il va se passer une chose à laquelle personne ne s'attendait et j'ose le dire, même pas Jésus. Ce dernier, rappelons-le, est là pour marquer un grand coup ; puisque tant de personnes se refusent à croire en sa divinité il se dit que la seule façon est de toucher à ce qui est au cœur du pouvoir de Dieu : la vie ! A ce stade, Jésus sait qu'il va ressusciter Lazare, que d'ici quelques secondes, il sera à nouveau parmi les siens. Or, qu'arrive-t-il à cet instant précis où, tout en s'approchant du tombeau, Jésus voit Marie et tous les amis de Lazare pleurer son départ ? Qu'arrive-t-il à Jésus ? Leur dit-il : ne pleurez pas et regardez ce qui va maintenant se passer ? Non, dans ce qui est connu comme le verset le plus court de toute la bible, mais un verset combien central pour comprendre la personne de Jésus, voici ce qui nous est donné à connaître et méditer : « Jésus pleura ». (Jn 11, 35).
Jésus est tellement en sympathie avec celles et ceux qui sont plongés à ce moment-là dans la tristesse, dans le chagrin, qu'il pleure avec eux. Savoir que Lazare sera en vie dans quelques secondes ne l'empêche pas de partager les sentiments de tristesse et de chagrin qu'éprouvent la famille et les amis du défunt. Par ces deux mots, « Jésus pleura », il nous est dit que la souffrance est une réalité que Jésus, tout fils de Dieu qu'il est, tout détenteur de la puissance divine qu'il est, il nous est dit que le même Jésus se solidarise de toute forme de souffrance.
C'est là une bonne nouvelle. Jésus est solidaire de nos vies. Il n'y a pas de fuite en avant. Il est certes le Fils de Dieu capable, et il va le monter, oui capable de ressusciter Lazare mais il est aussi et en même temps homme parmi les hommes. Par là-même il nous indique un chemin et surtout comment nous pouvons progresser en humanité; comment à l'image de ce que Paul a pu écrire, comment nous pouvons apprendre à bénir et non maudire ceux qui nous persécutent ; comment nous pouvons apprendre à nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie et pleurer avec ceux qui pleurent (Rm 12, 14, 15).
St Augustin a très justement écrit : Pourquoi Jésus a-t-il pleuré ? Et de répondre : il a pleuré pour enseigner aux hommes à verser eux-mêmes des larmes. Oui, Jésus a pleuré pour enseigner aux hommes à verser eux-mêmes des larmes. Et en réalité, ce sentiment fraternel envers nos semblables a déjà cours ; pour peu que nous y prenions garde, des signes de cette solidarité humaine nous sont donnés quotidiennement et sont comme des petites résurrections qui permettent à la vie de croître et de fleurir.
En voici un exemple, parmi tant d'autres, un exemple qui est la parfaite illustration de cette humanisation à laquelle le Christ nous invite :
Après le sinistre du 11 mars 2011 au Japon, un secouriste d'origine étrangère raconte l'histoire suivante : Hier soir, j'ai été envoyé dans une école primaire pour aider le comité d'autogestion à distribuer des rations alimentaires aux sinistrés. Au bout de la longue file d'attente sinueuse, j'ai remarqué un petit garçon de 9 ans environ, qui n'avait sur lui qu'un tee-shirt et un short. Il faisait très froid et comme il était le dernier, j'ai craint que quand son tour viendrait, il ne lui reste plus rien à manger. Je me suis approché pour lui parler. Il a dit qu'il était à l'école quand le tremblement et le tsunami étaient survenus pendant le cours d'éducation physique. Son père qui travaillait non loin de là avait accouru à l'école. Du balcon du troisième étage de son école il avait vu son père avec sa voiture emmenés par le courant d'eau. Il était sûr que son père était mort. Quand je lui ai demandé où était sa mère, il a dit que sa maison se trouvait au bord de la mer. Il ne pensait pas que sa mère et sa sœur aient pu se sauver à temps. Le petit s'est tourné pour essuyer rapidement ses larmes après m'avoir donné ces renseignements sur ses proches. Pensant qu'il avait froid j'ai enlevé ma veste pour l'envelopper. C'est alors que le sac contenant ma ration alimentaire du soir est tombé de la poche de ma veste. Je l'ai ramassé et lui ai donné en disant : « Il est probable qu'il n'y aura plus de nourriture pour toi quand viendra ton tour ; c'est ma ration, j'ai déjà mangé, mange-là pour apaiser un peu ta faim. »
Le petit garçon a pris mon sac de vivres et s'est courbé en guise de remerciements. J'ai cru qu'il allait dévorer tout de suite le contenu du sac. Mais non, il est allé directement à l'endroit où se trouvaient les secouristes et a déposé le sac dans la boîte des rations que ceux-ci étaient en train de distribuer ; puis il est retourné à sa place dans la file. Fort étonné, je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas mangé et avait remis le sac dans la boîte. Il a répondu : « Il y a d'autres personnes qui ont peut-être plus faim que moi. C'est plus juste de faire ainsi pour que les secouristes puissent faire une distribution collective à tout le monde. »
Après avoir entendu cela, je me suis tourné pour pleurer, de peur que les autres ne me voient. C'est si émouvant ! C'est prodigieux qu'un enfant de 9 ans puisse m'enseigner une leçon de conduite humaine au moment le plus malheureux de sa vie. Et le secouriste de conclure en disant : « Le Japon se trouve actuellement dans les heures les plus critiques du désastre, mais il est certain qu'il se relèvera plus fort grâce à ses citoyens capables du sacrifice de soi dès leur petit âge. »
Chers frères et sœurs, même un enfant de 9 ans peut nous apprendre ce que veut dire progresser en humanité, ce que veut dire rire avec ceux qui rient mais aussi pleurer avec ceux qui pleurent. Oui, tout comme cet enfant, de sa propre initiative, a su de la plus belle des façons manifester sa solidarité envers ses autres frères et sœurs en humanité, de même Jésus, tout fils de Dieu qu'il est et peut-être aussi pour cette raison même, pleurera avec ceux qui pleurent, accueillera la souffrance de ceux qui souffrent. La suite du récit, nous la connaissons. Jésus s'approcha de la grotte où Lazare était enseveli. On roula la pierre. Il adressa une prière de reconnaissance à son Père et d'une voix forte, commanda à Lazare de sortir du tombeau.
Et, comme acte ultime de libération, il ordonna : « Déliez-le et laissez-le aller. ». En d'autres termes, laissez Lazare prendre toute la mesure de ce qui lui est arrivé, donnez-lui le temps de réaliser l'œuvre accomplie par Dieu, à lui de décider, librement, si oui ou non il veut construire sa vie en lien avec Jésus, le Christ. A lui de décider, s'il veut entrer sur ce chemin où tout disciple du Christ sera invité à rendre compte au monde de l'espérance qui l'habite et à poser dans le monde des paroles et des actes porteurs de vie et d'avenir.
Amen !