Culte transmis de Saint-Laurent-Eglise, Lausanne

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Jean Chollet
La question que nous allons nous poser maintenant est la suivante : y a-t-il une place pour le rire – ou l’humour - dans la bible ? Et y a-t-il une place pour l’humour dans la spiritualité ?
Dans la Bible hébraïque, l’Ancien Testament, on rit, on se moque des ennemis de Dieu. Et le premier qui rit, c’est Dieu.
Psaume 2 :
« Les peuples s’agitent
Les rois de la terre se préparent au combat.
Ceux qui ont le pouvoir se réunissent contre le Seigneur et contre le roi choisi par lui
Mais il rit, celui qui est assis dans le ciel.
Le Seigneur se moque d’eux. »

On se moque aussi des monstres marins qui hantent l’imaginaire collectif. Le « Leviatan », par exemple, ce monstre à mi-distance entre le dragon, le serpent et le crocodile, ce monstre dont l’histoire fait peur à tous les marins
Psaume 104
« Tu as fait beaucoup de choses, SEIGNEUR,
Voici la mer : elle est immense et s’étend partout.
Les animaux, petits et grands, remuent en elle.
Qui peut les compter ?
Là, des bateaux vont et viennent
Avec le Leviatan, que tu as formé pour jouer avec lui. »

Vous avez entendu ? Le Leviatan, c’est pour jouer ! Le Leviatan, c’est le duplo de Dieu. Et c’est avec cette même ironie que le Psalmiste ridiculise les idoles.

Psaume 135
« Les dieux des autres peuples sont des statues en argent ou en or, fabriquées par des hommes.
Elles ont une bouche, mais elles ne parlent pas.
Elles ont des yeux, mais elles ne voient pas.
Elles ont des oreilles, mais elles n’entendent pas. »

C’est cette même ironie aussi qu’apprécie particulièrement le prophète Elie quand il jette un défi aux 450 prophètes de Baal et se moque de leurs invocations rituelles :
I Rois 18,27
« Criez plus fort !
C’est un dieu.
Il a des soucis ou des affaires
Ou bien il est en voyage.
Peut-être il dort.
Criez plus fort !
Il se réveillera. »

Mais, dans la Bible, on ne se moque pas uniquement des faux dieux ou des faux prophètes. On se moque aussi – ou on sourit – de ses propres héros.

Samson, par exemple, le costaud, le caïd, l’homme capable d’assommer 1'000 Philistins avec une mâchoire d’âne, sera incapable de résister aux papouilles de Dalila et cette faiblesse le conduira à tourner en rond, dans une prison, comme un âne.
Saül - à l’époque où il poursuit David pour le tuer – entre un jour dans une grotte « pour se soulager ». Et c’est pendant qu’il satisfait ses besoins naturels que David coupe un morceau de son manteau. Assez cocasse pour un roi, non ?
Et David, qui s’attire le mépris de la fille de Saül parce qu’il a dansé en petite culotte devant l’Arche !

Non, sérieusement, est-ce qu’on était obligé de garder ces passages dans les textes bibliques ? Ce ne sont pas des épisodes à la gloire des héros d’Israël !
Eh bien si. On les a gardés, et racontés et répétés et finalement écrits et recopiés parce qu’on sait avoir un peu d’humour sur soi et sur ses héros. Parce que cela permet, comme on le dit un peu pompeusement quand on veut faire sérieux « une autre lecture » de la situation ou du personnage et que cela évite les dogmatismes trop lourds. (Bon, là c’est moi qui deviens pédant. Vite : un exemple.)

Un théologien plutôt libéral se rend un dimanche dans une église où un groupe charismatique est en pleine louange.
- Loué sois-tu, Seigneur d’avoir ouvert les eaux de la Mer Rouge au peuple d'Israël !
Le sang du théologien libéral ne fait qu’un tour et il ne peut s’empêcher d’intervenir pour expliquer comment les choses se sont véritablement passées.
- C'était la mer des joncs, la mer des roseaux, une mer peu profonde, 10 cm d’eau à peine, et Moïse connaissait des passages où il y en avait en moins. Il a donc guidé son peuple en un lieu où la mer était particulièrement peu profonde, etc., etc.
L'enthousiasme de l'assemblée se refroidit et le théologien sort de l'église, convaincu d'avoir contribué à éclairer des chrétiens sur la compréhension de l'Écriture. Mais à peine sorti, il entend la louange qui reprend de plus belle. Il se précipite à l’intérieur de l’église et qu’est-ce qu’il entend ?
- Loué sois-tu, Seigneur Dieu, Eternel des armées, Dieu tout puissant, Yahvé Tseba hot, parce que toi seul es capable de noyer toute l’armée d’un pharaon dans 10 cm d’eau !

Dans l’Ancien Testament, au-delà de l’humour sur les faux dieux et de l’humour sur les puissants de ce monde, l’humour le plus fort, c’est celui qui naît du décalage entre la réalité humaine et l’incroyable promesse divine. L’exemple le plus fameux, c’est Sarah, bien sûr.

Genèse 17, 15-17
« Dieu dit à Abraham : « N’appelle plus ta femme Saraï. A partir de maintenant, son nom sera Sara. Je la bénirai et par elle, je te donnerai un fils. Oui, je la bénirai : elle deviendra la mère de plusieurs peuples et des rois naîtront d’elle ». Et Abraham se met à genoux, le front contre le sol. Et il se met à rire. « Moi, j’ai cent ans, est-ce que je peux devenir père ? Et Sarah a nonante ans… est-ce qu’elle peut avoir un enfant ? »

Et je suis certain que ce n’était pas un petit rire, le rire d’Abraham. Pas un rire type Giscard d’Estaing. Abraham a dû la trouver bien bonne. Il est là, par terre, le front contre le sol et il ne peut plus se relever tellement il rit ! Des comme ça, on n’en entend pas tous les jours. Et Isaac, le nom de son Fils veut dire en hébreux : il a rit !

Donc, dans la Bible hébraïque : on rit. Et dans le Nouveau Testament ? Est-ce que je Jésus riait ?

St Jean Chrysostome, Baudelaire, Bossuet : tous ont considéré comme une évidence que Jésus ne riait pas. – Peut-être ne faut-il pas perdre de vue que St Jean Chrysostome, Baudelaire, Bossuet n’avaient pas la réputation d’être particulièrement drôles. Il n’empêche : pour eux, Jésus ne riait pas. Pour eux, impossible d’admettre que celui qui allait donner sa vie pour les hommes, se soumettre à la volonté de son Père jusqu’à la mort en croix, devenir l’agneau sans tache qui rachèterait l’humanité pécheresse pouvait rire !
A l’appui de cette thèse, nombre de théologiens ont fait remarquer que les Evangiles nous montrent Jésus en train de pleurer (Jn 11/35), de manger (Lc 24/43), de boire (Jn 4/7), voire de dormir (Mc 4/38), mais jamais en train de rigoler.
A ces objections, on pourrait répondre 3 choses :
o D’abord que les Evangélistes disent explicitement qu’ils n’ont pas mis par écrit tout ce qu’ils ont vécu avec Jésus ou tout ce qu’ils ont vu, mais seulement les paroles, faits et gestes de Jésus susceptibles, selon eux, de susciter ou conforter la foi de ses disciples (cf. Jn 21/25). On peut donc imaginer que les éclats de rire ou les sourires de Jésus - tout comme la couleur de ses yeux, la longueur de ses cheveux, la rondeur de son ventre ou son goût pour le pudding - ne constituaient pas, aux yeux des évangélistes, des éléments utiles à consigner pour « conforter la foi des fidèles ».

o On peut aussi raisonner par l’absurde et se demander pourquoi on aurait invité Jésus et ses disciples aux noces de Cana, s’ils avaient eu autant d’humour qu’un croque-mort ! Un jour de fête, en général, on évite la compagnie des rabat-joie ! D’ailleurs, dans l’Evangile, on accuse Jésus d’être « un ivrogne et un glouton », ce qui laisse clairement entendre que son comportement tranche sur celui de son austère cousin Jean le Baptiste (cf. Mt 11/18-19) qui était pour le moins « sérieux ».

o Enfin, comme prédicateur, on est en droit de penser que Jésus n’était pas trop rasoir, puisque, nous dit l’évangéliste Marc, « la foule nombreuse l’écoutait avec plaisir » (Mc 12/37) Pas avec « intérêt », avec « concentration », non, avec « plaisir ».

Décidément, Jésus n’est pas a priori le type même de l’austère prédicateur au doigt levé, aux sourcils broussailleux froncés et à la voix tonitruante. Même si certains films ont voulu nous le montrer ainsi.
Bien entendu, pour déceler l’humour, peut-être faut-il un peu de disponibilité ! C’est comme aller aux champignons. Et il y a plusieurs épisodes de son existence qu’on pourrait regarder avec humour (alors qu’on a peut-être l’habitude de les regarder avec gravité, parce que c’est Jésus !)
o Que dire de sa naissance, dans une mangeoire entre un bœuf et un âne ?

o Que dire de son premier « miracle » dans l’évangile de Jean ? N’avait-il véritablement rien de mieux à faire que de transformer de l’eau en vin ? C’est le premier miracle : ça compte. C’est comme les premiers mots d’un pape, le premier voyage d’un président de la république. Guérir un lépreux, ressusciter un mort, ça aurait été un premier miracle convenable, mais changer de l’eau en vin pour le simple plaisir des invités à la fin d’une noce de campagne, honnêtement, « peut faire mieux ».

o Que dire de sa résurrection ? La manière dont les prêtres, Pilate, les soldats se font « rouler ». Et les détails de Jean : le « linge qu’on avait mis sur sa tête, n’était pas avec les autres bandelettes, mais bien plié dans un coin ». Le linge bien plié dans un coin. Comme si Jésus avait été bien élevé par sa maman.

Il y a aussi, dans les discussions de Jésus avec telle femme ou tel homme, et le plaisir qu’il éprouve en cultivant le quiproquo :
• Rencontre avec Nicodème: bonhomme tout à fait brillant, Nicodème. Un prof, une éminence grise. « Ah Je te le dis, mon Nicodème, c’est la vérité. Personne ne peut voir le Royaume de Dieu s’il ne naît une deuxième fois. » (Jn 3/3-4) Et là, je ne sais pas si vous voyez la tête qu’il fait, Nicodème. Il ouvre des yeux tout ronds… il ne comprend rien. « Mais enfin … comment un homme qui est vieux peut-il renaître… Il ne peut pas rentrer dans le sein de sa mère !». Et on pourrait imaginer que Jésus désamorce la phrase en disant par exemple : « c’est une image Nicodème, ce que je voulais dire c’est que … ». Pas du tout, Jésus en rajoute une couche : «Qu’est-ce qui se passe, Nicodème ? … Je ne comprends pas … t’es prof et tu ne comprends pas cela ? ».

• Autre rencontre, le chapitre suivant. La Samaritaine. A la femme qui s’étonne de la demande, Jésus répond «Si tu savais qui te demande à boire, c’est toi qui lui aurait demandé de l’eau et il t’aurait donné de l’eau vive ». Et elle lui répond : « Eh ! tu n’as pas même de seau » et là non plus, Jésus ne désamorce pas. Il la laisse continuer sur sa mauvaise compréhension jusqu’à ce qu’elle lui dise : « Donne-moi de cette eau afin que je n’aie plus soif et que je n’aie plus besoin de venir la puiser ici. »

• Et quand Les Pharisiens demandent à Jésus : « De quel droit fais-tu cela et qui t’a donné autorité pour le faire » et qu’il leur répond « je vais vous poser une question : si vous me répondez, je vous réponds aussi : qui a envoyé Jean-Baptiste : Dieu ou les hommes ? Les pharisiens ne savent pas quoi répondre… et finissent pas dire « nous ne savons pas ». « Eh bien moi non plus, leur dit Jésus, je ne vous dirai pas de quel droit je fais cela ». Et il tourne les talons.

Non décidément, il y a chez Jésus un côté pince-sans-rire, un côté humour, même un côté ironie. Il y a un plaisir des situations qui font sourire, et on retrouve tout cela sous la plume des rédacteurs des Evangiles.
Jésus riait-il ? Je ne sais pas vraiment. Toujours difficile d’analyser le non dit. Mais Jésus a-t-il fait rire ? Certainement. Par sa manière d’appréhender une situation. Un jour Jésus descend les Champs Elysée. Et tout à coup, il s’arrête, il lève les yeux et il interpelle un homme juché sur un arbre. Et il lui dit « Nicolas, il faut que je demeure chez toi aujourd’hui. » Ça a fait rire. Je vous assure.
Bon. Le temps passe. Il faut que nous avancions.
Dernière question – incontournable pour des protestants – quelle raison spirituelle aurions-nous de rire ou de sourire ?
J’en vois au moins trois :
La première, c’est que l’humour nous permet de sortir du cercle infernal de nos petits soucis – qui nous semblent toujours énormes. Exemple : on peut se lamenter en se disant, comme vient de l’affirmer un bouquin paru récemment, que dans vingt ans, il n’y aura plus de catéchumènes, plus de fidèles au culte dominical, et finalement plus de protestants, ou se raconter des histoires comme celle-ci:
Trois pasteurs ont le même problème de toiture : le toit de leur église a été refait et toutes les chauves-souris qui étaient dans la toiture ont passé dans le temple. Inutile de faire un dessin de la saleté causée par les bestioles. Au bout d'un certain temps, les trois pasteurs décident de se retrouver pour partager leurs expériences et trouver la meilleure manière de se débarrasser des hôtes indésirables.
- Moi, dit le premier, j'ai craqué : j'ai pris la carabine à plomb de mon fils et j'ai tiré sur les chauve-souris.
- Et alors ?
- Alors rien. J’en ai descendu une, mais les autres sont toujours là.
- T'es un sauvage, reprend le deuxième, moi, j’ai pris un filet à papillons, je les ai attrapées l'une après l'autre, je les ai mises dans un sac, le sac dans le coffre de ma voiture. J'ai fait vingt kilomètres en forêt et je les ai libérées.
- Et alors ?
- Ben … le temps que je revienne au village, elles étaient de nouveau là.
Ils se tournent alors vers le troisième pasteur, le plus vieux des trois :
- Et toi ?
- Moi je n’en ai plus aucune.
- Aucune ?
- Non.
- Tu as fait comment ?
- Je leur ai donné deux après-midi de catéchisme … je ne les ai plus jamais revues !

Ensuite, l’humour nous évite de nous prendre la tête pour répondre à des questions qui nous dépassent complètement. Vous savez que dans la tradition juive, il faut souvent chercher à interpréter ce qui se passe, même dans la vie quotidienne.
Le petit Moshé est en train de manger son petit déjeuner quand, tout à coup sa tartine tombe sur le sol. Et alors, oh miracle, elle tombe sur la partie non beurrée. Aussitôt, la maman de Moshe va voir le rabbin.
- Rabbin, rabbin, ce matin la tartine de Moshe est tombée par terre, et elle est tombée sur le côté non beurré. Rabbin, rabbin, c’est un signe, j’en suis sûr ! Mais qu’est-ce que cela veut dire ?

Alors, le rabbin réfléchit un instant puis il dit à la mère de Moshé :
- Écoute, c’est certainement un présage très étrange, mais pour en comprendre toute la signification et pour te répondre, j’ai besoin de me replonger dans les textes saints. Reviens donc me voir lundi prochain.
Et le lundi suivant, elle se précipite chez le rabbin.
- Alors Rabbin… tu as cherché ? Tu as trouvé la réponse ?
- Oui. J’ai trouvé la réponse.
- Tu sais pourquoi ma tartine est tombée sur le côté non beurré ?
- Oui. Je le sais.
- Alors ?
- C’est que tu avais mis le beurre sur le mauvais côté de la tartine.

Et puis l’humour nous permet probablement de retenir des vérités profondes bien plus aisément que les développements de la dogmatique ou de l’homilétique. On peut faire une longue prédication sur la confiance. On peut aussi raconter l’histoire suivante :

Un homme fait régulièrement du jogging au bord de la mer, le long d’une falaise. Et puis un jour, une seconde d’inattention : il glisse et tombe dans le vide. Miraculeusement, il s’accroche à une branche qui dépasse de la falaise et il reste là, suspendu dans le vide.
Terrorisé il lève les yeux au ciel et crie:
- Au secours! Y a quelqu’un ? Y a quelqu'un qui puisse m'aider?
Il entend alors une voix qui sort des nuages.
- Je suis là.
- Et qui es-tu ?
- Je suis Dieu !
- Tu es Dieu ? Mais alors tu peux me sauver ?
- Je le peux. Mais pour cela, il faut que tu me fasses confiance.
- Je te fais confiance, dit l’homme, mort de peur. Entièrement confiance, Seigneur, mais fais vite !
- Alors lâche la branche que tu tiens… je vais envoyer deux anges pour te recueillir.
L'homme réfléchit un long moment, puis il lève les yeux au ciel et crie :
- Y a quelqu’un d’autre ?

Que Dieu nous accorde la grâce de savoir rire
- Un peu de nous.
- Un peu de la folie du monde et des miroirs aux alouettes.
- Et qu’il nous accorde d’oser rire positivement quand nous découvrons de ses promesses.

Amen.

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