Culte transmis de la cathédrale Saint-Pierre de Genève

Philippe Christin - RTS
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Je n’ai pas ce que tu attends de moi.
Parce que j’ai bien plus à te donner.

C’est une belle histoire, celle que nous avons entendue à de si nombreuses reprises ces trois dernières années. Une de ces histoires dont on aimerait qu’elle se déroule pour de vrai.

Une belle histoire avec un peu de suspens et un vrai happy end.

Une histoire avec deux héros qui sauvent un homme condamné à vivre dans une pauvreté qui fait de lui un paria. Une histoire sans faux pas.

Une histoire bien ordonnée.

Et, en l’entendant, l’on se plaît à imaginer que cela puisse se produire aujourd’hui encore sur les parvis d’un de nos temples.

Mais ce n’est qu’une histoire.

Cependant, ce texte sur lequel tous mes collègues ont prêché une fois au moins durant ces trois dernières années, ici à Genève - ce texte continue de me faire gamberger.

Non pas pour son côté miraculeux. Mais bien plus pour la problématique qu’il nous pose aujourd’hui encore. Surtout aujourd’hui, jour de fête pour l’Église protestante de Genève, jour où la gratuité est la règle première.

Cette belle histoire nous pose une question à laquelle nous n’aurons jamais fini de répondre.

Une question que je prends la liberté de formuler ainsi: écoutez, écoutez bien. Dans quelle mesure puis-je donner à l’autre ce qu’il n’attend pas de moi? Ou bien, formulé inversement: dans quelle mesure puis-je demander à mon prochain autre chose que ce dont je le crois capable?

… Cet homme handicapé qui est guéri.
Imaginez un instant la vie de cet homme avant qu’il ne soit un miraculé. Imaginez!

6 heures du matin, réveil, le jour se lève. Il fait beau, pas un nuage. La journée promet d’être chaude.
Ce matin il ne faut pas que j’oublie de prendre de quoi me couvrir la tête. Pas comme hier, où j’ai choppé une insolation. Il faut dire que personne n’avait pensé à m’amener de l’eau. Une journée sans boire, allongé sur les marches du temple.
C’est dur une marche d’escalier. C’est pire qu’un banc d’église. C’est dur la vie.
Ça y est, ils sont là. Moi qui croyais avoir encore trois minutes de répit. C’est raté.
De toute façon, je sais bien qu’ils ne sont jamais en retard puisqu’après m’avoir déposé, ils vont bosser sur le chantier d’à côté. Et eux, ils commencent à 6h30.
Ça me fait penser qu’il faudra que je leur donne quelque chose à l’occasion. Mais quoi? Eux, ils ont un salaire pour s’acheter des chaussures. Ils ont tout ce qu’il leur faut.
Bon maintenant j’y suis à ma place.
La même depuis …

Ça me fait penser que l’autre jour, il y en a un qui a essayé de me la piquer, ma place. Cette crapule croyait pouvoir me piquer MA place parce qu’il est arrivé trois minutes avant moi.
Je l’ai chassé, comme je chasse les punaises de ma paillasse. Ça, c’est ma place. On me connaît et on me respecte parce que je suis à ma place. D’ailleurs, tout le monde sait que je suis là tous les jours. Et moi je les connais tous.
Depuis le temps que je les vois passer toujours dans le même ordre.
Le premier, c’est l’ecclésiastique. Lui il vient toujours très tôt. Mais il ne s’arrête jamais; il est toujours pressé. Pressé de rencontrer Dieu dans son bureau. De toute façon, il ne regarde que le ciel. Ce qu’il y a sur terre ou parterre ne l’intéresse apparemment pas.
Juste après il y a ceux du quartier nord. Ceux de la banlieue. Eux, ils s’arrêtent devant moi au début du mois. Après, non. Faut dire qu’ils ont une propension certaine à entretenir les finances du bar d’à côté. Et passé le 15 du mois ils sont à sec.
Après, il y a les dévots. Ils viennent en troupeau. Ceux-là, ils peuvent être généreux. Enfin, à la condition que l’un d’eux me donne quelque chose. Mais quand ça se produit, alors les autres ne veulent pas passer pour des pingres. Et ils rivalisent de générosité. Ça n’arrive pas souvent! Le plus souvent ils discutent du cours de la bourse. La leur!
Après il y a les mères au foyer.

Tiens, en voilà deux qui arrivent et que je ne connais pas. Des étrangers? Ils n’ont pas l’air riche. Mais bon, j’essaie. De toute façon, je n’ai rien à perdre et c’est ma seule façon de vivre. Et puis, ils ont plus que moi, qui n’ai rien. Messieurs, mes seigneurs, une pièce, deux même… puisque vous êtes deux, pour un pauvre infirme de naissance. Deux pièces, en or si possible. Je n’ai pas mangé depuis si longtemps.

La suite de l’histoire, nous la connaissons. Pas d’or, pas d’argent, mais le don d’une parole et d’un geste, gratuits tous les deux, et qui vont entraîner un changement de situation tel que l’homme sera amené à reconsidérer sa vie entière sous un autre jour.

La vie de cet homme était - jusqu’à ce miracle qui le met sur pied - la vie de cet homme était réglée comme du papier à musique. Réglée de manière si précise qu’il lui est, apparemment, impossible d’attendre et donc de demander autre chose que ce qu’il croit pouvoir demander et attendre de la part de ceux qui passent devant lui, et qu’il croit si bien connaître.

Ainsi, il est enfermé non seulement dans son handicap - celui qui ne lui permet pas de se déplacer physiquement - mais il est aussi enfermé dans sa manière de concevoir ce que son prochain est capable de faire pour lui. Ce qui le rend incapable de décentrer son attente, ses ambitions.
Il n’est pas en mesure d’attendre de ceux et celles qui passent journellement autre chose que ce qu’il a toujours reçu d’eux. Que ce soient les dévots - que je décrivais tout à l’heure, le quidam moyen ou bien le religieux. Et pourtant, cet homme est devant un temple, le haut lieu des miracles, le lieu où Dieu se révèle, le lieu où se manifeste sa puissance. Exactement là où tout devrait être possible, y compris d’espérer l’inattendu, l’inespéré. Mais l’inespéré, l’inattendu, n’est trop souvent conçu qu’à l’aune de ce que nous croyons pouvoir recevoir, et, bien plus, de ce que nous croyons que l’autre est en mesure de faire pour nous. Parce que l’habitude, c’est-à-dire ce qui est normal, ne nous permet plus de voir que ce nous devrions être en mesure d’espérer. Et pourtant, l’essentiel de l’Évangile ne nous invite-t-il pas à sortir de nos habitudes? À voir autrement? À convertir le regard que nous portons sur ce que nous attendons ou croyons pouvoir offrir?

Il est important, en ce sens, de ne pas oublier que la première chose que font Pierre et Jean, c’est de demander au mendiant de les regarder, dans les yeux. Comme eux le font avec lui. Afin de voir autrement ce qui était, jusqu’alors, caché sous le masque de l’habituel.

Aux yeux de l’homme paralysé, Pierre et Jean ne peuvent pas être autre chose que des «porte-monnaie» sur pieds. Des donateurs potentiels. Rien d’autre. Mais les propos de Pierre et de Jean vont lui permettre de modifier son champ de vision. Jusqu’à le mettre debout, en lui offrant ainsi les conditions qui lui permettront de faire de sa vie autre chose que ce qu’il pouvait en faire jusque-là. C’est ainsi qu’il va entrer dans le temple, en sautant et en dansant de joie. C’est-à-dire en faisant ce qu’il n’était même pas en mesure d’imaginer quelques instants auparavant.

Ce matin, mais aussi tout au long de cette journée, nous sommes invités à faire autrement ce que nous avions l’habitude de faire d’une certaine manière jusqu’alors. Nous sommes invités à la gratuité. À offrir et à recevoir sans contrepartie matérielle. C’est le défi que notre Église se lance.
Accepter - à l’image de cet homme paralysé de naissance - de nous redresser en regardant l’autre dans les yeux afin de lui dire simplement: merci. Sans rien de plus, mais sans rien de moins non plus.

Demeurent les deux questions que je posais en préambule à ma prédication: dans quelle mesure puis-je donner à l’autre ce qu’il n’attend pas de moi? Dans quelle mesure puis-je demander à mon prochain autre chose que ce dont je le crois capable?

Augustin écrivait, dans ses «Confessions», que la première chose à faire le matin est de se convertir à nouveau. Ce que les réformateurs ont repris avec cette formule que nous connaissons bien: semper reformata.

C’est à Dieu le Père qu’il appartient de nous donner son Esprit, de faire de nous ses témoins, par la grâce de son Fils. Mais c’est à nous seuls, en Église, de croire que nous pouvons être généreux, non pas d’or et d’argent, mais d’espérance renouvelée.
Que puis-je donner à l’autre qu’il n’attende pas de moi?

Que puis-je demander à mon prochain dont je le crois incapable?

La réponse est, en ce sens, simple: TOUT - car à l’impossible, selon le monde, nous sommes tous tenus de par notre foi.

Amen.

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