Quand Dieu ouvre un passage au cœur de nos impasses.

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Écouter le culte :

Prière
Avant de méditer le récit biblique que nous venons d’entendre, je vous invite à la prière.
En ouvrant le poste de radio, comme par magie, nous entendons des sons nous parvenir : des voix, des musiques, un débat, un culte.
En ouvrant la Bible, écrite par des hommes et pétrie d’humanité, nous entendons ta voix nous parvenir, Seigneur.
Nous entendons la musique parfois douce parfois rude de la partition d’amour que tu as composée pour notre humanité.
Par le même souffle de ton Esprit qui la traverse, donne-nous à notre tour d’être traversés, relevés et mis en route, nous t’en prions par ton Fils Jésus-Christ, amen.

L’impasse
Méditer un texte comme la traversée de la Mer rouge n’est pas une mince affaire.
C’est ce que m’avait demandé le président du conseil de cette paroisse alors qu’il était question de me solliciter.
« La diversité d’opinions au sein de notre conseil est telle que vous ne parviendrez pas à satisfaire tout le monde », m’avait-il dit avec un léger sourire.
J’ai été engagé.

À ce propos, connaissez-vous l’histoire de ce sociologue des religions français se promenant dans un quartier parisien où se trouvaient plusieurs églises de migrants ?
Entendant de sonores « Alléluia ! », il entre dans une salle et on lui dit :
« Le Seigneur a fait passer son peuple à pied sec et a noyé ses ennemis, alléluia ! »
En bon cartésien, il rétorque : « selon toute vraisemblance, il n’y avait pas plus de 10 à 15 centimètres d’eau à l’époque de la traversée. »
L’assemblée devient silencieuse et notre homme s’en va, assez satisfait.
Sur le chemin du retour, les alléluias ont redoublé et piquent sa curiosité, il entre :
« Alléluia, le Seigneur a noyé toute une armée dans 10 à 15 centimètres d’eau ! »

Ce matin, je ne vais pas épiloguer sur la quantité d’eau, ce serait noyer le poisson.
Ni me précipiter d’évincer tout alléluia de nos esprits évolués.
Ni non plus en rester à une proclamation aussi béate que déconnectée de la réalité.
Alors, comme on dit à cette saison : vamos à la playa, tous à la plage !

Ah : la plage !
Lorsque j’ai quitté la rive sud du lac de Neuchâtel et ses brouillards d’automne pour exercer à Aix-en-Provence, le groupe de jeunes de là-bas a préparé un sketch.
Un des fils du pasteur à qui je succédais se promenait, une serviette sur la nuque et n’arrêtait pas de demander avec un accent supposé suisse : « elle est, où la plage ? »

Ah : la plage !
Il semble que plus on est en déficit de lumière et de chaleur, plus on se rue au Sud en été.
Et la plage, c’est le top : l’eau, le sable, la peau qui se caramélise, les jeux, le farniente.
Le contraste avec nos contraintes d’horaire, de travail, le froid est vraiment bienfaisant.
Nous avons récemment passé une semaine au bord de la Méditerranée et, en effet, je n’avais qu’une envie dès le réveil : aller faire quelques brasses dans la Grande Bleue.
L’eau qui vous porte, la peau qui pègue en sortant, les pins, les cigales, l’horizon infini.
Et les moments à la plage avec le petit-fils de deux ans barbotant : du pur sucre !

Nous vous proposons dès ce matin de partir visiter trois plages évoquées dans la Bible, la première d’entre elles n’étant pas forcément aussi idéale que cela. Elles sont également une source d’inspiration fréquente pour le septième art. Le mythe du lieu paradisiaque est développé dans le film « La Plage » avec Leonardo di Caprio. Ralliée par un routard en quête de sensations, elle devient rapidement un enfer relationnel.

Constat également grinçant dans « Sous le sable », mettant en scène un couple d’âge mûr. Monsieur part se baigner tandis que Madame somnole. À son réveil, personne : il a été emporté par une vague, elle ne le reverra plus.
Et mettra un temps infini à admettre cette réalité et à sortir de cette impasse.
Comme on la comprend !

C’est bien d’impasse qu’il s’agit dans le récit de l’Exode.
Un peuple acculé et n’ayant plus aucune possibilité de s’en sortir, obligé de choisir entre se faire massacrer ou se noyer ; au mieux, être remis en esclavage. Comme dans ces cauchemars où on fuit dans une ruelle sans issue, ou le triste spectacle jeté sur nos écrans de ces gens sautant d’un immeuble en feu.

Et de nos jours, que de peuples encore pris entre le marteau et l’enclume :
- Le marteau de la répression forcenée et l’enclume de la révolte désespérée
- Le marteau du capitalisme effréné et l’enclume de la révolution déjantée
- Le marteau de la violence aveugle et l’enclume de la souffrance en silence
- Le marteau du mal commis et l’enclume du mal subi…

Et dans nos vies, ne nous retrouvons-nous pas - parfois, souvent - dans des impasses ? N’ayant aucune envie de retourner à ce que nous essayons de quitter et nous sentant pourtant incapables de sauter à l’eau par peur de la noyade… On se sort d’un cauchemar en se réveillant, par un retour à la réalité. Mais quand c’est la réalité elle-même qui est un cauchemar, alors là…

Impasse pour le peuple d’Israël, pour le printemps arabe, pour les migrants en pleine mer.
50 millions de personnes déplacées dans le monde selon l’Aga Khan qui donnait un exposé ici il y a quinze jours : 50 millions, plus ou moins 100 de migrants !

Impasse pour les questions de société. L’individualisme, les places de jeux vides au profit des trampolines devant les villas.
Le squelette d’une personne âgée retrouvé six ans après son décès dans un immeuble.
La fausse couche de cette femme syrienne reconduite à notre frontière sans soins.
La violence dans les cours de récréation, les gares, certains quartiers. On me demande de plus en plus d’en parler lors des visites de classe.
Impasse de la diabolisation tout autant que d’un angélisme excessif, me semble-t-il.
Souchon le chantait déjà : « On avance, on avance, on avance, on a plus assez d’essence pour aller dans l’autre sens. »

Impasse du sens que ne résout pas notre relative mais bien réelle prospérité. Suffit-il d’exister ? De consommer ? De s’amuser ? De s’occuper ?
Je ne voudrais pas être pessimiste, schématique ou bêtement moralisateur, mais…

Impasse du non-sens qui fait mal et nous laisse avec de grands « pourquoi ? » Pourquoi cela ? Pourquoi moi ? Et Dieu dans tout ça ?

Impasses du bien-être, pressions subies, violences endurées, manque de reconnaissance.
Il arrive que le pasteur que je suis se voie confier des situations impensables. Surtout depuis un an, il y a une communion dans le drame qui crée des ouvertures. Il se passe des choses vraiment terribles derrière les fenêtres de nos maisons.

La vie peut ainsi devenir un désert d’une aridité atrocement éprouvante et ne pas nous laisser de meilleure place qu’entre le marteau et l’enclume, de meilleur choix qu’entre retourner à ce qu’on a fui et sauter du haut de la falaise. Nous avons tous nos culs-de-sac, notre mer Rouge et nos visions étriquées.

Je sors d’un test oculaire, pas terrible. Plus les lignes s’amenuisaient, moins je parvenais à déchiffrer les caractères sur les côtés. La vision rétrécit, on se laisse emporter dans l’effet tunnel et on ne voit plus de solution. On peine à voir plus loin que l’obstacle, plus loin que la mer prête à nous engloutir, ou que ce qui nous poursuit prêt à nous rattraper… On est acculé au bout de l’impasse, au bout du sens, à bout de souffle et d’espérance.
La plage : lieu d’épreuve.

L’issue
« Le jour où nous avons cru que plus rien ne pouvait changer.
Quand tous nos ennemis se sont tus pour mieux nous entendre pleurer.
Nous n’avions plus qu’une prière, celle de l’enfant loin de sa mère.
Alors s’est ouverte une porte, au fond de la dernière vallée.
Une porte étroite illuminée,
Une porte devant l’espace illimité,
Une porte… ensoleillée. »

C’est le chanteur français Bill Deraime  qui a écrit ce texte au cours d’une année sabbatique. Sa carrière avait connu un coup de frein, il était pris dans ce système qu’il abhorrait. Alors, il a pris la tangente et a écrit un album-témoignage : la Porte.
Lui aussi s’était senti poursuivi par les exigences esclavagistes du show-business, acculé devant l’abîme de l’insuccès et de l’insécurité au risque de vendre son âme. Mais à la différence de certains artistes désabusés, il n’a pas vomi sur la société. Il a choisi de faire appel à plus grand que lui ; il a crié à Dieu et lui a demandé d’ouvrir une porte et de le précéder sur le chemin. Il a alors pu se remettre à chanter la peine des hommes et à célébrer l’espérance.

Si la première partie de ce passage nous a amenés avec Israël au fond d’une impasse, c’est d’une issue qu’il va désormais être question : une issue totalement insoupçonnée. On assiste à une sorte de jeu de mains.

Il y a tout d’abord la main de Moïse. Il l’étend une première fois et la mer se fend d’un passage à pied sec pour le peuple. Il l’étend à nouveau et la mer reprend sa place, réduisant toute opposition à néant.

Mais dans notre récit, la main de Moïse n’est pas la seule à s’agiter. Il y a la main des Égyptiens, dont le peuple est enfin délivré. Plus de quatre siècles qu’elle les privait de toute liberté et de tout avenir. Le peuple en est délivré par… devinez : la main du Seigneur ! C’est alors que retentissent de sonores alléluias de la part de ces déplacés, bien avant la balade de notre sociologue dans la banlieue parisienne. Par-dessus les millénaires, anciens et nouveaux émigrés vibrent à la même louange.

Cet épisode avec son chant de délivrance constitue un leitmotiv dans toute la Bible. Il est porteur d’un message extraordinaire : le Seigneur combattra pour vous. Les opprimés peuvent compter sur le secours de Dieu. Un nouvel avenir, une issue, la sortie de toutes les impasses possibles et imaginables.

Mais avant que n’éclate cet hymne de louange, il y a eu la plage de l’épreuve : cette interminable nuit qui n’avait rien d’un feu de camp au son des guitares, bien qu’elle fût inondée d’une étrange lueur. Elle est surprenante, intrigante, envoûtante, la présence divine dans la nuée. Source de profondes ténèbres pour les uns et de vive lumière pour les autres.
La métaphore est éclairante.

La plage de l’épreuve : la tentation de renoncer, de revenir en arrière, de baisser la tête. La tentation de retourner dans la cage, d’estimer presque normal de se faire battre. Quelque chose, peut-être, de l’ordre du syndrome de la victime et du bourreau. L’impression que ce qu’on subit, quelque part, on le mérite.
Je l’ai entendu indirectement au sujet de ma fille Marie, imaginez.
L’arme préférée des tyrans et des tortionnaires : abaisser, culpabiliser, justifier l’oppression. Il devait jubiler, le Pharaon sur le point de rattraper ces effrontés.

Et pour nous chrétiens ? Pour nous, Église ?
À quelles régressions sommes-nous exposés ?
À quels replis supposés stratégiques devrions-nous céder ?
À quelles servitudes sommes-nous tentés de retourner ?

Ce peut être la nostalgie d’un passé idéalisé.
L’envie de s’en sortir seuls ou en pactisant avec de mauvais alliés.
Une vision étriquée ne voyant que ce qui ne va pas, focalisée sur l’impasse et incapable d’imaginer une issue, terriblement seule à force d’étouffer les alléluias et de démythologiser à tour de bras.
Au risque d’oublier ce qui la fonde : le Seigneur combattra pour vous.

La plage de l’épreuve, on risque d’y échouer comme un cétacé désorienté, de s’enfoncer dans ses sables mouvants prompts à engloutir nos rêves. On peut être poursuivi par le malheur, la persécution, la violence, certes, mais aussi par une armée de vanités et de plaisirs qui, eux aussi, désorientent.
Nous vivons dans un siècle d’addictions à l’éphémère, desséchantes au possible. Et la panoplie de principes bien « à la suisse » n’est guère plus satisfaisante. À l’heure de changer d’hymne national, notre chère patrie risque elle aussi d’oublier ce qui la fonde : le Seigneur combattra pour vous.

La nuit est passée, le peuple est devant la mer, Moïse étend le bras, elle s’écarte.
Une issue totalement insoupçonnable, sauf pour qui connaît le Maître des eaux et des vents.
En écho : des siècles plus tard, debout dans une barque agitée, il calme les éléments.
La traversée de la mer Rouge deviendra le symbole de la délivrance par le Christ. Délivrance des chaînes du péché, de tout ce qui sépare de Dieu et d’autrui par le Christ qui s’est laissé engloutir dans les flots déchaînés et nous a transportés sur l’autre rive de la vie retrouvée. Nous avons tous été baptisés en Moïse dans la nuée, écrira saint Paul.

Moi aussi, j’ai visité des églises de migrants dans le 9-3 autour de Paris. Avec leurs alléluias enthousiastes et leurs prières déchirantes, j’ai eu l’impression qu’ils retraversent la mer Rouge chaque dimanche. Se sentant brimés, rejetés, exploités et demandant à Dieu de les libérer. Il y a tellement d’intolérable autour de nous et si rarement d’heureux dénouements. On a tellement souvent l’impression d’impasses sans issue.
Et d’un Dieu très silencieux…

Rien n’est simple, rien n’est automatique et encore moins immédiat. Pourtant, la promesse subsiste : le Seigneur combattra pour vous.
Pour vous, avec vous en l’Emmanuel : je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin.
N’est-elle pas là, l’issue ? Dans ce Dieu qui fait comme étalage de sa faiblesse en son Fils ?
Il enraye les mécanismes de la violence en renonçant à la force.
Il accepte de subir l’injustice sans céder à la haine.
Il fait scandale en valorisant les méprisés et en relevant ceux qui ont été écartés.
Il pardonne les vindicatifs et offre à un compagnon de souffrance le paradis.
Il a lui aussi étendu les bras sur la Croix à l’issue apparemment incertaine.
Fragile passerelle suspendue au-dessus des flots en furie du non-sens.
Il nous fait passer à pied sec sur l’autre rive et de tout mal nous délivre.
Il nous relève et nous fait entrer dans la terre de toutes les promesses.

Mais pour un temps encore, nous marchons dans nos déserts, nous longeons les falaises.
Hostilité, indifférence, vents contraires, déchaînements secouent notre monde. Soit autant d’opportunités d’exercer notre espérance et de tendre la main à nos frères, chercher avec eux l’issue en Celui qui est le chemin et quitter nos impasses.
Ouvrir nos yeux vers la porte ensoleillée avec le vieux Bill :

« Quand soudain tombait la nuit noire sur tout ce temps passé
À voir briller de vains espoirs dans le ciel gris de nos pensées
Quand nos oreilles n’entendaient plus rien
Rien qu’une voix qui disait du bien
Alors s’est ouverte une porte…

Épuisés par un long voyage à force de vouloir mériter
Le droit d’aimer, le droit d’passage alors que tout était donné
Quand les courbés levèrent la tête
Quand les derniers devinrent prophètes
Alors s’est ouverte une porte, au fond de la dernière vallée.
Une porte étroite illuminée,
Une porte devant l’espace illimité,
Une porte… ensoleillée. »

Au-delà du marteau et de l’enclume
Au-delà de la sécheresse et de la noyade
Au-delà de l’impasse… l’issue.
Oui, le Seigneur mène le combat à nos côtés en son Fils ressuscité.
Alors, du cœur et de la voix, j’ai moi aussi envie de dire alléluia !

C'est l'histoire d'un petit peuple en chemin de l'esclavage à la liberté, sous la conduite du Dieu libérateur. Ce peuple suit un chemin difficile, pris en tenaille entre la mer qui lui barre la route et l'adversaire qui fond sur lui.
Tiraillé également entre un esclavage soudain considéré comme confortable ou sécurisant et une liberté soudain envisagée comme déstabilisante et impossible.
D'autres peuples ont vécu des parcours similaires ou y trouvent un écho, parmi lesquels le peuple chrétien au fil des siècles et des enracinements.
Et nous-mêmes, ne vivons-nous pas ce tiraillement intérieur, entre une servitude mondaine aisée et une liberté spirituelle sans filets ?
Comment faire le passage ? Faire confiance au Christ ? Accepter de tout perdre pour tout gagner ? Et la quête de tout homme n'est-elle pas de trouver le passage vers une vraie liberté ?"

Détails

Avec la participation de
Solange Pellet
Orgue
Pierre Pilloud
Musique
Jeanne Gollut, flûte de Pan