Écouter le culte :
Est-ce que vous pouvez me dire ce que c’est que la résurrection pour vous ?
C’est la question que j’ai posée ces derniers temps aux étudiants de l’université et de l’EPFL où je suis aumônier dans l’optique de cette prédication.
Et voici donc pour commencer quelques-unes des réponses que j’ai obtenues :
La résurrection ?
- Eh bien, c’est difficile à croire d’un point de vue scientifique, m’a répondu un étudiant de l’EPFL. C’est plus un acte de foi qu’autre chose.
- La résurrection ? C’est… une métaphore m’a-t-on répondu du côté de l’université, une manière d’évoquer une réalité qui surmonte la mort.
- La résurrection ? C’est… comme le printemps m’a-t-on encore répondu. Le cycle de la vie qui rejaillit après l’hiver.
A toutes ces réponses intéressantes, il faudrait encore bien sûr ajouter chacune des vôtres, et je suis sûr qu’on obtiendrait un tableau très riche, très coloré et contrasté, peut-être parfois un brin hésitant pour dire ce qu’est la résurrection pour nous, pour dire ce qu’est cet événement central de notre foi, central certes, et en même temps si difficile à croire, si difficile à décrire.
Et puis, pour compléter notre tableau, il faudrait encore ajouter une dernière réponse.
Une réponse qui dirait ceci : la résurrection, c’est ce qui se passera à la fin des temps, quand Dieu ramènera les justes de la mort à la vie.
Cette réponse, vous l’aurez peut-être reconnue, c’est celle de Marthe, l’une des sœurs de Lazare. Et c’est à Jésus qu’elle livre cette réponse totalement conforme au catéchisme de l’époque sur la résurrection.
Et pourtant si sa réponse a beau être conforme à la compréhension de la résurrection que l’on avait du temps de Jésus, Marthe doit avouer en même temps que cette réponse, elle est totalement inefficace pour la consoler du chagrin qui l’accable. Son frère Lazare est en effet décédé il y a quelques jours, et ce n’est pas la perspective d’une résurrection au dernier jour de l’histoire humaine qui va changer quoi que ce soit à son chagrin.
Un chagrin qui se trouve de plus mêlé d’une certaine colère. Car Marthe et sa sœur Marie avaient prévenu Jésus de la maladie de leur frère. Elles lui avaient expressément demandé de venir au plus vite pour faire quelque chose. Mais voilà que Jésus a traîné les pieds, voilà qu’il a attendu que Lazare décède pour se mettre en chemin.
Et maintenant Lazare est mort.
Alors, lorsqu’elle voit Jésus arriver enfin dans son village de Béthanie, Marthe ne peut s’empêcher de lui envoyer une volée de reproches. Avant même de lui dire bonjour, elle lui balance :
« Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! »
Comme ça ! Paf ! Pan dans les dents ! C’est sorti tout seul !
Et après avoir vidé son sac de reproches, elle ajoute pourtant : « Mais je sais que maintenant encore, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera. »
Maintenant encore. Malgré la mort de son frère, malgré les reproches qu’elle ne peut s’empêcher d’adresser à Jésus, Marthe garde une espérance qu’elle conjugue au présent.
Pas hier, lorsque Lazare était malade, pas à la fin des temps, lorsque Dieu ramènera les justes à la vie, mais maintenant. Maintenant, alors que je suis triste et en colère, maintenant, j’ai la conviction que Dieu peut agir par toi.
Et Jésus de répondre à Marthe ces paroles extraordinaires: Jésus lui dit : « Je suis la résurrection et la vie. »
« Je suis la résurrection et la vie ». Mais la voilà la réponse à notre question.
Nous nous demandions ce que c’est que la résurrection, et Jésus nous dit tout simplement que c’est lui.
Plus qu’un concept difficile à comprendre, mieux qu’un artifice de langage, la résurrection c’est donc en réalité une personne. Et pas n’importe quelle personne, puisque la résurrection c’est le Christ lui-même.
Et Jésus d’ajouter : « celui qui croit en moi vivra même s’il meurt, celui qui vit en croit en moi ne mourra jamais. » Et après avoir dit tout cela, Jésus demande enfin à Marthe : « Crois-tu cela ? » Et Marthe répond tout simplement à la question de Jésus : « Oui. Oui, je le crois ».
Et voici qu’en confessant sa foi en Jésus résurrection et vie, Marthe se trouve en quelque sorte branchée elle-même sur cette vie blindée contre les assauts de la mort.
Marthe qui fait l’expérience de la résurrection non pas pour son frère Lazare, mais pour elle-même.
Marthe qui se trouve vivifiée, dynamisée au cœur de son chagrin et de sa colère par sa relation au Christ vivant.
L’expérience de Marthe n’est pas isolée. Nous la retrouvons chez tous les croyants, chez tous ceux qui se sont fait remettre en selle, remettre en route par la personne du Christ, résurrection et vie.
Ainsi par exemple le philosophe Alexandre Jollien. Dans son dernier livre intitulé « Vivre sans pourquoi », Alexandre Jollien relate ce qu’il en est pour lui. Il écrit ceci : « Ce qui me frappe lorsque je contemple la vie de Jésus, c’est sa liberté, sa puissance pleine de douceur et de vérité. Il soigne, il guérit, il console, il marche, il donne à manger aux démunis. » Et après avoir fait ce constat somme toute assez commun, Alexandre Jollien ajoute juste trois mots qui changent tout, en tout cas pour lui, puisqu’il dit « Jésus, il me réveille. »
Et voici Alexandre, compagnon de Marthe sur le chemin d’une vie dynamisée par sa relation au Christ. Le Christ me réveille. Le Christ me relève.
Se faire réveiller, se faire relever : ce sont deux des mots que l’on retrouve très souvent dans les évangiles pour parler de la résurrection.
Et puis Lazare, alors, me demanderez-vous ! Pour lui, il est bien trop tard pour se poser la question de sa relation et de sa foi au Christ. Enterré depuis quatre jours, il n’est plus un partenaire de dialogue ni pour ses proches, ni pour Jésus lui-même.
D’ailleurs, Jésus n’entre pas en dialogue avec Lazare.
Au bord du tombeau, Jésus dit seulement deux paroles qui sont autant d’ordres qu’on ne saurait discuter.
Le premier de ces ordres est d’ailleurs pour Lazare lui-même. Jésus lui dit: « Lazare, sors ! »
Pour bien comprendre la portée de cette phrase, je pense qu’il n’y a pas de commentaire à faire, mais plutôt une petite expérience que je vous propose.
Une expérience toute simple, qui consiste à reprendre la phrase de Jésus « Lazare sors ! », en remplaçant le prénom de Lazare par votre propre prénom. Non plus « Lazare sors ! », mais « Christian, Jean, Daniel,…sors ! » Sors de ce qui te retient d’exister, sors de ce qui te retient de vivre pleinement, sors des cuirasses et des carapaces qui te retiennent prisonnier comme d’un tombeau ! «Allez ! Vas-y ! Sors, existe, vis ! »
Et puis, très étonnamment, la deuxième parole de Jésus au tombeau de Lazare ne s’adresse pas à Lazare, mais à son entourage.
Lorsque Lazare sort de sa tombe, il a - nous dit l’évangéliste - les pieds et les mains attachés par des bandes et le visage enveloppé d’un linge. On aurait pu imaginer que Jésus allait accomplir le travail jusqu’au bout, qu’il allait s’approcher de Lazare pour le libérer de ses entraves et de tout ce qui le reliait à la mort. Eh bien non !
Une fois Lazare sorti du tombeau, Jésus dit aux gens qui étaient venus pleurer sa mort : « Déliez-le et laissez-le aller ! »
Des bandelettes et un linge mortuaires, il en est aussi question dans un autre passage de l’Evangile, au matin de Pâques, lorsque les disciples découvrent le tombeau vide. Le corps de Jésus n’est plus là. Il n’y a plus que les bandelettes et le linge soigneusement roulé et posé de côté nous dit-on. Personne ne sait qui a enlevé les bandelettes et le linge du corps de Jésus. C’est un des mystères de sa propre résurrection.
Mais pour ce qu’il en est de Lazare, Jésus demande à ses proches de finir le travail qu’il a commencé. « Déliez-le et laissez-le aller ! »
Il y a quelques années, j’avais organisé un voyage à Paris avec des jeunes. L’objectif du voyage était de rencontrer des personnes qui travaillent auprès des SDF et autres laissés pour compte de la ville lumière. Nous avions alors rencontré un homme extraordinaire qui s’appelait Pedro Meca. Pedro Meca était dominicain, et il avait créé un lieu d’accueil appelé « La moquette » juste à côté du jardin du Luxembourg. Un lieu de rencontre entre SDF (sans domicile fixe) et ADF (avec domicile fixe) comme il les appelait.
Et au cours de la discussion, Pedro avait demandé aux jeunes de lui dire comment ils voyaient les SDF. Et les jeunes de répondre : un SDF, eh bien, c’est quelqu’un qui n’a pas de domicile, qui n’a pas d’argent, qui n’a pas de famille, qui n’a pas de travail, qui n’a pas d’amis…
Au bout de quelques réponses, Pedro les a interrompu et leur a dit : Est-ce que vous avez remarqué que vous définissez ces gens par tout ce qu’ils n’ont pas.
« Déliez-le et laissez-le aller ! » « Déliez-les et laissez-les aller ! » Enlevez les bandelettes, les étiquettes, enlevez les linges et les préjugés qui empêchent l’autre de vivre en étant lui-même, de sortir au grand air de la vie en réponse à l’appel du Christ, qu’il s’appelle Lazare, Pedro ou Bébert le SDF.
Et puis enfin, entre Marthe et Lazare, il reste Marie. Marie qui est totalement effondrée, effondrée de chagrin et d’amertume. Marie qui se fait traîner par sa sœur auprès de Jésus et qui se répand comme une flaque à ses pieds avec aux lèvres ce seul reproche qu’elle murmure dans un souffle « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort.»
Et tandis que Jésus avait entamé un dialogue avec Marthe, tandis qu’il avait ordonné à Lazare de sortir du tombeau, Jésus ne dit rien à Marie. Au contraire. Voyant le chagrin de Marie, Jésus est profondément troublé, troublé au point de pleurer avec elle et avec tous ceux qui pleurent la mort de Lazare à ses côtés.
La relation de Jésus à Marie est au-delà des mots, tant il est vrai qu’il est des circonstances où les mots semblent inadéquats, superflus parce que superficiels. Jésus ne dit rien à Marie, mais il prend le temps de s’arrêter silencieusement à ses côtés. Il s’associe à son chagrin, à ses larmes, à son désarroi.
Jésus s’arrête. Puis il passe à l’action.
On ne nous dit pas comment Marie a réagi en voyant son frère sortir du tombeau. On ne la retrouvera qu’au chapitre suivant de l’évangile de Jean, toujours silencieuse, mais transformée pourtant du tout au tout.
Quelques semaines ont passé. La vie a repris son cours à Béthanie, et voici que Jésus revient partager le repas chez ses trois amis. Et l’évangéliste de nous raconter qu’au cours du repas, Marie répandit sur les pieds de Jésus un parfum très précieux et les essuya avec ses cheveux dénoués.
Alors que la mort de son frère l’avait laissée prostrée et désespérée, la voici maintenant complétement libérée, d’une liberté qui la voit briser tous les codes de la décence et de la logique de marché.
Marie offre à Jésus ce qu’elle a de plus précieux, ce qu’elle a de meilleur et plus encore, elle s’offre elle-même à celui qu’elle aime d’un amour fou, quitte à transgresser délicieusement tous les codes moraux de son époque.
Nous voulions essayer de comprendre c’est qu’est la résurrection, et nous avons découvert que c’est Jésus lui-même. Et voici qu’en lieu et place d’explications nous avons rencontrés Marthe, Alexandre, Lazare, Pedro et Bébert le SDF, et enfin Marie, autant de personnes dont la vie a pris une nouvelle dimension dans leur relation au Christ vivant.
Tant il est vrai que de la résurrection, en lieu et place d’explications, nous n’aurons jamais que des témoins.