Culte transmis en direct du temple d'Avenches (VD)

Pierre-Alain Frey

Vous, vous êtes le sel de la terre. Lorsque des frères et sœurs dans la foi ou en humanité vivent des tragédies, j’aime bien me rappeler l’attitude des trois amis de Job qui restèrent assis à terre, avec lui, pendant sept jours et sept nuits. Aucun ne parlait, car « ils avaient vu combien grande était sa douleur » (Job 2,13). Et c’est seulement après cette semaine de communion dans le silence, que Job se mit à parler et que ses amis l’écoutèrent. Pour vous dire la vérité, avec tout ce que nous lisons et voyons des drames au Moyen-Orient, je me sens comme un de ces amis de Job : sans voix mais désirant prendre le temps de l’écoute. Alors, ce matin, je vous propose à notre tour de nous mettre à l’écoute d’un témoin qui vit au quotidien, avec ses semblables, cette violence des hommes. Ce témoin, c’est le pasteur Bchara Moussa Oghli, responsable de l’Eglise du Christ à Alep en Syrie. Cette Eglise fait partie de l’ACO Fellowship, un réseau d’Eglises du Moyen-Orient et d’Europe et dont sont membres nos Eglises réformées de Suisse romande via le DM-échange et mission. En mars dernier, le pasteur B’chara nous écrit une lettre dont voici les principaux extraits. Chers amis suisses,
Que la paix soit avec vous ! C’est par ces mots que toutes nos relations s’ouvrent ici en Syrie, mais aussi dans tout le monde arabophone : que la paix soit avec vous ! Et nous sommes bien incapables de vivre ce que nos disons. Ce n’est pas tellement propre à nous, mais à tous les hommes du monde entier qui sont déchirés entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Mais aujourd’hui j’ai besoin de vous écrire, parce que vous êtes de ma famille, un peu lointaine certes, mais de ma famille tout de même. (…) Voilà plus de quatre ans maintenant que la guerre s’est établie en Syrie. Quatre ans que les drames s’accumulent, quatre ans que des êtres humains viennent grossir la liste des tués, des mutilés, des déplacés, des réfugiés. Quatre ans aussi que des femmes et des hommes développent des trésors d’ingéniosité et de partage pour venir en aide à d’autres.

Quatre ans que je vois le Christ marcher dans ma ville : (je le vois) sur le visage de ceux qui n’ont que leur coeur et leurs mains pour répondre à tant de haine et de violence. Pourquoi ne pars-tu pas ? me demandent parfois mes amis, mes proches. (…) C’est vrai, mais Alep est ma ville. C’est là que je suis né et que j’ai décidé de vivre mon ministère. On ne fuit pas la terre qui nous a été confiée, même si je ne blâme pas ceux qui ont décidé de s’en aller. Mais chaque matin, dans ce bureau poussiéreux qui se trouve en face de chez moi dans la cour, je prie Dieu pour qu’il me donne les forces nécessaires de continuer à croire en lui.
 Il y a quelques jours j’ai rendu visite aux pères de l’église melkite voisine St Demetrius. Une roquette a touché la place pendant que nous parlions mais n’a pas provoqué de destructions importantes. Une famille musulmane qui mangeait une pâtisserie a été touchée par une deuxième roquette quelques minutes après, juste devant l’église. Le choc a été d’une telle violence que des bouts de chair et du sang 
ont été projetés sur la mosaïque représentant le Christ Tout-Puissant, le Pantocrator. La violence inouïe qui provoque la mort, est recueillie par le Christ Tout-Puissant, parce que Tout-Aimant, au-delà des traditions religieuses différentes. J’y ai vu la croix du Christ à ce moment-là. Une croix qui ne porte pas seulement mes péchés, mes ruptures, mes infidélités, mais qui porte le monde tout entier qui se défigure. (…) Faut-il vous raconter tout cela ? 
Il le faut. Je ne peux pas porter cela tout seul. J’ai besoin de savoir que d’autres, ailleurs, nous portent silencieusement et si activement dans leurs pensées. Parce qu’au coeur de votre prière, vous serez avec nous devant Dieu. (…) Que Dieu vous bénisse et qu’il vous garde. 
Fidèlement en lui.
 (Et c’est signé Pasteur B’Chara.)

Au cœur de ce conflit - dont nous nous sentons bien impuissants - nous parvient cette lettre qui est comme un appel à la vie; des mots qui sont comme des graines d’Espérance au cœur de la destruction; une main tendue qui nous invite à la communion au pied de la croix; une mise en œuvre de ces paroles éternelles de Jésus : « Vous, vous êtes le sel de la terre »Jésus, assis sur la montagne, face à ses disciples et à la foule, leur enjoint de ne pas se retirer de la terre, de ne pas se mettre à part… mais d’être au contraire « sel de cette même terre »; de se sentir profondément solidaire des heurs et malheurs de cette même terre… et tout ceci commence par une écoute vraie et profonde.Les affaires du monde sont d’une telle complexité et débouchent parfois sur une telle violence, que le fatalisme a tôt fait de nous rejoindre : « A quoi bon ? » « A quoi bon ? » Face à ce « A quoi bon ? » Jésus rétorque : « Vous, vous êtes le sel de la terre ! » Jésus, au cœur des forces de destruction et de démobilisation, enjoint ses disciples non seulement à ne pas se décourager mais, tant par leur attitude que par leur parole, précisément d’être sel de la terre, c'est-à-dire de faire la différence. En d’autres termes, ne vous contentez pas d’être des spectateurs désespérés et passifs de ce monde mais d’être précisément porteur d’une autre mélodie, d’un autre souffle, d’un autre horizon… aussi fragiles et insignifiants soient-ils. Cette mélodie, ce souffle, cet horizon dans l’esprit des Béatitudes, ont pour noms : humilité, tendresse et douceur, compassion, recherche de la justice, générosité du cœur, bâtisseur de paix… et toutes ces attitudes, précise Jésus, vous rendent heureux et joyeux, car c’est en mon nom que vous les accomplissez !

L’archevêque sud-africain Desmond Tutu relate dans un petit livre très stimulant intitulé « Dieu a un rêve » que dans une Eglise à Rome il existe une statue d’un Christ sans bras. Quand vous demandez pourquoi, on vous répond que cela montre que Dieu compte sur nous, ses partenaires humains, pour faire, je cite « son travail pour lui ». Car, il poursuit, sans nous, Dieu n’a pas d’yeux ! Sans nous, Dieu n’a pas d’oreilles; sans nous, Dieu n’a pas de bras. Dieu attend sur nous et compte sur nous. « Vous, vous êtes le sel de la terre ! » Jésus confie à ses disciples de tous les temps et de tous les lieux cette mission d’être « sel de la terre » et de l’être tout autant si ce n’est pas plus, lorsque tout semble perdu, au cœur du tunnel, sans lueur à l’horizon. Gustave Thibon a résumé en quelques mots la mission du disciple de Christ sur cette terre : « La foi consiste à ne jamais renier dans les ténèbres ce qu’on a entrevu dans la lumière »… « La foi consiste à ne jamais renier dans les ténèbres ce qu’on a entrevu dans la lumière » Oui, être sel de la terre, c’est l’être aussi là où le sang coule, là où la terre pleure de désolation, là où l’enfant pleure, là où la Création est piétinée, là où des actes inhumains sont accomplis, là où des paroles qui tuent et qui blessent sont proférées… mais être sel de la terre, au nom de Christ, c’est user d’armes spéciales, d’armes qui n’alimentent pas la souffrance et la désolation, c’est être en mission dans l’esprit des Béatitudes. Et Jésus, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais il insiste doublement sur le VOUS. Il répète bien : Vous, vous êtes le sel de la terre… non pas les autres, non pas eux ou elles, non pas ceux-là ou celles-ci mais bien « Vous », oui « Vous … » … Cela peut commencer par des actes tout simples : si la situation au Moyen-Orient nous interpelle, ce peut-être demander à recevoir la lettre de prière de l’Action Chrétienne en Orient, être abonné au magazine Le Levant, inviter dans votre paroisse des réfugiés syriens ou d’ailleurs ou des Suisses de nos réseaux d’Eglises qui connaissent bien cette région; ce peut-être écrire une lettre de solidarité à des paroisses sur place, lettres que DM-échange et mission, via son réseau, se fera une joie de transmettre; enfin ce peut-être acheter lors de la prochaine campagne « La terre en partage » de DM-échange et mission et de l’EPER un sachet de sel en soutien pour leurs actions au Moyen-Orient et dans le monde. Et je repense à ces mots du pasteur B’Chara : 
 « Je ne peux pas porter cela tout seul. J’ai besoin de savoir que d’autres, ailleurs, nous portent silencieusement et si activement dans leurs pensées. Parce qu’au coeur de votre prière, vous serez avec nous devant Dieu. » Le pasteur B’Chara et tous les humains persécutés au Moyen-Orient et dans le monde nous invitent non seulement à les rejoindre au pied de la Croix mais aussi, là où nous sommes enracinés, à vivre dans l’esprit des Béatitudes : à être « sel de la terre » !

Amen.

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