Beyrouth - Echallens, regards croisés sur "la Terre en partage"

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Écouter le culte :

Michel Durussel
Pour Matthieu, la fuite en Egypte n'est pas fortuite. On pourrait penser que ce passage par la case réfugié n'est qu'un épisode mineur, anecdotique, et peut-être même tout à fait légendaire, de la vie de Jésus… Ce serait oublier la visée théologique de Matthieu : avec ce récit inaugural, il pose les bases de son témoignage, il illustre l'essence même du Messie à ses yeux : le Christ est le nouveau Moïse appelé à sauver son peuple ; à l'image de son illustre prédécesseur qui a été sauvé des eaux, il est un rescapé. Il n’échappe à la violence destructrice d’Hérode que par inspiration divine et diligence humaine. Et l’on peut mettre ici en évidence le rôle de Joseph pour protéger sa famille, il fait les gestes qu’il faut pour la mettre à l’abri. Des gestes que nous retrouvons dans certaines images de l’actualité relayée par les médias.

Jésus, dès son plus jeune âge, connaît l’exil. Comme autrefois le peuple d'Israël, il sera appelé à sortir d'Egypte, un pays étranger, pour accomplir sa vocation de Fils de Dieu.
Tout au long de l’évangile de Matthieu, ce Jésus dont la vie a été protégée par une fuite en terre étrangère reste un homme, certes imposant par sa stature de Maître et de guérisseur, mais toujours en but à l'opposition et au rejet des autorités religieuses. Il est ce "Fils de l'homme qui n'a pas d'endroit pour poser sa tête" (Mt 8.20). Il est un homme en itinérance, toujours en chemin. Il n'hésite pas à se rendre sur les confins de la terre d'Israël et à franchir les frontières, dans la région de Tyr ou de l'autre côté de la Mer de Galilée, ce qui lui donne une ouverture vers l'autre, vers l’étranger. Il rencontre des païens, ces païens qui furent les premiers à venir l'adorer, guidés par une étoile. S'il s'inscrit profondément dans l'histoire de son peuple, ses racines ne sont pas liées à un territoire, mais à un Royaume qui, tout en s’étant approché au travers de ses paroles et de ses gestes, ne peut être localisé parce qu’il n’est pas de ce monde.

La terre joue néanmoins un rôle important dans l’enseignement de Jésus, qu’on pense à des paraboles comme celle du semeur, du trésor, du bon grain et de l’ivraie, de la graine de moutarde, mais il n’a pas de vision nationaliste du sol. Celui-ci n’est pas considéré du point de vue de la propriété, il illustre la générosité du Père : « regardez les oiseaux du ciel et observez les fleurs des champs », « vous êtes le sel de la terre ». On note même une connivence étonnante entre la terre et la destinée du Fils de Dieu : quand il meurt sur la croix, elle se met à trembler.
Ce n’est pas la terre des uns ou des autres, c’est la terre de Dieu, la terre de tous ; ses véritables destinataires sont les doux : « Heureux les doux, ils hériteront la terre ». Comme le fait remarquer le pasteur Hadi Ghantous, « la nature de la douceur est souvent mal comprise. Pour un grand nombre de personnes, « douceur » évoque l’idée de passivité, de quelqu’un qui se laisse facilement imposer quelque chose, de lâcheté et de faiblesse. Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité. Dans le Nouveau Testament, doux provient du grec πραεις qui signifie doux, agréable, humble (…), le contraire étant rude, dur, violent. Ce n’est donc pas une soumission passive, mais une attitude active et une acceptation délibérée. Il ne suggère pas une faiblesse, il indique plutôt une force contrôlée (…) Dans le sens biblique, être doux décrit les personnes qui n’acceptent pas leur propre volonté, mais la grande volonté de Dieu pleine de grâce, et qui ont investi leurs forces au service de Dieu. Il convient de noter que Moïse et Jésus sont présentés comme étant doux (Nombres 12.3 ; Matt. 11.29).

Dans son commentaire, Hadi Ghantous poursuit : « Avec les béatitudes, Jésus promet à ceux qui, bien que puissants, se soumettent de plein gré à la souveraineté de Dieu, à sa volonté miséricordieuse et à sa puissance, qu’ils seront les héritiers de Dieu et qu’ils hériteront de la terre. Par conséquent, ceux qui estiment avoir des droits sur les terres, devraient se rappeler qu’on leur a accordé ces « droits » indépendamment de leur pouvoir, plutôt comme un cadeau, un héritage de Dieu, qui, seul, est propriétaire de tout le pays, de toute la terre, ainsi que de toute la création. Ils doivent aussi se rappeler que l’usage de la violence et de la brutalité va à l’encontre de la compréhension biblique d’un tel droit. Pour prétendre à une telle revendication, ils doivent plutôt être doux et entièrement soumis à la volonté de Dieu. »

L’Evangile du Christ nous amène à avoir une vision ouverte de la terre, non pas une terre à se disputer, mais une terre à se partager, en douceur. Elle est don de Dieu pour le bien de tous. Dans son enseignement et par ses actes, Jésus nous exhorte à rechercher d'abord le Royaume de Dieu et sa justice et non pas à satisfaire égoïstement nos besoins personnels. Il en appelle à une compréhension non exclusiviste de la terre.
Le récit de la fuite en Egypte nous parle d’une terre qui, dans la mémoire hébraïque, était liée à l’esclavage et à l’humiliation, mais qui se fait hospitalière pour Jésus et sa famille. Ne peut-on y lire la promesse que toutes les terres, même celles qui ont été le théâtre d’oppression et d’injustice, peuvent devenir un jour terre d’accueil ?
On retrouve le pasteur Pierre Lacoste, qui est en direct depuis Beyrouth.
Je me demande, Pierre, comment vous pouvez entendre ce genre de réflexion et quel rôle peut jouer l’Evangile dans la situation qui est la vôtre au Liban ?

Pierre Lacoste
Ce tout premier mouvement qui va de la Palestine vers une terre étrangère, il y a quelque chose de fort qui est dit, dont tu as parlé Michel. Ce voyage hors de Palestine vers l’Egypte est un déplacement qui place d’emblée la messianité du Christ sous un jour nouveau : la vie qu’il porte avec lui est un message sans frontière ; ce message dit que les ennemis d’hier peuvent devenir aujourd’hui des frères. Cette vie s’apprend dans le passage d’une terre à l’autre et donc nécessairement dans la rencontre avec l’étranger. Il n’y a plus les bons d’un côté et les mauvais de l’autre.

En occident, nous définissons souvent l’agir chrétien, la mission en termes d’accueil, d’aide, de solidarité ; et nous nous situons ainsi, sans en avoir toujours conscience, du côté de ceux qui ont, qui savent, du côté de ceux qui tiennent les solutions pour les autres.
En se déplaçant à l’étranger, Jésus suit le chemin inverse. Avant même qu’il sache marcher, il suit la destinée improbable et terrifiante des enfants réfugiés. D’emblée, son existence est placée sous le signe de la faiblesse. Et je suis convaincu qu’il marche à nouveau aujourd’hui aux côtés de tous les réfugiés du monde.

Accueillir l’autre, ce n’est pas lui donner la place qui nous arrange ; c’est lui permettre de devenir lui-même à nos côtés ; c’est courir le risque de changer soi-même à son contact. Partager la terre, son village ou son Eglise, c’est renoncer à toute idée de maîtrise et nous ouvrir à l’inconnu de Dieu.
Il y a là un chemin tracé dont on ne voit que l’entrée. Ce n’est pas le chemin du confort, mais certainement celui du réconfort au cœur des plus dures souffrances ; en Suisse ou au Liban, notre vocation est rigoureusement la même. Devenir nous-mêmes étrangers aux principes qui régissent ce monde, étrangers à nous-mêmes et devenir ces fameux voyageurs étrangers de la terre dont parle l’apôtre Pierre.

Michel Durussel :
Grand merci, Pierre, pour la force de ton témoignage. Il nous interpelle dans notre désir de suivre le Christ. Nous continuons à vivre ce culte ensemble avec la paroisse française de Beyrouth. Nous nous retrouverons encore tout à l’heure sur les ondes durant la prière d’intercession.

Prière d'intercession

Hadi Ghantous en arabe (traduction donnée à l’antenne par Michel Kocher)
Dieu Créateur,
Nous confessons que nous ne sommes pas assez actifs en faisant face, avec amour, à ceux qui apportent destruction, souffrance et mort à ta création.
Nous te prions d'ouvrir nos yeux pour voir ta main créatrice au milieu de tout le chaos de notre monde.
Nous te prions de nous donner force et amour pour être des messagers fidèles de vie auprès de nos pairs, même ceux qui nous considèrent comme leurs ennemis.
Nous te prions de nous aider à être des serviteurs fidèles à ta création, cette terre que tu nous as donnée en partage.
Et nous te prions pour ceux qui apportent la destruction et la douleur. Qu’ils puissent être touchés par ta main, qui les mènera à la vraie vie, dans et avec toi.

Michel Carrard (groupe Terre Nouvelle )
Fils doux et humble de cœur,
Nous confessons que nous sommes souvent égoïstes en demandant ce qui est bon pour nous. Nous nous concentrons sur notre propre vie et nos propres intérêts.
Nous te prions de nous aider à nous identifier à toi. Tu es celui qui donne sa vie pour les autres, et annonce la vie éternelle donnée par Dieu pour tous les pêcheurs.
Nous te prions de nous encourager à nous soucier de ceux qui sont autour de nous : ceux qui souffrent et ceux qui amènent la souffrance. Ils ont tous besoin de ta présence et de ta vie.
Nous te prions de nous remplir de ta paix afin que nous soyons des messagers fidèles, en mots et en actes, de ton amour.
Et nous te prions pour ceux qui apportent la mort afin qu’ils soient touchés par ton amour, qu’ils se détournent de leurs péchés et permettent à ta vie d’être plus forte que leur haine.

Pierre Lacoste
Esprit créateur de communauté,
Nous confessons devant toi que nous excluons souvent l’autre, consciemment ou non, de ton amour, de ta grâce et de tes bénédictions.
Nous te prions de nous amener à être une communauté accueillante pour chacun, gens d’ici et étrangers, victimes et persécuteurs. Fais-nous réaliser que ton amour inclut chacun.
Nous te prions de nous aider à te reconnaître sur le visage des autres et de donner aux autres le moyen de te reconnaître en nous.
Et nous te prions de toucher les cœurs et les vies de ceux qui sont enchaînés par la haine et la mort, afin qu’ils puissent faire l’expérience de ta grâce, qui nous appelle tous à la vie.

Corine Richard
Dieu trois fois saint,
Nous te prions d’entendre le cri de ceux qui souffrent au Moyen-Orient et dans le monde entier, en particulier les chrétiens et les autres communautés en Iraq et en Syrie.
Fais de nous des maillons de ta chaîne d’amour pour eux tous. Aide-nous à répondre à leurs besoins, où qu’ils soient, au Moyen-Orient ou en Europe. Donne-leur Seigneur la force d’aimer et de pardonner.
Fais de nous des messagers de ta paix. Donne-nous le courage de faire tout ce que nous pouvons, et à tous les niveaux, en utilisant l’amour et la vie, pour stopper les souffrances.
Finalement Seigneur, qu’ensemble nous puissions expérimenter ton esprit d’unité et grandir en échangeant et partageant ton amour et ta paix, au Moyen-Orient, en Europe et partout dans le monde. Nous te disons ensemble :

Prière du Notre Père


Amen.

Culte Régional "Terre Nouvelle" de la Région Gros de Vaud-Venoge.
Le pasteur Michel Durussel propose une méditation sur le thème de la campagne Terre Nouvelle 2015 : « La Terre en partage ». Un culte en communion avec la paroisse protestante française de Beyrouth, partenaire de DM-échange et mission. Le pasteur Pierre Lacoste intervient en direct depuis Beyrouth durant ce culte en duplex.

Loi sur l’aménagement du territoire, lex Weber, initiatives paysannes, écopop ou sur la soi-disante « immigration de masse », la terre en partage est une préoccupation cruciale pour la population suisse. Au Liban également, puisqu'il voit arriver sur son sol des flots véritablement massifs de réfugiés en provenance de Syrie. Comment cette réalité est-elle vécue sur place?
En duplex depuis Beyrouth, le pasteur Pierre Lacoste, apporte son témoignage. Une réalité mise en perspective à la lumière du récit évangélique de la fuite en Égypte: pour échapper à la fureur barbare d’un tyran, la famille de Jésus est obligée de chercher refuge dans un pays voisin.

Partager est l’un des plus beaux gestes de solidarité qui soit. Pourtant, dans beaucoup de situations, le partage n’est ni évident, ni spontané, ni facile.
La campagne commune, DM-échange et mission et l’Entraide Protestante Suisse (EPER) présente leurs activités au Liban et au Brésil, deux pays où les enjeux du partage de la terre –   qu’elle soit espace cultivable ou espace de vie – sont particulièrement importants.
 
Au Liban, vivre ensemble et partager représente un défi quotidien. Quand les convictions sont différentes, quand la guerre fait rage dans les pays voisins, quand on doit accueillir des millions de réfugiés, comment faire pour que chacun puisse cohabiter sur le même bout de terre dans le respect et l’acceptation des différences ? Pour les partenaires de DM-échange et mission au Liban, vivre la terre en partage passe par l’apprentissage de la liberté, de la tolérance, du respect de l’autre et de son chemin de vie.
 
Pour les bénéficiaires des actions de DM-échange et mission et de l’EPER, au Liban, au Brésil et dans le monde, la communion agissante par la prière est essentielle. Mais c’est aussi grâce à une solidarité active, par les dons, qu'une action est possible.
Vos dons peuvent être adressés au CCP 10-700-2, mention « campagne DM-EPER »Une série de trois cultes à l'occasion des festivités du 150ème anniversaire de la construction du temple d'Echallens. Un culte Régional "Terre Nouvelle" de la Région Gros de Vaud-Venoge.

Détails

Avec la participation de
Corine Richard, Valérie Maeder, Hadi Ghantous et Pierre Lacoste
Orgue
Christiane Cornu-Cavin
Musique
Choeur mixte "La Talentelle", sous la direction d'Elvira Sonnay