Sortons au grand jour les secrets de famille: marchons ensemble dans la vérité

©Wikimedia Commons/Lucas Girardet/CC BY-SA 3_0

Nicolas Monnier (NM) : Salut Espoir !

Espoir Adadzi (EA) : Bonjour mon frère Nicolas !

Les pasteurs se saluent, tête contre tête

NM: Comment vas-tu ?

EA: Je vais bien, je te remercie. Et la famille ?

NM: Ça va ! Tous les enfants ont repris le chemin des études. Et chez toi ?

EA: Toute la famille est en bonne santé, nous rendons grâce à Dieu.

NM: Tu as prêché hier ?

EA: Oui, j’ai présidé un culte à tous points de vue incroyable.

NM: Un culte incroyable… quelle jolie association de mots. Et qu’est-ce qui le rendait si in-cro-ya-ble ?

EA: « Incroyable » en ce sens qu’il a rassemblé des chrétiens de diverses cultures et tendances théologiques : genevois, camerounais, togolais, angolais, français, anglais et autres. C’était une célébration riche en couleurs et en rythmes avec des chorales, des groupes musicaux et l’orgue comme accompagnements. Tu vois, habituellement, chacun vit son culte dans son coin mais là, quelle joie, nous étions réunis ensemble cette fois-ci. L'interculturalité était vraiment au rendez-vous. Et toi, comment a été ton dimanche ?

NM: Oh, j’ai fait un remplacement. C’était très fraternel mais un peu tristounet, nous étions une petite dizaine.

EA: Quelle bonne idée tu as eu de nous donner rendez-vous à cet Espace Arlaud à l’occasion de cette expo : « Derrière les cases de la mission ». Tous ces objets du temps des missions en Afrique ! A à ce propos, je t’ai apporté une petite surprise. Devine ce que j’ai trouvé dans une armoire de la salle de paroisse…

(Espoir Adadzi sort d’un sac une tirelire du petit noir qui dit merci. Nicolas Monnier est gêné. Un silence s’installe – non pas tant à cause de l’objet, qu’il connait bien, mais que ce soit Espoir qui le lui présente.)

EA: Eh mon ami, pourquoi ce silence ? Dans mon pays on dirait « Nukè léwowò » qui signifie « Y a-t-il un souci ? Qu’est-ce qui ne va pas ? ».

NM: Je ne sais pas quoi te dire… C’est vrai que la situation a quelque chose de tragi-comique, tu ne trouves pas ? Le fait que cela soit toi qui me présente cet objet renforce la gêne. C’est un peu comme si tu sortais au grand jour un secret de famille.

EA: Comment ? Explique moi.

NM: Cet objet qui représente le petit nègre priant pour les missions et remerciant pour les aumônes qu’on lui donne fait partie de l’histoire de la mission. Mais avec le recul, il semble coller une étiquette aux noirs.

EA: Oui Nicolas, je comprends ton malaise, je sais que cette tirelire a joué un rôle important au temps fort des missions et qu’elle a permis de récolter bien des fonds pour financer l’œuvre missionnaire. Et j’ai cru comprendre qu’aujourd’hui encore, bien des personnes se souviennent lorsqu’ils mettaient une piécette à l’école du dimanche.

En même temps, pour moi, elle traduit une image négative des noirs comme étant des éternels assistés qui vivent toujours de la générosité des blancs. Cependant, j’ai choisi personnellement qu’on en parle entre frères dans la foi, et précisément, comme membres d’une même famille. Tu sais, il y a une parole de Paul que j’aime beaucoup et je crois qu’elle est bien adaptée à notre situation. Elle se trouve sauf erreur dans la lettre aux Ephésiens : « Rejetez le mensonge et que chacun de vous parle avec vérité à son prochain. » Oui cher Nicolas, les petites infamies se règlent en famille, dit-on...

NM: Bon, si c’est Paul qui le dit, je t’écoute : qu’aimerais-tu encore me partager sur ce sujet?

EA: Pour moi, cet objet associé aux collectes pour la mission a certainement une double face. En Église, nous pouvons reconnaître les limites et les bienfaits de l’histoire de l’annonce de l’évangile. Après tout, ces missionnaires étaient des hommes et des femmes avec leur grandeurs et leur faiblesses. Particulièrement dans mon pays, le Togo, la mission nous a permis d’avoir la Bible dans ma langue maternelle, l’éwé. Les missionnaires ont aussi développé des œuvres sociales comme les hôpitaux et les écoles et ceci bien avant les programmes développés par les États.

En même temps, j’ai entendu mes parents témoigner de missionnaires qui avaient toujours le dernier mot et qui exerçaient un certain contrôle sur les communautés, tout en étant proches d’eux et prenant même leur défense dans un certain nombre de situations. Le contexte n’a pas toujours évité certaines accointances avec le pouvoir colonial.

NM: Franchement je me réjouis pour l’apport positif du passé missionnaire que tu me réaffirmes. Cependant, je me sens aussi comme interpellé pour les frustrations qu’il aurait engendrées.

EA: Tu sais, j'ai vécu en mai 2018 une expérience personnelle à la communauté de Saint-Loup lors de la retraite de l'Ascension. Dans un temps de recueillement et en faisant le silence intérieur j'ai senti que je devais choisir le chemin du pardon et de la prière pour les offenses et les erreurs du passé missionnaire envers nous, les Africains. J’ai partagé ce sentiment avec le groupe de prière et nous avons senti une forte présence divine.

Il y a une citation que j’aime beaucoup : « Quand tu choisis de pardonner à ceux qui t’ont fait du mal, tu supprimes le pouvoir qu’ils ont sur toi. »

NM: N’y aurait-il pas un geste de pardon mutuel à se faire ?

EA: Si, si, mon frère ! J’en vois un tout simple. Tu ne rapportes pas cette tirelire dans l’armoire de la salle de paroisse tout seul mais je te propose que nous la déposions ensemble au milieu de ces objets du passé. Ainsi nous assumons ensemble ce passé et cette histoire.

(Les deux pasteurs déposent la tirelire sur la table avec les autres objets exposés.)

EA: Mais pour moi, et c’est la face positive de tout cela, l'annonce de l'Évangile a aussi été une semence qui, bien des années plus tard, continue à porter des fruits. La preuve ? Le dialogue en vérité que nous avons maintenant entre frères ou encore ce culte vécu hier dans ma paroisse avec des chrétiens originaires des quatre coins du monde. L'Évangile, même annoncé avec nos imperfections, n’est pas emprisonné, il vit sa propre vie, il réapparaît là où peut-être nous l’attentions le moins.

NM: Ce que tu dis là me fait penser à un autre texte biblique. Tu sais, c’est cette histoire d’un semeur qui fait ce qu’il a à faire et puis ensuite lâche prise, laisse faire l’Esprit.

EA: Oui, ce texte se trouve dans l’Evangile de Marc au chapitre 4.

(Nicolas Monnier lit le passage de Marc 4, 26-29.)

NM: Pour moi, ce texte dit tout : notre responsabilité d’être encore et toujours des semeurs d'Évangile dans le monde, mais il contient aussi cet appel à rester modestes sur l’impact de nos travaux. Nous ne contrôlons pas tout. Nous ne maîtrisons pas tout.

EA: Comme tu as raison. En effet, durant le sommeil du semeur, Dieu n’est pas resté les bras croisés. Avec le temps, les communautés chrétiennes se sont développées comme jamais en Afrique au point où aujourd’hui le christianisme africain représente le quart du christianisme mondial et que certaines personnes et Églises se posent même la question d’évangéliser l’Europe !

NM: On pourrait changer la couleur du petit enfant de la crousille… le petit blanc qui dit merci !

EA: T’es sérieux ?

NM: Je plaisante… quoi que… mais que réponds-tu à celles et ceux qui veulent justement évangéliser l’Europe ? Ont-ils tort ?

EA: Non, pour moi, au-delà de l’annonce de la bonne nouvelle du Christ, l’évangélisation peut se comprendre comme étant la rencontre, l’échange et le partage de témoignages de foi. Car l’échange est une intarissable source de richesses.

NM: Tu sais Espoir, il y a une question que je me pose souvent : si nous devions représenter aujourd’hui par un objet symbolique la façon dont nous imaginons nos relations entre le Nord et le Sud, quel serait-il ? As-tu une idée ?

(Espoir Adadzi regarde les objets sur le présentoir et en repère un qu’il va chercher.)

EA: Que penses-tu de celui-ci ? Cet objet sculpté dans l’ébène a la particularité d’être composé de deux couleurs, noir et blanc, ce qui, pour moi, signifie que nous devons nous mettre ensemble pour porter l’annonce de l'Évangile dans le monde. Le témoignage des serviteurs de Jésus-Christ, c’est ensemble que nous devons le vivre en paroles et en actes.

NM: Ce bon vieux Paul a raison : quel bien fou cela fait de « se parler en vérité » !

(Espoir Adadzi et Nicolas Monnier terminent par une accolade fraternelle.)

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