Quand le courant nous emporte...

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Écouter le culte :

Alors le courant nous emporte
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156'000 personnes contaminées par le coronavirus dans le monde, et plus de 5’800 morts ; en Italie, 21’000 personnes infectées et 1’441 décès ; en Suisse, plus de 1’000 cas confirmés et 13 morts. Les chiffres augmentent de manière exponentielle et sont déjà dépassés, à peine publiés.

Alors, le courant nous emporte, le torrent nous submerge.

En décembre, nous avons observé à distance la vague qui menaçait. Elle nous paraissait encore lointaine, confinée à une province chinoise inconnue de la plupart d’entre nous. Puis, nous avons vu la vague se rapprocher, à une vitesse toujours plus grande : la Corée, l’Iran, et tout à coup le continent européen : la France, l’Italie, l’Allemagne, et puis, nous-mêmes, la Suisse.

La vague menaçante est arrivée chez nous ; elle ne touche plus des inconnus, mais des concitoyens, des collègues, des voisins, des amis, des parents, nous-mêmes peut-être.

Alors, le courant nous emporte, le torrent nous submerge.

Ces eaux bouillonnantes, évoquées dans le Psaume 124, ces eaux bouillonnantes passent désormais sur nous, comme elles ont passé sur d’autres, en d’autres lieux, en d’autres temps.

Il y a eu les eaux bouillonnantes d’Ebola ou du sida, celles des guerres mondiales et des génocides ; il y a les eaux bouillonnantes du terrorisme et de l’exode, du réchauffement climatique et de la famine.

Le Psaume 124 nous raconte l’histoire du peuple d’Israël, ce peuple si souvent menacé d’être emporté par le courant, celui des divisions et de l’idolâtrie, celui de la déportation et de l’asservissement.


Notre vulnérabilité commune
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Comme pour le peuple d’Israël, il est des moments dans notre histoire, qu’elle soit notre histoire personnelle ou notre histoire commune, il est des moments où nous avons l’impression que le courant nous emporte, que nous perdons pied, submergés par un torrent plus fort que nous.

Alors, plus rien ne semble tenir et les eaux bouillonnantes passent sur nous, au risque de nous noyer, au risque d’y perdre la vie.

Le Psaume dit toute la précarité, toute la fragilité de notre condition de femmes et d’hommes. Nous ne sommes pas à l’abri ; nous ne sommes pas protégés. Notre existence humaine se vit dans la finitude. Comme le rappelle le Psalmiste, notre vie est toujours sous la menace d’être engloutie par la mort.

Aujourd’hui, de façon encore plus aigüe, la pandémie nous confronte aux limites de nos existences. Dans un récent entretien donné au journal Le Temps, la philosophe Corine Pelluchon avait ces mots : « Chacun sent désormais que son voisin, ou même soi peut être affecté, et il y a une prise de conscience d’une vulnérabilité commune. »

Chers frères et sœurs, l’histoire que raconte le Psaume, ce n’est pas seulement l’histoire d’Israël ; c’est notre histoire, l’histoire d’une humanité fragile, l’histoire d’une vulnérabilité commune.


Notre histoire est aussi l’histoire de Dieu
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Dans le Psaume, cette histoire de vulnérabilité est transformée, transformée par l’intervention de Dieu. Dieu intervient pour que son peuple, ce peuple fragile ne soit pas détruit par l’ennemi.

« Béni soit le Seigneur de ne pas nous avoir laissés comme une proie entre leurs dents! »

Le Psaume ne dit pas uniquement la précarité de la condition humaine ; il dit aussi ce lien indissociable qui unit l’humanité fragile à son Dieu. L’histoire d’Israël, notre histoire à nous, frères et sœurs, est aussi l’histoire de Dieu. Notre humanité n’est pas livrée à elle-même dans sa précarité, mais elle est en lien avec Dieu.

Ce lien, il est rappelé avec insistance en ouverture du Psaume :

« Si le Seigneur n’avait pas été pour nous… qu’Israël répète : Si le Seigneur n’avait pas été pour nous. »

Dieu, le Dieu d’Israël, notre Dieu, est un Dieu qui est pour nous, un Dieu qui ne reste pas à distance. Il s’implique dans l’histoire des femmes et des hommes. Il va jusqu’à changer le cours des événements pour protéger son peuple.


Et aujourd’hui ?
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« Si le Seigneur n’avait pas été pour nous… »

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le Seigneur est-il encore pour nous en cette période où nous avons une conscience si marquée de notre vulnérabilité ?

Chers frères et sœurs, chers auditeurs et auditrices, chacune et chacun de nous, nous avons vécu des moments où nous nous sommes demandés si le Seigneur était encore pour nous. Dans nos vies, nous connaissons ce sentiment d’être seuls, livrés à nous-mêmes, dans le courant qui nous emporte.

Il y a donc de quoi être surpris par ce chant de reconnaissance, cette louange au Dieu qui sauve. Les mots du Psalmiste nous interpellent, peut-être même qu’ils nous choquent, nous révoltent. Où est le Seigneur aujourd’hui ? Où était le Seigneur toutes les fois où nous avons eu le sentiment d’être la proie des eaux bouillonnantes ?

Alors, comment comprendre ce Psaume aujourd’hui ?


Des eaux de la mort à l’air de la liberté
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Le Psaume est plus subtil qu’il n’y paraît. Il n’est pas simplement le récit d’un sauvetage miraculeux, une belle histoire dont nous serions en droit de questionner la réalité.

Dans le Psaume, la délivrance est décrite d’une manière tout à fait spécifique :

« Nous nous en sommes tirés, comme un oiseau échappe au filet du chasseur : le filet s’est rompu, et nous nous sommes échappés. »

Le courant qui nous emporte, le torrent qui nous submerge, tout cela est soudain derrière nous. Par l’intervention de Dieu qui sauve, nous nous retrouvons dans les airs, libres comme l’oiseau qui échappe au filet.

On pourrait se dire que le récit est incohérent. Pourquoi parler d’un oiseau, qui évoque le ciel, alors que le Psaume auparavant est lié à l’eau ?

Je crois que ce changement, ce passage de l’eau à l’air est en réalité fondamental. Ce que le Psaume nous dit ici, c’est que, grâce à Dieu, nous entrons dans une autre dimension. Nous passons des eaux de la mort à l’air de la liberté. Le filet se rompt. Tout ce qui nous tenait captifs, tout ce qui nous entraînait vers la destruction, tout ce qui engloutissait la vie en nous, tout cela est vaincu. Dieu nous permet de nous échapper, comme l’oiseau échappe au filet du chasseur pour voler, libre, dans les airs.


L’entrée dans une vie différente
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Autrement dit, plus que l’histoire d’un sauvetage miraculeux, le Psaume nous raconte l’histoire d’une transformation, l’entrée dans une vie différente.

Le Psaume n’est pas la description fidèle d’un événement historique, d’une bataille gagnée à une date X ou Y contre un ennemi d’Israël. Le Psaume traverse les générations, dépasse les circonstances du moment pour nous dire cette histoire partagée entre Dieu et l’humanité, cette histoire entre Dieu et nous, frères et sœurs rassemblés aujourd’hui dans ce temple et par la radio.

Dieu est le Seigneur qui est avec nous, celui qui nous sauve non pas de l’empire babylonien ou de la pandémie du coronavirus, mais il est celui qui nous sauve en nous offrant la perspective d’une vie autre, d’une vie pleinement vivante parce que vécue dans la confiance en Dieu.

Quand le courant nous emporte, Dieu nous permet de croire que là n’est pas notre seul horizon. Dieu nous donne cette confiance qu’au cœur des eaux menaçantes, nous restons libres comme l’oiseau.


Le courage d’affronter les eaux bouillonnantes
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Aujourd’hui, cette liberté qui nous est donnée en Dieu, cette confiance que quoi qu’il arrive, nous sommes en réalité déjà sauvés, nous pouvons la mettre à profit.

Cette confiance, nous pouvons la mettre à profit, non pas pour nous détacher des événements du monde, comme s’ils ne nous concernaient plus. Mais, au contraire, dans la liberté donnée par Dieu, nous pouvons puiser le courage d’affronter les eaux bouillonnantes, les affronter avec responsabilité et solidarité.

Aujourd’hui, cela implique de suivre les règles émises par la Confédération, de rester le plus possible chez soi, de respecter la distance sociale pour qu’ensemble, nous protégions notre vulnérabilité commune, pour qu’ensemble nous prenions soin de celles et ceux qui sont les plus à risque face à la pandémie.

Comme le disait le conseiller fédéral Alain Berset : « On peut décider de toutes les mesures qu’on veut, s’il n’y a pas l’ensemble de la population derrière, qui respecte les mesures, cela ne sert à rien. »


Notre secours vient du Seigneur lui-même
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Chers frères et sœurs, chers auditeurs et auditrices, du fond des âges, le Psalmiste nous rappelle que Dieu ne nous laisse pas seuls quand le courant nous emporte. En toutes circonstances, il est le Seigneur qui est avec nous.

En ces temps difficiles, puissions-nous aussi vivre de cette confiance :

« Notre secours vient du Seigneur lui-même, qui a fait les cieux et la terre ! »

Amen.

Nous sommes souvent emportés par le courant de nos vies quotidiennes, parfois au risque d’être submergés et de ne plus pouvoir garder la tête hors de l’eau. Et si le secours venait du Seigneur ?

Détails

Avec la participation de
Daniel Chèvre et Pierre Burkhardt
Orgue
Musique
Dominika Szlezynger au piano et Jean-Philippe Schaer à la flûte