Chère communauté, chers téléspectatrices et téléspectateurs,
Les premiers à recevoir l’annonce de la naissance de Jésus, d’après l’évangéliste Luc, sont les bergers de Bethléhem qui veillaient sur leurs troupeaux. Luc ne dit rien sur ces personnes, ne révèle aucune particularité qui les caractérisait si ce n’est qu’ils étaient avec leurs moutons, sur lesquels ils veillaient. Nous pouvons résumer cette scène en disant que la bonne nouvelle de la nuit de Noël est reçue en premier par des personnes qui ne dormaient pas, mais qui veillaient.
Au cours de son activité publique Jésus a souvent raconté des paraboles. Et dans l’enseignement donné sous cette forme, nous trouvons, comme dans le texte que nous venons d’entendre, le thème de veiller. « Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant! », disait Jésus.
Peu avant la fin de sa vie sur terre, dans ces moments dramatiques qui précèdent son arrestation, Jésus se retire pour prier. Il amène avec lui dans le jardin de Gethsémané trois de ses disciples, à qui il demande par trois fois de veiller avec lui.
Au début et à la fin de la vie de Jésus, on trouve, dans ses enseignements, des personnes qui veillent – ou devraient veiller – et l’appel à veiller retentit. C’est comme si le fait de veiller était une attitude indispensable pour pouvoir cueillir et accueillir la parole de Dieu, l’évangile, le message de Jésus.
Aujourd’hui le verbe veiller n’est plus à la mode : personne ne l’utilise, c’est un verbe auquel personne ne réfléchit, qu’on ne retrouve pas dans les médias qui ont tant d’influence sur le langage que nous employons chaque jour. Les Eglises non plus ne s’arrêtent plus sur ce verbe car il semble trop insignifiant. Même dans les Eglises, nous préférons des verbes plus forts, plus énergiques, plus concrets : des verbes comme « aider », « agir », et « faire ». Dans un monde caractérisé par l’action, la rapidité, l’efficacité, nous pensons que veiller est synonyme d’immobilisme, d’incapacité, de résignation. Celui qui veille perd son temps.
Du coup, on ne tient pas compte de l’invitation de Jésus, qui demande à celui qui veut le suivre, à celui qui veut devenir son disciple, de veiller. Mais pourquoi veiller ? Je voudrais vous indiquer trois raisons.
Premièrement, veiller signifie attendre. Nous attendons un Seigneur qui est déjà né à Noël mais qui doit encore naître et prendre racine en nous, dans notre cœur et dans notre vie, « qu’il soit formé en nous », comme l’a dit Paul dans son épître aux Galates.
Et puis, nous attendons le Seigneur qui doit revenir. Quelques-uns hocheront la tête à l’idée que les chrétiens attendent encore le retour du Seigneur, après tout ce temps, après ce retard incompréhensible. Effectivement même les Eglises ont mis de côté l’attente, elles l’ont remplacée par leur propre présence. Fatiguées d’attendre, les Eglises ont remplacé Jésus par un substitut, ou par ses représentants.
Comment exprimer simplement cette attente à laquelle nous sommes appelés ? Nous pourrions dire que l’attendre veut dire chercher à comprendre avant d’agir, réfléchir avant de juger, et recevoir avant de s’imaginer pouvoir donner. Et attendre le Seigneur sans avoir la prétention de le posséder ou de pouvoir le gérer. Sachant qu’il est parmi nous, mais il n’est pas entre nos mains, c’est nous qui sommes dans les siennes.
Deuxièmement, Jésus a demandé qu’on soit éveillés et présents. Cela nous semble peu de chose, être présents. Mais en fait c’est la chose la plus difficile. Les disciples, dans le jardin de Gethsémané, n’ont pas réussi, peut-être parce que, comme nous, ils auraient voulu faire, agir, construire ou renverser la situation. Et nous avons des difficultés, nous aussi. Il n’est pas facile de rester à côté du lit de quelqu’un en train de mourir, ou de se trouver en face du désespoir d’une vie d’échecs, ou écouter la personne qui n’arrive pas à donner un sens à sa propre vie.
Mais Jésus insiste en disant que le commencement de chaque changement véritable et profond consiste à veiller, être aux côtés, être présents. Nous n’avons jamais été autant confrontés qu’aujourd’hui, à tant de personnes qui n’attendent pas une révolution dans leur vie, mais qui demandent un geste d’humanité, un geste d’écoute, de présence, de non-abandon, de tendresse.
Pour finir, veiller veut dire résister, apprendre à persévérer, à tenir ferme. Devenir chrétien ou chrétienne signifie apprendre à résister à la résignation, dans tous les domaines de la vie, dans la politique comme au travail, dans l’espérance comme dans la foi. Résister à la résignation même vis-à-vis de nous-mêmes, de notre fragilité, au sentiment d’inutilité qui agresse chaque initiative, qui mine tous nos enthousiasmes, et génère une crise pour chaque projet. En ces temps d’incertitudes et de questionnement, de crainte, Jésus renouvelle son appel à veiller.
Et il y a encore une étape à franchir, une question à laquelle il faut répondre. Il nous fait attendre, certes. Il nous faut rester éveillés, certes. Mais pendant combien de temps ? La réponse n’est pas difficile : nous attendrons jusqu’au retour de Jésus.
« Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant! », nous dit Jésus.
Veiller veut dire que rester éveillé par amour, c’est l’amour qui garde notre cœur et nos pensées en éveil et qui nous empêche de nous endormir. Et c’est aussi l’amour qui rend l’attente heureuse.
Attendre veut dire veiller, et veiller veut dire aimer celui qui vient : celui qui est né à Noël et qui doit naître en notre for intérieur et qui revient. Heureux ces serviteurs qui attendent, car s’ils attendent, cela veut dire qu’ils veillent. Et s’ils veillent, cela veut dire qu’ils aiment. Et s’ils aiment, ils seront heureux pendant l’attente. Personne n’est plus heureux que celui qui aime.