L’Ascension: comment célébrer la solitude?

Eglise de Pampigny (© Ludovic Péron, CC BY-SA 3.0 Wikimedia Commons)

Écouter le culte :

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul », c’est le constat que fait Dieu, au commencement de la Bible, dans le livre de la Genèse. Cette phrase sonne comme un couperet : il ne serait donc pas bon d’être seul ! La solitude a mauvaise presse, elle est redoutée, et le premier livre de la Bible met tout de suite le doigt dessus.

Sortie de son contexte, cette parole pourrait même résonner comme une malédiction pour celles et ceux qui ont pourtant à affronter la solitude. Et nous sommes nombreux et nombreuses, à vivre des moments de solitude. C’est une composante inévitable de la vie humaine. Nous vivons tous et toutes des moments isolés, des sentiments d’abandon, ou des solitudes choisies.

Dans l’histoire du christianisme, on peut d’ailleurs aussi constater qu’il y a bien des personnes qui se sentent appelées - qui ont la vocation - de la vie en ermite ou de la vie recluse.

Alors, ces solitudes, qu’elles soient choisies, ou qu’elles soient subies, que pouvons-nous en faire ? Et au fond, sont-elles vraiment si mauvaises que ça ?

 

Détours par trois solitudes

Dans les Actes des apôtres, le récit raconte que les disciples assistent impuissants à l’élévation de Jésus et à sa disparition dans une nuée. Ils semblent bloqués, les yeux rivés vers le ciel, comme abasourdis par la solitude nouvelle qu’ils doivent affronter avec le départ de leur maître. Ils avaient déjà dû vivre sa mort sur la croix et les voilà de nouveau confrontés à sa disparition et à son absence.

Cette solitude imposée contient en elle de nombreuses significations. Je voudrais pour cela revenir sur quelques moments de solitude des Evangiles. Les deux premiers concernent le Christ. Le troisième concerne les femmes face au tombeau vide.

La première solitude concerne donc Jésus, lorsque dans les Evangiles, à plusieurs reprises, il se retire, notamment pour prier et méditer. C’est le cas par exemple, avant de choisir ses disciples, ou lorsqu'il apprend la mort de Jean-Baptiste. Ces moments sont le reflet de temps dont le Christ a besoin pour prendre de la distance avec les relations qu’il noue, pour digérer une nouvelle, ou encore pour entretenir une relation avec son Père céleste.

Ces retraits du monde, peuvent nous faire penser à notre propre besoin d’isolement, nos solitudes choisies, celles qui nous sont nécessaires pour respirer un peu avant de retourner vers le monde.

La seconde solitude est également expérimentée par le Christ, c’est la solitude vécue sur la croix. C’est l’abandon : trahi par ses plus proches, dénoncé par les autorités religieuses, délaissé par Dieu. La Passion du Christ est l’expérience ultime de la solitude. On passe parfois trop vite sur cela, en voulant se rassurer : après tout, le Christ savait à quoi s’attendre, cela faisait partie de sa mission… pourtant bien des textes bibliques nous laissent entrevoir la difficulté et la solitude engendrée par la fin de son ministère terrestre.

De même dans nos vies, ce n’est pas parce qu’on sait qu’à tout moment peut survenir la mort, la maladie, l’isolement, ou bien la trahison, que nous y sommes bien préparés !

La troisième solitude, c’est celle des femmes face au tombeau. Le constat déroutant, c’est que Jésus n’est plus là. Il n’est plus dans le tombeau. Même si la nouvelle est bonne, car le tombeau vide raconte sa résurrection, que faire et comment en parler ?

Il arrive que, nous aussi, même face aux bonnes nouvelles, nous ne sachions pas toujours comment les partager. Cela peut faire penser, par exemple, aux couples, ou aux femmes qui découvrent avec joie une grossesse. Une habitude culturelle ou une prudence, veut que cela ne se révèle pas immédiatement à tout le monde. Il y a, là aussi, une forme de solitude face à la bonne nouvelle de cette vie qui se développe. On peut se sentir très seul face à la promesse d’une nouvelle vie - ou d’une vie nouvelle ! - qu’on ne peut pas pleinement annoncer.

 

Une solitude complexe

Ces détours par ces trois solitudes me permettent de vous dire la complexité de ce que vivent les disciples de Jésus face à son élévation et à sa disparition dans la nuée.

L’Ascension de Jésus fait vivre toutes ces choses à la fois, de façon très mélangée, très mêlée : d’une part, la solitude comme recul nécessaire sur ce qui a été vécu ; d’autre part, la solitude comme abandon, et également la solitude comme difficulté, impossibilité à formuler ce qui met en joie.

Les disciples sont seuls face à eux-mêmes : leur maître rejoue son départ. Deux abandons en peu de temps, ça ne doit pas être facile à encaisser. Il vont devoir affronter l’absence de Jésus et la douleur qu’elle provoque, individuellement et collégialement.

​​Les disciples sont seuls face à Dieu : l’Ascension sonne la fin de l’incarnation ! Plus de Jésus à voir, à toucher, à écouter. A partir de maintenant, c’est en totale autonomie qu’il faut vivre sa foi, sans tuteur visible auquel se référer.

Les disciples sont seuls face aux autres : Jésus leur annonce qu’ils devront être des témoins. Mais comment formuler un témoignage à partager à d’autres quand on est encore bouche-bée face à ce qui nous arrive et face à la promesse de la venue du Saint-Esprit ? Les mots devaient leur manquer pour faire le récit ce qui venait de leur arriver.

Nos solitudes humaines sont complexes, comme celles des disciples. Qu’elles soient subies ou choisies, nous sommes, nous aussi, seuls face à nous-mêmes, face à Dieu, face aux autres.

Que ce soit Dietrich Bonhoeffer ou Martin Luther, ils rappelleront dans certains de leurs écrits que Dieu appelle l’individu. Dieu appelle l’individu à ne pas fuir devant lui-même, mais à se responsabiliser. Ils diront, chacun à leur manière, que la réponse à l’appel de Dieu ne se fait pas en concertation avec les autres, mais qu’il s’agit d’une décision personnelle. En effet, personne ne vivra notre vie à notre place, personne n’est devant Dieu à notre place.

Le chrétien, la chrétienne est donc celui, celle qui sait vivre en communauté, mais aussi, parallèlement, en état de solitude.

L’Ascension fête donc cela : l’humanité peut affirmer joyeusement son autonomie et son indépendance, autorisée par le Christ le jour de son élévation. 

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul.» Vraiment ? Il y a pourtant bien une solitude nécessaire, qui porte le sceau de la liberté humaine ! 

 

Captivité et relation

La liberté, c’est ce qui a manqué à l’apôtre Paul dans les périodes où il était détenu en prison. La lettre aux Ephésiens est, ce qu’on appelle un « écrit de captivité ». En détention, il est évident que l’apôtre Paul a expérimenté la solitude et l’isolement. Même en dehors de ses périodes de captivité physique, Paul a parfois dû faire face à la solitude dans ses voyages, notamment dans ses séjours dans des endroits éloignés ou lors d’affrontement avec des opposants

Dans l’extrait de cette épître de la captivité lue ce jour, dans l’épître aux Ephésiens, l’auteur insiste sur l'unité et l'amour fraternel au sein des communautés de croyants. On y lit un encouragement insistant à s'entraider, à se pardonner les uns aux autres et à maintenir autant que possible des relations harmonieuses.

Il est interessant de constater que même si Paul vit une situation d’isolement, il pense, théorise, analyse les relations humaines. La captivité de Paul a sans doute renforcé ses réflexions sur la vie communautaire, sur la vie partagée.

Comme Paul dans les épîtres de captivité, la solitude, subie ou choisie est souvent l’occasion de repenser nos relations - en particulier les trois relations essentielles dont je parlais déjà tout à l’heure : nous-mêmes, Dieu, et les autres.

 

Au boulot !

« Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? » est la question que posent les deux hommes habillés en blanc aux disciples. Aujourd’hui, cette parole peut résonner comme un « Ne restez pas plantés là ; il y a du boulot ! ».

Le chemin qui s’ouvre devant nos pas, en ce jour de l’Ascension, est un chemin de liberté, d’autonomie, de responsabilité… et ce n’est pas de tout repos !

L’appel de ce matin n’est pas un appel à fuir le monde. C’est un appel à l'habiter avec votre plus belle individualité, notre plus belle individualité, celle que le Christ a voulu pour nous.

Souvenons-nous que Jésus, au moment de son ascension, a confié la suite de l’histoire a un groupe de personnes et non pas à un seul représentant. Ainsi, le témoignage que nous donnerons, chacun, chacune, s’il doit témoigner d’une foi unie, ne peut pas, ne doit pas être uniforme.

« Il nest pas bon que l’être humain soit seul » - et c’est vrai. Car notre solitude a besoin d’un vis-à-vis, d’une altérité, d’une individualité qui fait face et avec qui dialoguer. Et c’est là que réside la beauté de l’Eglise du Christ !

Amen !

La fête de l'Ascension marque le début d’un temps où les disciples de Jésus sont séparés physiquement de lui. La solitude peut être considérée comme une composante inhérente de l'expérience humaine. Passons ensemble en revue les solitudes bibliques - y compris l’évènement de l’Ascension - et voyons comment ces solitudes subies peuvent devenir des temps à célébrer.

Détails

Avec la participation de
Eric Häberli pour les lectures
Orgue
Teresa Trachsel
Musique
Le choeur mixte l'Espérance de Bière sous la direction de Robin Batholini