Effata, Ouvre-toi

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« Partager la communication», c'est le thème de la campagne 2002 d'Action de Carême et de Pain pour le prochain. La première page du calendrier de cette campagne est assez suggestive : une main, un Q-tip et une oreille. La main est plutôt noire et l'oreille est plutôt rose ! Vous avez là toute une symbolique pour nous faire comprendre qu'il faut nous ouvrir et nous mettre à l'écoute de ceux qui, dans le monde et sur cette terre crient leurs peines, leurs souffrances, leur désespoir, mais nous ouvrir aussi pour écouter Dieu nous parler.

Frères et Sœurs,
Il y a quelque chose de pathétique, d'émouvant dans le récit de ce sourd-muet que Jésus va guérir. Imaginez ce que c'est de ne rien entendre et de ne rien pouvoir dire, être enfermé totalement en soi-même, être comme emmuré sans communication possible. Ne rien entendre et ne rien pouvoir dire !
Il y a quelque chose de pathétique, d'émouvant également dans l'attitude de Jésus qui reçoit ce sourd-muet, l'accueille et lui met les doigts dans les oreilles, crache et lui touche la langue.
Quelque chose encore de très pathétique, d'émouvant quand Jésus lève son regard vers le ciel. Et ce soupir tellement difficile à interpréter !
Quelque chose de pathétique, d'émouvant dans l'attente qui s'installe alors : Jésus va-t-il guérir ce sourd-muet ? Réussira-t-il ? Le pauvre homme retrouvera-t-il son ouïe, pourra-t-il parler ? Et il y a aussi ce mot que Jésus prononce dans sa langue, l'araméen : « Ephphata ! ». «Ouvre-toi! », un mot qui sonne tellement juste : ouvre-toi ! Face à cet homme enfermé totalement en lui-même, emmuré, un seul mot : ouvre-toi !

Ce mot, je l'entends assez clairement et je crois que c'est un mot que le Christ prononce encore aujourd'hui, qu'il prononce pour nous, nous qui sommes si souvent enfermés sur nous-mêmes, enfermés dans nos soucis, enfermés, repliés sur nous-mêmes dans nos problèmes quotidiens, enfermés, emmurés dans nos certitudes d'avoir toujours raison, enfermés dans notre bon droit, enfermés, emmurés dans nos prérogatives, nos à priori, nos préjugés, enfermés sur nous-mêmes, fermés aux autres, fermés au partage, fermés, murés, emmurés.
Je crois qu'effectivement, ce mot « Ephphata, ouvre-toi » est aussi pour nous, mais que ce mot, tant d'hommes et de femmes ne l'entendent plus, ne veulent plus l'entendre parce qu'ils sont sourds à la voix de Dieu, comme ils sont sourds à la voix des hommes qui crient leur désespérance.
C'est vrai que ce n'est pas toujours facile d'entendre la voix de Dieu quand on est préoccupé par sa vie, préoccupé par demain.
Pas facile d'entendre la voix de Dieu alors que les bruits du monde nous assaillent journellement. C'est aussi vrai de dire que les nouvelles du monde, l'avenir problématique nous poussent plutôt à nous enfermer sur nous-mêmes comme pour se préserver.
Il est vrai que c'est difficile aujourd'hui de distinguer la voix de Dieu au milieu de tous les discours politiques, de toutes les prises de position qu'elles soient économiques, écologiques, scientifiques et qui, si souvent, se contredisent joyeusement.

Pourtant, une chose est sûre, Dieu nous parle à travers toute la Bible, le Christ nous parle par le biais des Evangiles. On devrait donc se poser la question de savoir si le monde d'aujourd'hui, le monde qui nous entoure n'est pas lui aussi un peu sourd. Sourd et muet ?
Muet parce qu'il y a des choses qu'aujourd'hui qu'on ne dit plus, des choses qu'on n'ose plus dire surtout la vérité, et ses émotions. Cela dérange, cela dérange trop !
Mais muets, nous le sommes aussi, dans la mesure où il devient souvent difficile de parler à Dieu parce que les mots sont difficiles et que la prière est elle-même difficile. Que dire à Dieu, comment se dire et comment le dire ? C'est d'autant plus difficile que dans la prière on est deux, moi qui tente de me dire et Dieu qui écoute, ce qui fait que si j'arrive à prier, il faudrait encore que j'écoute alors ce que Dieu a à me dire.
Et si je suis sourd, que faire ? C'est bien pourquoi, ce récit de guérison est très important et particulièrement actuel. Ouvre-toi, ne reste pas enfermé en toi, ne reste pas fermé sur toi-même, ne reste pas emmuré..
Mais, s'ouvrir, c'est reconnaître être enfermé et c'est une des autres difficultés. On se croit toujours libre, on se croit toujours ouvert à tous et à tout. On se dit même parfois «citoyen du monde» alors, qu'en fait, on n'est bien que chez soi et on n'accepte jamais d'être dérangé. On préfère les discours qui nous arrangent, plutôt qu'une parole qui nous dérange.
Il faut oser écouter ce que le Christ nous dit aujourd'hui et reconnaître qu'on a besoin nous aussi d'être touché par les doigts du Christ, qu'on a besoin d'être libéré pour nous ouvrir à la vie.

Le drame, c'est que nous n'avons pas l'impression d'en avoir vraiment besoin. Il y a pourtant toujours, dans notre vie, des moments où l'on a besoin d'entendre une parole de paix, une parole de vie, une parole d'espérance, une parole qui nous remet en marche. Je suis sûr que les anciens se souviennent de la dernière guerre et de cet homme, ce journaliste, ce commentateur exceptionnel, René Payot.
René Payot, un homme qui parlait et qu'on écoutait et dont on attendait toujours une parole d'espoir, une parole pour continuer à faire face, une parole pour rester prêt à faire face. Un homme qui n'avait pas peur de s'engager et qui donnait chaleur et espoir à ceux qui se sentaient particulièrement enfermés dans l'étau nazi et menacés dans leur intégrité.
Mais il y eut aussi Radio-Londres, la voix de la France clandestine à Londres, les Français l'écoutaient au risque de leur vie, l'oreille collée au poste, attendant le message d'espérance, intensément avant de le communiquer à ceux qui n'avaient pas de poste radio pour l'écouter.

Aujourd'hui comme hier, nous avons besoin d'entendre le message d'amour, de pardon et d'espérance que Dieu ne cesse de nous faire parvenir. Il faudrait vraiment ouvrir les oreilles aux humains de ce monde pour qu'ils entendent la voix de Dieu. Notre vie changerait, notre monde changerait déjà là où nous sommes, dans la vie que nous vivons.
Je me demande pourtant souvent si nous en avons vraiment besoin, si ce n'est pas plus facile de faire la sourde oreille, continuer la vie envers et malgré tout, en vase clos, juste pour soi et éviter d'être dérangé et d'avoir à se déranger.
«Il n'y a pas prie sourd que celui qui ne veut pas entendre.» Ne soyons pas des êtres couchés qui n'attendent que la mort, devenons des hommes debout. Un homme debout est un homme qui veut la vie, un homme qui fait face, un homme qui veut le bien, pour lui mais aussi pour tous.
Il nous faut retrouver l'ouïe, il nous faut retrouver la parole pour dire au monde l'espérance que Dieu nous donne par-delà la mort et la résurrection du Christ.
Et je crois que c'est dans la mesure où nous nous ouvrirons à la voix de Dieu que nous pourrons alors entendre la voix des hommes qui crient leur désespérance, l'entendre, l'intérioriser et la faire rejaillir en actes de vie et de partage.

Frères et Sœurs,
Dans ce récit que nous rapporte l'évangéliste Marc un mot me frappe encore. Il me frappe même beaucoup, c'est ce mot totalement impersonnel, ce mot «on». «On lui amena un homme qui était sourd.» On lui amena.
Qui se cache derrière ce «on» : une, deux, trois ou quatre personnes peut-être, mais déjà une, deux, trois ou quatre personnes qui avaient foi en ce Jésus dont on parlait et qui pressentaient que lui et lui seul allait le guérir.
Dans ce temps de la passion, ce temps de carême ouverts à Dieu, ouverts au Christ, guéris de notre surdité et de notre mutisme, j'aimerais que nous devenions simplement, humblement ces «on» pleins de foi, pleins d'espérance, porteurs des autres vers la lumière de Dieu.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Ruth Robert
Musique
Christian Robert, cornet