" Ah, je me marre !" ", me disait le diable ce matin dans ma salle de bain ! " Je viens de me promener dans notre millénaire, et ce n'est pas très beau à voir. Non, pour le dernier jour de cette grande période, je suis un peu déçu pour vous. Parce que, m'expliqua-t-il, dans un de vos sempiternels films d'aventures, à la fin, votre héros gagne, les terroristes sont anéantis et, à défaut d'une paix rétablie telle que Dieu la voudrait, vous vous dites que votre monde n'est, somme tout, pas trop mal. Mieux vaut un chien vivant qu'un lion mort ! dit le proverbe ! "
" Regarde votre Bond, - James Bond - comme vous le nommez ", me dit encore le diable. Prends Tarzan ou Tintin, Astérix le Gaulois ou Superman, la situation est toujours la même: Moi, le " Diabolo ", je vous envoie des êtres dépravés qui veulent dominer les peuples, ils sont contrecarrés par vos héros fabrication high-tech et, pour vous faire plaisir, vous vous arrangez pour que tout finisse bien.
Mais voilà qu'avec vous et dans la vie de tous les jours, dans la vraie vie, tout ne finit pas indubitablement bien. Avoue que les événements me donnent raison : on se bat tous azimuts, on se drogue sous toutes les latitudes, vos églises se mordent le nez, bref, inutile d'en ajouter ! Alors, Monsieur le Ministre de la Bonne Parole, non pas " Que fait la Police ? ", mais " Pourquoi Dieu n'y met pas un terme de façon à ce que vous puissiez croire paisiblement en lui ? "
A la fin de ce second millénaire, il n'avait pas forcément tort, mon accusateur ! Il est vrai qu'on finit par être désemparé. On ose parfois à peine se pencher sur la somme d'épreuves qui atteint ceux qui sont frappés. Il y a loin de cette main mystérieuse dont le but semble de vouloir nous abattre à la main invisible dont les effets paraissaient plutôt bénéfiques à notre ami Bertrand Piccard. A ces interrogations, jetons un petit coup d'œil au début du Livre de Job. C'est un ouvrage de sagesse et non pas un traité d'histoire. Une littérature qui a fleuri en Egypte, Canaan et Mésopotamie et qui veut nous faire réfléchir sur la condition humaine et sur la façon d'être heureux.
Or donc, dans le Livre de Job, on voit un serviteur de Dieu, fidèle et heureux, frappé tout à coup par une main maudite. Pourquoi ? Nous sommes bien, ici, au cœur du problème posé ! Dans ce cas précis, que dit ce livre poétique issu de conteurs, de scribes et de rabbins du 4e siècle avant Jésus-Christ ? Il ne cherche pas la solution sur la terre, mais dans le ciel. Ici-bas, nous sommes environnés de mystères : pourquoi est-on heureux et pourquoi est-on malheureux, humainement parlant, j'entends ?
La vie, l'âme, l'intelligence, la conscience ? Et par là-dessus : le soleil qui éclaire la beauté et la laideur, la pluie abreuvant le serviable comme le malhonnête. Ça, c'est pour la terre où il est difficile à l'homme de comprendre, mais au ciel, que se passe-t-il ? Eh bien, au ciel, on assiste à une espèce de défi. Dieu règne, mais pourtant, en face de lui, se dresse un contradicteur. On l'appelle Satan (en latin) ou Le Diable (en grec), j'aime assez le nommer Le Séparateur, ce qui signifie la même chose. On l'appelle dans le Livre de Job : l'Accusateur. Et cet Accusateur nargue Dieu, comme il me narguait ce matin dans ma salle de bain :
" Eh Bien ! Je viens de parcourir la terre et de m'y promener. ". On pourrait ajouter : " Ah, Seigneur ! le spectacle n'est pas bien beau à contempler. Le monde qui sort de tes mains est un véritable scandale, une honte, j'en ris encore ! Tes créatures se moquent de toi, elles sont abandonnées (par mes soins) à la guerre, au meurtre, au vol, à la vengeance pour leur intérêt personnel. On entend le tumulte des batailles, les râles, les cris, les pleurs. Pas joli-joli tout cela !"
Disons que ce personnage n'est pas le roi absolu, mais il possède un lieu, une sphère où il exerce son influence, ce monde où il peut donner sa pleine mesure, c'est le nôtre et nous le sentons bien. Mais un monde créé par Dieu. C'est pourquoi il y a des étoiles au firmament, un soleil dans le ciel, des couleurs, des chants. C'est pourquoi il y a de l'amour dans le cœur des hommes, de la clarté dans les consciences, de la vérité et de la justice. C'est pourquoi il y a de la musique, de la peinture, des lettres et de la danse. Mais dans ce monde sorti des mains du Créateur, voilà l'ennemi séparateur qui montre de quoi il est capable et c'est ce que nous voyons beaucoup trop souvent.
Si nous réalisons que notre monde est, partiellement, le règne de ce " diable de séparateur ", nous comprenons peut-être mieux pourquoi il est ce qu'il est. Rappelez-vous le mot de Jésus dans la parabole de l'ivraie, ce magnifique champ de blé dans lequel quelqu'un a semé de la mauvaise herbe : " C'est un ennemi qui a fait cela ! " Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, mais quand l'Accusateur annonce à Dieu " qu'il est venu faire un petit tour sur terre ", il faut être conscient qu'il ne s'est pas contenté de nous regarder vivre. Il profite de semer la zizanie (comme on le dit volontiers). Et, dans la Bible, le terme grec que nous traduisons par ivraie est très précisément zizanion, la zizanie.
Nous aurions dû conserver le terme grec dans nos traductions modernes ; car la zizanie est, pour nous, beaucoup plus claire que le terme d'ivraie. " Semer la zizanie " est une expression qui a du répondant chez nous ! Imaginez la lecture de la péricope de Matthieu : " Les serviteurs lui disent : Maître, tu avais semé du bon blé dans ton champ, d'où vient donc qu'il y a aussi cette zizanie ? " Il leur répondit: " C'est un ennemi qui a fait cela ! ".
Les serviteurs lui demandent " Veux-tu que nous allions raser cette zizanie ? " " Non, répond-il, car en arrachant la zizanie, vous risqueriez d'arracher aussi le blé; laissez-les pousser ensemble jusqu'à la moisson. "
Ainsi donc, " Dieu et Diable " ont accompli chacun leur travail qui a consisté, pour le premier, à semer la Bonne Nouvelle du Royaume à laquelle s'est mêlée la perversion du second sous différentes formes, de sorte qu'il ne devient pas tellement difficile de les distinguer l'une de l'autre (on différencie assez clairement le Bien du Mal), mais il est surtout difficile de les séparer sans porter préjudice au grain de bonne qualité.
L'instant suivant, on apprend que la bonne semence qui était la Parole du Royaume, à présent désigne ceux qui l'acceptent, en vivent et deviennent les enfants du Royaume. Quant aux autres, ils sont la conséquence d'un être qui s'est faufilé de nuit, dans un champ où il n'avait absolument rien à faire et qui savent que s'ils n'ont rien à gagner à la destruction du champ, le propriétaire lui, par contre, à tout à y perdre. Dans cette situation de semences mêlées, notre souci de clarté, de propreté rejoint celui des serviteurs qui, aimant l'ordre, veulent débroussailler le terrain. Cette idée de vouloir tout remettre en état ne date pas d'aujourd'hui ! En bons Suisses, on refuse l'état de ce champ ; en partie blé, en partie zizanie, on aime le " tip-top, nickel " !
Nous voudrions bien que Dieu se manifeste dans ces situations, qu'il retienne le bras du criminel, qu'il administre une fois pour toutes, une bonne raclée à ceux qui agissent contre sa volonté, qui viennent perturber, étouffer la bonne semence qui suffirait pourtant à elle seule à embellir le champ.
Oui, je l'admets, c'est tentant. Mais nous ne nous sommes jamais posé sérieusement la question de savoir si Dieu était, lui aussi, d'accord avec notre point de vue. En termes plus proches de la Bible, nous ne nous demandons guère si cette façon d'agir est conforme à la volonté de notre Père Céleste. Pour enfoncer encore le clou, il ne nous vient pas à l'idée que nous pourrions participer aux semailles de la zizanie ? Enfin, nous partons du principe que lorsque l'Ivraie sera là, nous la reconnaîtrons et que nous pourrons agir. Or le danger est toujours là.
Méfions-nous, nous sommes parfois moins futés que nous ne le croyons. L'ivraie qui grandit à côté de nous a " le temps des millénaires " et peut ainsi attendre le moment propice. Ce temps-là, nous ne l'avons pas !
Alors, ce que nous devons faire est de nous manifester. Le bon grain, la semence saine, cela doit se voir. Dieu ne s'est pas donné la peine d'ensemencer le monde pour que les fruits soient tout rabougris. Et c'est à nous de montrer à L'IVRAIE, qu'avec l'aide de Dieu, nous sommes capables de grandir, de croître suffisamment pour ne pas être dépassés par la mauvaise herbe.
Comment voudrions-nous qu'un moissonneur s'y retrouve si, dans un champ, on ne voit pas le blé parce que la mauvaise herbe est 3 ou 4 x plus haute que les épis ?
Dieu nous demande-t-il d'être du blé ou du froment ? Alors, faisons ce qui est en notre pouvoir pour être les plus beaux épis.
En clair, ce que Dieu nous demande d'être, dans la vie de chaque jour, soyons-le pleinement.
Sommes-nous quelques fois découragés, comme Job, par les tentations, les injustices, les actes de violence et tout le reste, prenons patience et pensons au Maître de la moisson. Il ne s'est pas découragé quand on lui a appris que L'IVRAIE avait été mêlée à son BON GRAIN.
Furieux ? Probablement ; mais pas découragé.
Car la bonne semence ne s'est pas contentée de constater la présence de la mauvaise herbe ; elle a rivalisé avec elle.
Et comme vous le constatez : l'arithmétique de Dieu n'est pas nécessairement la nôtre. Il y a une sorte de défi continuel entre Dieu et l'Accusateur. On le constate dans ce texte de Job. Quand le Séparateur dit : "Je suis allé sur terre pour faire un petit tour", Dieu lui rétorque : "Tu as vu mon serviteur Job?". Et immédiatement le Diable défie Dieu, à propos de Job justement : "Tu crois que c'est de manière désintéressée que Job te craint ? Tu l'as protégé, lui, sa maison et tout ce qui lui appartient. Ce n'est pas difficile de t'aimer dans ces conditions. Mais touche à ce qui lui appartient et tu verras qu'il te maudira".
Et voilà que Dieu accepte le défi... et nous sommes toujours en situation de défi, aujourd'hui. "Voilà : tout ce qui lui appartient, je te le livre", lui dit Dieu.
Le Séparateur quitte Dieu et le grand drame de la souffrance va commencer pour Job et en fin de compte, pour nous.
Vous connaissez l'histoire de JOB ; il va tout perdre : richesses, enfants, santé ; réduit aux conditions d'une épave grattant ses plaies, environné de consolateurs assommants et ses lèvres pourront murmurer comme les nôtres : "Mon Dieu, mais qu'est-ce que je t'ai donc fait ?".
Il est évident que Job ne sait pas de quelle victoire il est l'enjeu, de quel triomphe il est le prix. Et là-haut, le Séparateur, mi-sourire, mi-anxieux tout de même, observe et attend la capitulation. Il veut la défaite de Job ; il la lui faut pour son triomphe !
L'Accusateur attendra toujours la défaite de ceux que Dieu s'est choisis. Il a attendu celle de tous les fidèles ; celle du Christ, en particulier, qu'il a affronté dans le récit des Tentations, tout au long de sa vie et même sur la croix : " Sauve-toi et sauve-nous en même temps".
Il attend la capitulation de l'Eglise et, bien sûr, il attend la nôtre.
Job, ruiné, malade et seul a persisté dans sa soumission à la volonté de Dieu et reconnaîtra même que, dans ses moments de révolte contre Dieu, ses lamentations et ses accusations sont sans objets.
Dieu a vaincu l'Accusateur, à travers ce récit si particulier du Livre de Job ; il vaincra à travers la vie du Christ et… à travers nous, peut-être. Le Séparateur n'a pas gagné... il ne doit pas gagner !
Pourquoi l'horreur du monde ? Pourquoi la souffrance ? Pourquoi la détresse ?
Peut-être Dieu laisse-t-il notre Séparateur se promener dans le champ de blé de notre monde et que sa zizanie préférée est l'intérêt personnel qu'il glisse en nous ?
Nous sommes engagés dans un combat de grande envergure dans un monde rude.
On ne doit pas s'en étonner, mais on doit, alors, jeter toute sa vaillance à la gloire de Dieu.
C'est par nous que le Séparateur doit être vaincu ; ce n'est pas une mince affaire, elle peut s'accomplir avec l'aide de Dieu ; car une lutte terminée ne fait qu'en annoncer une autre. Mais comme avec Job, Dieu sait reconnaître celui qui lui fait honneur.