Frères et soeurs,
La Nuit de Noël est à peine terminée, que déjà, une ombre plane sur elle. Joseph est averti en songe qu'il doit quitter le pays. Il ne réfléchit pas un instant. Il prend son épouse et leur enfant et ensemble, fuient en Egypte. L'ombre qui plane sur la crèche, c'est Hérode qui la fait peser durement. Les mages ayant annoncé la naissance d'un roi, du roi des Juifs, Hérode se sent menacé. Il ne veut pas de concurrent. Il tient à son pouvoir. Et il tient tant à son pouvoir qu'il ne va pas hésiter à faire mourir tous les enfants de Bethléem et de son territoire âgés de deux ans ou moins. Un massacre terrible, innommable, un massacre qui nous fait comprendre à quel point un homme menacé dans son pouvoir est capable de tout, au même titre qu'un homme qui veut le pouvoir est capable de tout.
Tueries, menaces, trahison, chantage, mensonges, tout l'arsenal des bassesses et des crimes dont est capable l'homme de toujours. Cette année qui s'achève en est pleine, dans le monde entier, ce siècle également, l'histoire nous rattrape ! Ce n'est pas étonnant que les hommes se blindent, que les hommes érigent des murs pour se protéger de l'autre, des autres.
Qu'est donc devenu, à l'annonce de la naissance de Jésus, ce chant d'espérance et de louange lancé dans le ciel ? Oui, qu'est devenu ce " Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés. " ? L'homme l'a-t-il vraiment entendu ? L'homme l'a-t-il intériorisé ? Pas sûr ! Dans un ouvrage paru quelques années après la dernière guerre le psychiatre suisse Carl-Gustave Jung, dans son livre " L'homme à la découverte de son âme " fait une observation intéressante, je le cite : " La nature a procédé à deux grandes expériences; elle a d'abord créé des animaux à carapace, dont le squelette est extérieur, protégeant une masse intérieure molle; puis elle a trouvé cela insuffisant, elle paraît avoir jugé qu'il était par trop maladroit de devoir perdre tous les ans son armure et d'être pour quelque temps complètement nu, mou, livré à tous les dangers, conditions peu favorables à un développement et à une culture plus élevés. La nature, alors, a placé la matière dure à l'intérieur, l'extérieur restant mou, et c'est ainsi que prirent naissance les vertébrés. " Fin de citation.
Ainsi décrit, le crustacé est un être qui cherche avant tout à se protéger des autres. Par peur, par paresse ou par égoïsme, il met ce qu'il a de plus solide, sa coquille, sa carapace, entre lui et ses semblables. Et plus il est dur à l'extérieur, plus il est mou, inconsistant à l'intérieur. Le vertébré, lui, accepte le risque de la vie. Il est vulnérable à l'extérieur, il offre à ses semblables la partie la plus sensible de son être, mais il est fort de la résistance intérieure que lui donne sa charpente. Carapace ou charpente ? Voilà, je dirais, les deux formes de vie qui nous sont offertes.
Le choix doit être clair. Touché par la naissance du Christ, je renonce à ma carapace, je veux devenir poutre, je veux participer à la charpente du monde. J'aime donc beaucoup l'idée du charpentier qu'exprimait un jour un billet d'humeur. Charpentier : l'homme qui construit la structure de la maison d'antan. Charpentier : l'homme qui aujourd'hui construit la structure du toit qui va protéger l'ensemble de la maison. Travail du bois, poutres sciées à même le tronc, dans sa longueur, poutres qui travaillent encore, soutiennent, sous-tendent. Poutres qui émettent des craquements, un peu, quelquefois, comme pour nous rappeler qu'elles existent, qu'elles sont bien là et quel effort on leur demande.
Charpentier, Jésus l'a été, c'est sûr, en posant dans le monde la structure porteuse de vie et il nous a laissé les plans clairs et précis. La charpente sera solide dans la mesure où nous savons aimer. Elle sera solide dans la mesure où nous savons pardonner. Elle sera solide dans la mesure où nous savons accueillir. Elle sera solide dans la mesure où nous refusons de juger, solide dans la mesure où nos refusons de condamner. Elle sera solide dans la mesure où nous savons recueillir, partager, faire oeuvre de paix. Les poutres clairement taillées, posées s'emboîtent et se tendent, sans effort apparent ; elles tiennent, elles protègent.
Charpentier, le Christ l'a été pour nous et c'est dans cette mesure-là que la vie, la nôtre, est possible. Pour s'offrir, à la fois plus ouvert, plus tendre et plus alerte à la vie extérieure, il faut se fortifier à l'intérieur de soi, c'est bien le rôle de la charpente, le rôle du charpentier et c'est bien pour cela que j'aime cette image du charpentier, charpentier du monde.
A quelques pas de l'an 2000, il n'y a pas de place pour la peur, pas de place pour une quelconque angoisse, la charpente du monde selon le plan de Dieu est loin d'être terminée. Ce que d'aucuns ont construit, d'autres se sont plu à le détruire en partie. Il y a du travail pour tout le monde. Il y a des arbres à planter en quantité, des chênes dans lesquels nous pourrons tailler les poutres solides qui participeront à la charpente que l'enfant de la crèche est venu poser dans le monde.
A quelques pas de l'an 2000, il n'y a pas de place pour la peur, pas de place pour une quelconque angoisse. Il y a un plan à mettre à exécution pour vivre enfin un avenir en posant dans la vie, la nôtre, des structures solides de pardon, d'amour, de paix et de joie. Nous ne sommes pas faits pour projeter un peu plus d'ombre encore sur la crèche, nous sommes faits pour porter et transmettre la lumière.
Amen !