Frères et soeurs, que la Paix de Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit vous apporte réconfort et repos !
Qu'il en soit de même pour vous, frères et soeurs, qui suivez ce culte, en différé, dans votre lit d'hôpital, ou dans votre voiture, ou dans votre pavillon ou F3 quelque part dans l'Hexagone, ou dans votre appartement ou chalet, quelque part, à l'ombre ou sur les flancs de montagnes suisses, loin des bruits et des foules, en famille ou dans la solitude; que cette paix de Dieu qui surpasse toute intelligence nous comble tous, au-delà de ce que nous pouvons espérer.
De ma part, cette parole de salutation s'inscrit dans ce qu'on peut appeler, les voeux. En effet, quant à la Paix, celle de Dieu, la véritable, je ne peux que la souhaiter, la solliciter, la désirer pour vous et pour moi.
Et la part de Dieu, elle est une promesse, mieux, elle est don. Elle est une réalité, mise gratuitement à la disposition de tous. Celui ou celle qui la reçoit avec reconnaissance devient une nouvelle créature. Alors qu'elle n'est d'aucune utilité pour ceux qui doutent de son efficacité.
Dieu a une façon de nous faire don de ses biens qui souvent heurte, bouscule, contrarie notre bon sens.
Preuve en est, entre autres, cette offre que Jésus fait à ses auditeurs, quand il leur dit : "Si quelqu'un veut venir avec moi, qu'il cesse de penser à lui-même, qu'il porte sa croix chaque jour et me suive… Car l'homme qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa vie pour moi la sauvera…" Lc 9/23, 24
Imaginez, frères et soeurs, comment un tel propos pouvait être reçu par les contemporains de Jésus. Quand on sait qu'à quelques rares exceptions près, c'était les Fils d'Abraham. Autrement dit des enfants du peuple élu.
Oui, mais un peuple devenu sans roi, un peuple devenu étranger dans le pays que Dieu avait promis et donné à Abraham son ancêtre.
S'adressant donc à des personnes à la recherche de leur identité, préoccupées de sauvegarder ou de retrouver leurs racines, Jésus aurait pu se proposer de les accompagner dans leurs démarches. Il aurait pu leur offrir son aide en les soutenant dans leurs revendications, en défendant leur cause devant les pouvoirs en place.
Au lieu de cela, il leur demande, à eux qui étaient déjà des "sans statut", des "sans identité", parce que "sans racines", il leur demande de se dépouiller de ce qui, dans leur vie, pourrait encore faire croire que ce qu'ils avaient perdu avait un sens.
Donc, à des auditeurs qui avaient pratiquement tout perdu, et qui pouvaient raisonnablement attendre de lui qu'il apportât de quoi combler ce vide, Jésus demande de tout abandonner, mieux il leur recommande l'oubli de soi : "Si quelqu'un veut venir avec moi, qu'il cesse de penser à lui-même, et qu'il porte sa croix".
N'est-ce pas déconcertant ? Incompréhensible ? Dérangeant pour notre raison ?
Frères et soeurs de la paroisse du Vieux Temple, chrétiens des temps dits modernes, du règne de la science, de l'affirmation des Droits de l'Homme se faisant parfois contre la foi en Dieu, c'est nous qui, aujourd'hui, sommes les auditeurs de Jésus.
Celui dont nous attendons le retour, parce que nous espérons qu'il mettra fin à nos doutes et à nos souffrances, Jésus ne nous propose pas autre chose que ce qu'il offrait déjà, il y a deux mille ans, à ceux qui le suivaient dans les contrées de la Palestine. Il nous propose, à nous aussi, de lui faire une totale confiance. Pour tout. Et tout particulièrement pour ce qui nous tient à coeur pour ce que nous considérons comme essentiel, fondamental dans notre vie, sans quoi nous ne serions jamais nous-mêmes.
Quelle est donc cette chose de valeur à laquelle nous tenons ? Quel est ce précieux patrimoine que nous avons perdu par mégarde, ou parce que quelqu'un d'autre nous l'a ravi, par la ruse ou par la force ? La question du jour, celle qui est sur toutes les lèvres, celle qui se lit dans le regard croisé, celle qu'on n'ose pas cependant formuler dans nos rencontres avec les autres, n'est-ce pas : Qui es-tu ? ou Qui suis-je ?
En effet !
Vous qui êtes Mélanésiens, qui constituez désormais avec les Européens, les Polynésiens et les Indonésiens, la communauté paroissiale du Vieux Temple, que devenez-vous en dehors de votre clan ? Que reste-t-il de vos racines culturelles après des années d'expérience communes avec les autres ?
Et vous, la petite communauté européenne, comment vous sentez-vous dans cette assemblée où prédomine le brun ? Où votre langue est si peu bien parlée ? et vos traditions de moins en moins une référence ?
Et vous, Polynésiens, que répondez-vous à vos compatriotes qui vous reprochent de n'être plus de vrais Maohi parce que vous ne parlez plus correctement votre langue ?
A l'heure même où la question d'identité et de fidélité à nos racines prend un caractère d'urgence, s'impose à nous comme la clé et la garantie de toute relation humaine authentique, le Seigneur Jésus nous vient en aide, mais pour nous proposer une démarche diamétralement opposée à la nôtre. Et pour Lui, la priorité n'est pas d'abord de retrouver notre identité d'Occidentaux, ou de gens du Pacifique.
La priorité n'est pas le regard tourné vers le passé, mais l'effort pour oublier ce passé. L'urgence, pour nous, selon le Seigneur, n'est pas de chercher nos racines, ou de nous y accrocher, même en supposant qu'elles résisteraient encore à des intentions malveillantes.
Non ! "Celui qui veut sauver sa vie, dit le Seigneur Jésus, cesse de penser à lui-même, et qu'il me suive en portant sa croix chaque jour". Voilà qui est surprenant, pour ne pas dire déconcertant !
Pourquoi donc devrions-nous arrêter de penser à nous-mêmes ? Plusieurs interprétations sont possibles. Mais une seule, me semble-t-il, est acceptable : Le Seigneur Jésus nous recommande l'oubli de soi parce que nous pensons mal de nous-mêmes. Parce que nous n'avons pas, de nous-mêmes, une vision claire et juste. Parce que nos yeux nous renvoient de nous-mêmes, une image déformée. Nous devrions donc cesser de penser à nous-mêmes, parce que nous nous préoccupons, de ce qui en nous, n'est pas notre image véritable.
En vous invitant à le suivre, le Seigneur Jésus veut nous faire découvrir à nous-mêmes, comme enfants de Dieu, objet de son Amour, pour qu'enfin nous puissions nous apprécier, nous aimer tels que nous sommes, pour qu'enfin l'autre, le différent, puisse être approché, accueilli, aimé tel qu'il est.
Oublier que vous êtes Mélanésiens, Européens, Polynésiens, pour suivre Jésus n'a rien d'un reniement de vos origines respectives. Bien au contraire.
En effet, le mystère de notre vie en Christ ou, ce qui est la même chose, de la vie du Christ en nous, l'apôtre Paul la définit ainsi dans sa lettre aux Galates : "J'ai été mis à mort avec le Christ sur la croix, de sorte que ne n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi".
La croix, expression de la suprême révolte de l'homme, devient ainsi, mystérieusement, l'acte qui nous rend libres, qui fait des morts que nous étions des vivants.
Etre mis à mort avec le Christ sur la croix, c'est l'acte qui fait des "sans statut", des "sans identité", des "sans racines" que nous étions, d'authentiques Mélanésiens, Européens, Polynésiens, c'est-à-dire des femmes et des hommes libres.
Parce que, voyez-vous, ce que le Seigneur Jésus a accompli dans sa vie et dans sa mort, il l'a accompli en notre nom. Autrement dit, sa mort est notre mort, sa victoire est notre victoire. En lui nous sommes rendus à notre vocation d'hommes authentiques et libres.
Libres d'être avec les autres, libres de tout partager avec les autres, libres de les aimer et de les servir, sans rien craindre pour notre vie, et encore moins pour notre devenir.
Parce que nous pouvons dire comme l'apôtre Paul : "Crucifiés avec le Christ, nous sommes crucifiés à l'égard du monde et le monde à notre égard".
Il n'y a dans cette parole ni mépris du monde et des hommes, ni moralisme puritain, mais simplement l'assurance que, depuis la croix, le sens dernier de l'existence ne peut plus être recherché dans le monde. Ce qui signifie que la prétention du monde à régner sur nous par sa civilisation, sa sagesse, sa morale et sa loi est anéantie définitivement par la croix.
Autant notre petit "Caillou" que le monde habité ont besoin des hommes et des femmes de cette qualité.
C'est à eux que Dieu a confié sa réponse à la question des "sans statut" et des "sans racines" de notre temps. Parce que ce sont eux qui, vivant de la vie du Christ, savent aimer et servir dans le Christ.
Les Pauvres de notre temps n'ont pas besoin des Européens, ni des Polynésiens, ni des Mélanésiens, ils n'ont pas besoin des riches, des puissants, ou des savants.
Les "sans statut" de nos sociétés modernes ont besoin d'être servis par des hommes et des femmes qui aiment le Christ. Qui sont capables de servir et d'aimer, comme le Christ. Parce qu'ils servent le prochain en l'aimant dans le Christ.
Frères et soeurs, l'apôtre Paul, cet homme en rupture avec le monde et comme englouti dans la vie du Christ, est le plus passionné et le plus efficace serviteur des hommes que le monde ait connu. Le plus passionné parce qu'il connaît le prix d'un homme et pèse le sang de Dieu. Le plus efficace, car la force qui est en lui n'est pas la sienne, mais celle de Dieu.
Et dans ce monde qu'il refuse comme l'univers du non-sens, il va marcher jusqu'au martyre pour être le prophète du Christ, c'est-à-dire le prophète du sens.
Il le peut parce qu'il est libre, et n'est l'esclave de personne. C'est ce qu'il explique aux chrétiens de Corinthe quand, pour les exhorter, il écrit : "… bien que je ne sois pas soumis à la loi de Moïse, je vis comme si je l'étais lorsque je travaille parmi ceux qui sont soumis à cette loi, afin de les gagner. Avec ceux qui sont faibles dans la foi, je vis comme si j'étais faible aussi, afin de les gagner".
Voilà à quoi le Christ nous invite aujourd'hui. Il nous invite à être, pour notre temps, des prophètes du sens. C'est-à-dire des hommes et des femmes libres, à l'égard du monde, de sa civilisation, de sa sagesse, de sa morale et de sa loi.
Quand Il recommande l'oubli de soi, le Christ veut, en fait, nous libérer de notre fausse identité, de ce faux statut que le monde nous impose pour mieux nous garder sous sa dépendance par ses lois.
Cesser de penser à soi-même pour suivre Jésus c'est donc cesser de s'attacher à ces fausses racines, qu'elles s'appellent coutumes ou cultures, et devenir des femmes et des hommes libres de servir et d'aimer l'autre, qu'il soit d'ici ou d'ailleurs. Des hommes et des femmes capables, là où les autres regardent non l'homme, mais la règle morale qu'ils considèrent comme valable pour tous, de regarder non la règle, mais l'homme et d'inventer dans l'amour la parole seule valable pour cet homme (ou cette femme) unique au monde, dans une situation unique elle aussi.
Cesser de penser à soi, être crucifié avec le Christ sur la croix, pour devenir des femmes et des hommes authentiques et libres, c'est cela notre espérance pascale. Sa mort est notre mort, sa victoire est notre victoire. La mort est le passé, mais la victoire c'est ce vers quoi nous marchons.
Ainsi, mus par cette espérance pascale, et dressés comme des témoins, soyons les signes du Dieu vivant, au milieu des nations, en commençant au sein de notre famille, de notre clan, de notre lieu de travail, de notre Cité, de notre Caillou.
Et que tous les hommes sachent que Jésus est le Seigneur du monde et pas seulement de l'Eglise. Que la dignité inaliénable de l'homme réside dans la seule volonté de Dieu de faire de cet homme : son fils en Jésus-Christ.
Amen.
Pâques sur les îles de Mélanésie
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