Ras-le-bol ! Pessimisme, défaitisme, catastrophisme : la morosité est partout. Dans notre société, c'est à qui fera le plus sombre pronostic. On rivalise de désespoir. Alors, ras-le-bol ! Ras-le-bol de toutes ces perspectives négatives! Crise économique, chômage, pollution, apocalypse nucléaire : bien sûr que les temps sont difficiles. Mais à force de faire de la sinistrose, on finit par s'y complaire. Tout va mal et ne peut qu'aller plus mal. Finis les lendemains qui chantent, l'heure est aux lendemains qui déchantent. Aujourd'hui, c'est à qui saura le mieux susciter et entretenir la peur.
La peur: voilà le maître mot. Tout nous fait peur. La réalité, bien sûr. Mais l'avenir surtout.
Et certains ne se privent pas d'exploiter la peur. Aujourd'hui, les apôtres de la catastrophe se comptent par centaines et dans tous les milieux: des employeurs, des politiciens bien sûr, mais il y a aussi beaucoup de mouvements religieux. Les pseudo-prophètes et les pseudo-messies pullulent. Les sectes les plus extravagantes font monter les enchères. Ils vont deux par deux. Ils distribuent des tracts, organisent des conférences. Tout est bon pour faire des adeptes.
Oui, la peur est partout. Et elle tourne gentiment à la psychose. On a l'impression que le futur ne peut être que catastrophique. Alors oui, parfois, j'en ai ras-le-bol d'avoir toujours peur parce que cette peur, elle nous paralyse. Aujourd'hui, j'ai besoin d'autre chose. Aujourd'hui, j'ai besoin d'une parole positive, d'une parole optimiste.
Dans le chapitre 13 de l'Evangile de Marc, Jésus parle lui aussi de catastrophes. Et il n'y va pas avec le dos de la cuillère. Des guerres, des tremblements de terre, des famines, des faux messies, des foules chassées sur les routes : tout y est. Et à relire ces textes, on est tout de même frappé. C'est de notre actualité dont il est question. Dans ce discours de Jésus, nous y reconnaît soit notre époque. Nous nous y reconnaissons.
Alors, est-ce que Jésus, lui aussi, joue sur la peur ?
Nuance... Il faut faire une nuance car Jésus ajoute : "Ne vous effrayez pas, il faut que cela ar-rive, mais ce ne sera pas encore la fin." Au sujet des faux prophètes et des faux messies, il est sans détour : "N'y croyez pas", dit-il.
Jésus est un réaliste. Il n'a rien d'un illuminé. Voilà pourquoi il parle si bien des détresses de ce monde. Des détresses qui semblent perpétuelles : elles valaient hier, elles perdurent aujourd'hui. Pourtant le message de Jésus est différent de celui des apôtres catastrophistes:"Ne vous effrayez pas, n'y croyez pas" dit-il. Jésus relativise: tout tragiques qu'ils soient, ces événements catastrophiques ne sont pas décisifs. L'essentiel n'est pas dans les catastrophes annoncées. Il n'est pas dans la détresse actuelle. L'essentiel est à voir plus loin, plus loin que le pessimisme, plus loin que la peur.
Regardez le figuier : quand ses branches deviennent tendres et que ses feuilles poussent, on sait que la bonne saison est proche. Mais ce qui importe, c'est bel et bien la bonne saison qui est annoncée.
Notre réalité est sombre. Les perspectives d'avenir semblent bouchées. Mais il ne faut pas se laisser obnubiler par les difficultés. "Ce n'est pas encore la fin" répète Jésus. Celui qui a peur n'a qu'une vision à court terme: il est obsédé par l'épreuve. L'Evangile veut nous débloquer. Il dégage notre horizon, au-delà des catastrophes. Non, les détresses actuelles ne sont pas dernières, elles ne sont qu'avant-dernières. Seulement avant-dernières. Pour sortir de la morosité, il faut donc relever le nez et regarder plus loin. Ne croyez pas les pseudoprophètes, ce n'est pas encore la fin: relevez le nez et regardez plus loin.
En fait, c'est une promesse que Jésus donne. Une promesse qui ne supprime pas la détresse, mais qui nous permet de la surmonter. Et cette promesse est simple: Dieu peut faire événement. Il peut entrer en action pour nous. Il tient les choses en main et conduira l'histoire jusqu'à la fin. Une fin dont il est seul à disposer.
Cette promesse est audacieuse pour aujourd'hui comme pour demain. Aujourd'hui, Dieu compte les jours d'épreuve pour que nous puissions y survivre. Nous ne serons pas écrasés. Et demain, ou après-demain, Dieu provoquera le grand chambardement, la rupture suprême: le Fils de l'homme arrivera alors pour rassembler les siens. Evénement décisif, dernier événement.
De cet événement-là, Jésus ne nous dit presque rien. Ce qu'il sera n'est pas important. Quand il adviendra non plus. Ce qui importe, c'est que nous puissions vivre dans la perspective qu'il ouvre. Dieu ouvre l'avenir puisqu'il promet d'y intervenir, puisqu'il y aura le dernier mot.
Nous sommes obsédés par nos visions pessimistes et nous avions oublié que Dieu se préoccupe de l'avenir. Il dispose de toute l'initiative. Le vrai changement c'est le changement que Dieu lui-même opère. Notre véritable avenir, c'est celui que Dieu lui-même ouvre pour nous.
Dieu peut faire événement, c'est la promesse d'avenir de Jésus. Ce n'est qu'une promesse, me direz-vous. Facile de faire des promesses. Les paroles se laissent dire. Pourtant, le Christ nous demande notre confiance. "Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas." Croire cette parole de Jésus, entendre sa promesse, cela change beaucoup de choses, dès aujourd'hui, dès maintenant.
Car l'événement débloque les situations figées. Il fait sauter les verrous du réalisme froid. Car l'événement de Dieu, les apôtres de la morosité me laissent indifférent. Je peux alors vivre dans la sérénité. Je ne suis plus paralysé. Je retrouve le courage d'entreprendre. Je recommence d'y croire. Je refais des projets. Je redécouvre le goût du désir. On essaie de me faire croire que le temps présent est bloqué. Mais si Dieu a le dernier mot, je réalise soudain que tout est encore possible.
Dans notre monde rien n'est stable, tout est en devenir, tout est ouvert. Le temps de l'Avent, c'est le temps des possibles: tout peut arriver, l'événement peut se produire n'importe quand. Celui qui écoute les paroles de Jésus sait que toute sa vie est un temps de l'Avent, un temps où tout es possible. Celui qui tient aux paroles de Jésus croit envers et contre tout que le meilleur reste encore à venir. Simplement parce que Dieu peut faire événement.
Voilà pourquoi fêter l'événement de Noël, c'est oser dire ras-le-bol à la morosité. Fêter l'événement de Noël, c'est oser faire un pied de nez aux mauvais augures. Comme l'enfant est un pari sur l'avenir, la fête de Noël lance un pari pour notre propre avenir. Dieu aura le dernier mot, et ce dernier mot nous permet d'espérer Noël, c'est au coeur de l'hiver le signe d'un été qui approche déjà.
Le Christ nous invite à oser la confiance et l'espérance au coeur même de la détresse. Grâce à Dieu, nous pouvons attendre quelque chose de l'avenir. Cette promesse de Dieu nous remet en route, voilà pourquoi nous pouvons espérer quand tout le monde désespère. Nous pouvons entreprendre quand tout le monde se démobilise. Nous pouvons encore y croire même si tout le monde se résigne. C'est promis, Dieu va faire événement.
Amen.