“Quand on allume une lampe - affirme l’Evangile -, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison”.
Cette parole, les Veveysans du Moyen Âge l’avaient peut-être à l’esprit lorsqu’ils ont décidé de bâtir une grande église, car ils ne l’ont pas dissimulée à l’intérieur de l’enceinte de leur ville, mais ils l’ont placée bien en vue, sur une hauteur et, dès lors, elle s’offre aux regards de toute la région.
C’est ainsi que l’église Saint-Martin est devenue, au fil des siècles, l’emblème de notre cité. Son imposant clocher-tour, surmonté de ses quatre échauguettes caractéristiques, est un repère que l’on voit de loin, de jour comme de nuit. Que l’on vienne depuis le bord du lac, depuis les hauteurs environnantes et même depuis l’autoroute en descendant de Chexbres, sa silhouette familière nous annonce la proximité du foyer, de nos attaches. Saint-Martin est véritablement une église-phare.
Oui, c’est un bel héritage que les générations précédentes nous ont légué, et nous pouvons dire : heureuse la ville dont l’emblème est une église. Heureuse la cité qui porte, dans son architecture, ce rappel permanent d’un message venu d’En Haut, pour éclairer la vie de ses habitants et de ses hôtes. Heureuse aussi la cité qui sait honorer cet héritage, l’entretenir avec soin et le mettre en valeur, comme nous pouvons le constater aujourd’hui avec reconnaissance, dans ce temple magnifiquement restauré.
Cela dit, il est nécessaire d’ajouter : heureuse la communauté qui sait faire bon usage d’un tel héritage et discerne l’exigence qui se rattache à ce don. Car le caractère visible de Saint-Martin, dont nous nous réjouissons, est aussi celui qui nous fait courir le plus grand risque ! Risque d’une image devenue si familière que l’on n’y prête plus qu’une attention distraite; risque de limiter notre regard à l’aspect extérieur et d’oublier le message qui est proclamé à l’intérieur.
Or Saint-Martin, dans toute sa splendeur, dans tout son prestige historique, n’est que le support; la lumière, elle, ne peut venir que du Seigneur, à qui l’édifice a été consacré. L’église la plus belle, restaurée de la façon la plus lumineuse, extérieurement et intérieurement, passe à côté de sa vocation, si elle n’est pas mise au service d’une pleine diffusion de la lumière que le Seigneur lui-même accorde.
J’invite chacun à penser à l’église qu’il connaît, qu’il voit dans son cadre de vie habituel: celle de son village, de sa ville, de son quartier.... Qu’il s’agisse là de lieux familiers ou fréquentés occasionnellement, peu importe. Chacun, moderne ou ancien, prestigieux ou modeste, représente un authentique support de la lumière de Dieu pour tous, un signe de sa présence et une invitation à réaliser ce vœu exprimé par le réformateur Pierre Viret : “Si je dois souhaiter que Dieu soit glorifié entre les hommes, où puis-je désirer qu’il le soit plus et plus tôt qu’au pays de ma naissance ?”
Or l’accomplissement de cette mission n’est pas du ressort de quelques spécialistes seulement : ceux qui bâtissent, entretiennent, restaurent l’édifice et ceux qui officient pour les cultes et célébrations qui s’y déroulent. C’est l’affaire de toute la communauté; et de tous ceux et celles qui sont invités à la rejoindre.
Que brille la lumière du Seigneur, voilà notre mission et notre source de joie ! Mais comment la vivre et faire qu’elle ne reste pas un simple slogan, une belle déclaration qui sonne creux ?
Deux démarches complémentaires nous sont proposées; chacune est indiquée, illustrée par un élément visible de l’église où nous nous trouvons. La première est de nous orienter vers la lumière qui nous vient du Seigneur. Et cette lumière, il est bon de la rappeler en ce dimanche de la Réformation, nous la recevons par l’écoute de la Parole de Dieu, que nous discernons, avec l’aide du Saint-Esprit, dans l’Ecriture Sainte. Cette parole, lue et prêchée, renvoie à la Parole vivante, venue à nous en Jésus-Christ, par la puissance de l’amour qui s’est donné totalement.
Dans un temps marqué par un grand brassage d’idées, entraînant beaucoup d’approximation et de confusion, nous ne pouvons pas être suffisamment éclairés par des images floues, issues de notre enfance, par de pieux souvenirs, par de vagues “on-dit”. Nous avons besoin d’un contact plus proche, plus précis, plus profond avec le témoignage biblique et en particulier l’Evangile, qui nous révèle l’authentique connaissance de Dieu. Et c’est en partageant avec d’autres cette quête de la vérité que nous serons le plus stimulés et enrichis. Cette orientation vitale, notre disposition dans l’église nous la rappelle : nous sommes tous tournés vers le soleil levant, symbole du Christ ressuscité; et dans la ligne de notre regard vers la lumière, nous trouvons la croix et la Bible ouverte.
La seconde démarche, elle, est figurée par le majestueux vitrail de Biéler, représentant la scène la plus fameuse de la vie de Saint-Martin : celle où nous le voyons, dans sa tenue de cavalier de la garde impériale, partager d’un coup d’épée son magnifique manteau, pour en revêtir un pauvre, nu et misérable, à la porte d’Amiens.
Ce geste a frappé ceux qui en ont été les témoins. Comment, un cavalier se préoccupe d’un mendiant ! Comment, un soldat sacrifie la plus belle pièce de son équipement, un manteau d’apparat qui sert aussi, avec sa doublure en peau de mouton, de protection contre le froid !
Geste significatif, à l’exemple de ceux accomplis par les prophètes, et par le Christ lui-même. Il traverse les siècles pour nous rappeler que la foi, dans son épanouissement authentique, ne nous détache pas des réalités de ce monde, mais nous y renvoie avec une perception nouvelle de notre responsabilité envers notre prochain.
Il est dans la ligne de la vigoureuse interpellation adressée par le prophète Jérémie à la foule qui se pressait dans le temple un jour de fête - comme nous aujourd’hui. Ne vous trompez pas, ne croyez pas venir ici pour entendre une parole qui vous confirme dans ce que vous pensez déjà et va vous absoudre automatiquement pour vos entorses à la fidélité et à la justice. Vous êtes plutôt confrontés à une parole qui veut vous remettre en question, vous appeler à une révision de vie. Ne vous imaginez pas que la bénédiction de Dieu est un dû, elle ne peut déployer ses efforts que dans l’engagement à mettre en pratique sa volonté.
Oui, le partage du manteau de St-Martin, reste une image pleine de sens, si nous allons plus loin que l’application trop étriquée qu’on en a souvent donnée, limitée à une forme de charité condescendante. Des gestes spontanés, à titre individuel, restent précieux. Mais à une époque marquée par un retour à une plus grande disparité entre les nantis et les démunis, nous sommes aussi appelés à tout mettre en œuvre pour un meilleur partage des ressources, des biens et des possibilités de travail.
“Que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions, ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux”. Cette parole du Christ ne nous incite pas à une course à la gloire et à l’auto satisfaction. Elle nous rappelle le don qui nous est accordé : être inspirés, mis en route et fortifiés par son amour - toujours premier - et le faire rayonner.
Et elle m’invite à évoquer une dernière image: des hommes, des femmes, des enfants, avançant par la grâce de Dieu malgré leurs faiblesses, entraînent d’autres compagnons de route à gravir le chemin de l’Espérance. Ensemble, ils accèdent en un lieu de paix et de ressourcement. Par sa beauté, sa lumière et surtout par le soutien d’une communauté priante, la chaleur d’un accueil, la force d’une Parole de vie prise au sérieux, la joie autour de la table où s’édifie le partage dans l’amour.
Amen.