"Papa, après la mort, il y a quoi ?"

image

"Toute chair est semblable à l'herbe, sa consistance comme une fleur des champs... L'herbe sèche et la fleur se fanent..." (Esaïe 40/6-7)

Dans mon histoire, mon aventure d'humain, l'avenir m'attend comme une inconnue. Je n'en sais qu'une seule chose certaine : ma mort, dont l'heure vient, proche ou lointaine encore, lente ou soudaine !
Et ce qui est vrai de mon avenir personnel l'est aussi des visages qui me sont chers et familiers, et même, à plus longue échéance, de cette terre où j'aurai bâti ma maison, cultivé mon jardin, orienté mes voyages...
La mort, limite imprévisible, mais certaine, de mes désirs, de mes travaux, de mes fidélités d'humain.
Mais comment vivre, comment rêver, comment vouloir, comment agir et me réjouir... malgré la mort et contre elle, quand je n'en sais le jour ni l'heure, mais la visite inéluctable ?

Comment laisser résonner en nous la voix qui chantait : "Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi...", et parvenir pourtant à murmurer, quand viendra l'heure du bilan : "J'ai assez vécu pour ne rien regretter !...? (dernières paroles d'Yves Montand)

À la lumière de l'Évangile, j'aimerais esquisser trois dimensions de l'avenir. Toutes trois incluent nécessairement la mort; mais elles permettent d'espérer et de vouloir la vie, - autrement dit : de choisir et d'orienter ma route d'humain de passage dans un horizon qui ne soit pas d'avance mutilé par la mort.

Ce matin, c'est la dimension personnelle de cet avenir possible que j'aimerais explorer : la conviction que je suis, que nous sommes orientés à mourir, inéluctablement, mais encore à ressusciter.




Texte : Marc ch. 12 / 18 - 27

"Mon avenir : ressusciter !"

- "Papa, après la mort, il y a quoi ?"
Question toute simple d'un enfant lorsque le petit chat est mort, ou le moineau blessé qu'il avait recueilli en revenant de l'école...
Question qu'un deuil, une maladie remettent soudain à l'ordre du jour de notre vie d'adultes...
Et les réponses ne manquent pas : certains sont convaincus que tout s'achève ici, qu'il n'y a plus rien à rêver ni à craindre par-delà notre mort; d'autres attendent que leur âme soit réincarnée pour un nouveau cycle de vie; d'autres encore espèrent retourner après leur mort à un état de plénitude heureuse qui fut brisée à la naissance...
Si l'enfer et le purgatoire semblent appartenir à des images d'un passé révolu, on dirait que le paradis ne s'est jamais effacé de l'espérance humaine : attente d'un apaisement ou d'une délivrance après les luttes, les contraintes, les contrariétés de notre vie présente.
"Que ton repos soit doux comme ton coeur fut bon", pouvons-nous lire sur les faire-part de deuil, ou cette invitation encore que le Jésus des évangiles adresse à ses contemporains vivants : "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos !" (Matthieu 11/28)

C'est une manière d'envisager ce qui viendra après la mort à la lumière du présent, comme son contraire heureux et sa compensation : après les luttes, le repos; après les angoisses, la sérénité; après les pesanteurs, la grâce... La résurrection serait-elle donc un beau cliché multicolore, dont notre vie présente constituerait le négatif en gris et noir ?

Lorsque les Saducéens, qui n'y croient guère, font de la résurrection le sujet d'une question -piège qu'ils adressent à Jésus, c'est bien ainsi qu'ils argumentent : ils choisissent une sombre image du présent, et lui demandent à quoi pourrait ressembler le portrait de famille à la résurrection !
Le présent, pour eux, c'est le cas d'une femme veuve sans avoir eu d'enfant. D'après la Loi de Moïse, une telle femme devait épouser un frère de son mari défunt, afin que ce dernier ait une descendance. (Deutéronome 25/5 ss).
Supposons qu'une femme ait été sept fois veuve de ses maris/beaux-frères successifs : s'il y a vraiment résurrection, disent-ils en ricanant, duquel des sept sera-t-elle donc l'épouse pour l'éternité ?
Jésus ne résout pas le casse-tête conjugal que lui proposent les Saducéens; il met en question la manière même dont ils abordent le sujet.
Ce n'est pas en argumentant sur notre vie présente d'humains menacés, blessés, parfois même tentés par la mort, que vous prouverez la résurrection... ni son contraire !
Pour deviner, pour pressentir quelque chose de la résurrection, il vous faut vous placer dans un autre horizon : celui du Dieu vivant, du Dieu qui voit et qui veut la vie, contre la mort et son cortège de larmes.
Vous n'arriverez à rien, vous êtes condamnés à l'impasse, si vous cherchez à comprendre la résurrection à partir d'une triste histoire de deuils et d'enfantements déçus...
Autant demander quel âge aurait, ressuscité, le bébé mort à la naissance, ou comment un sourd, ressuscité, entendrait les chants du Royaume !...
C'est dans l'autre sens, à rebours, qu'il faudrait explorer la résurrection - comme certains jeux de labyrinthes, dont on ne trouve l'issue qu'en partant de la fin !

Mais la réponse de Jésus suggère davantage encore : c'est que la résurrection n'est pas un théorème que l'on peut démontrer avec des "cas" imaginaires, des figures fictives que manipulent les spécialistes de la Loi !
Pour les Saducéens qui ne croient pas un mot de la résurrection, la femme aux sept maris/beaux-frères n'était qu'un mannequin sans vie, une hypothèse utile à leur démonstration ! Un masque aussi, derrière lequel ils pouvaient camoufler leur incrédulité...

Quelqu'un, - c'était ô surprise, un maître de la Loi ! -, demandait un jour à Jésus une définition précise du "prochain" qu'il devait aimer.
Jésus lui avait simplement raconté l'histoire d'un homme blessé sur une route, et qu'un voyageur inconnu avait secouru... (Luc 10/29ss)
Pas de définition, mais un épisode de solidarité humaine au détour d'un chemin. Une trace de bonté salutaire dans un univers de violence - le blessé de la route venait d'être la victime de brigands...

Il en va de la résurrection comme du prochain : ce n'est pas une affaire de définitions abstraites ni de "cas" à traiter, mais une trace de vie possible dans un monde où nous guette la mort... Il n'y a pas de résurrection ! Il n'y a pas de résurrection..., mais il y a en Dieu des ressuscités, il y a en Dieu des vivants !...

Et c'est peut-être la raison pour laquelle Jésus parle ici du "Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob" - le Dieu pour qui Abraham, Isaac et Jacob ne sont pas des figures de cire, de marbre ni de sel, figées dans un lointain passé, mais des vivants dont il aura marqué la vie de sa "puissance", et qui demeurent en lui des vivants !
Et Jésus d'ajouter une précision encore au sujet des ressuscités : ils sont, dit-il, "comme des anges dans les cieux"!
Des vivants en personne, liés de relations nouvelles qui ne sont ni la prolongation à l'infini ni la compensation des relations présentes...

Et nous voilà dans un horizon bien différent de celui où les Saducéens sceptiques cherchaient à entraîner Jésus avec leurs arguments et leur "cas" de la femme et de ses sept maris/beaux-frères ! Nous pourrions nous y arrêter et conclure...
Je crois pourtant que la réponse de Jésus nous renvoie à cette femme encore, à son histoire de deuils et d'enfantements déçus : à la lumière du buisson ardent qu'il évoque, Jésus a éclairé le visage de cette femme d'une manière nouvelle et inattendue !

Je vous rappelle en quelques mots l'épisode du buisson ardent de Moïse : par un arbuste qui au désert brûlait sans se réduire en cendres, Dieu avait attiré l'attention de Moïse et s'était révélé à lui; faisant connaître son nom de Dieu vivant, il avait rappelé Moïse de son exil et de sa fuite pour l'envoyer vers son peuple en détresse. Le solitaire du désert était ainsi appelé à devenir le témoin d'une liberté et d'une vie nouvelles au milieu de son peuple... (Exode 3/1ss)

La lumière du buisson ardent met en relief l'histoire de la femme sept fois frappée de deuil et sans enfants : elle devient, à sa manière, témoin d'une vie possible en dépit des malheurs...
En cherchant à inscrire, dans le désert de ses deuils successifs et de ses déceptions, une trace de vie, cette femme crépite et brille comme le buisson du Sinaï sans s'effondrer en cendres !

L'Évangile confirme d'ailleurs étrangement cet autre regard que nous portons sur elle : par un jeu de mots, difficile à traduire, sur le verbe "ressusciter" !
Littéralement, l'Évangile en grec précise que le frère d'un homme décédé sans enfant doit épouser la veuve de ce dernier pour lui "ressusciter un sperme", ce qui veut dire : pour lui donner une descendance.
Le jeu de mots de l'Évangile entre le "sperme" / la descendance "ressuscitée" et les défunts qui ressuscitent nous invite à relire l'histoire de la femme et de ses sept maris/beaux-frères comme un long combat de résurrection, - une lutte tenace pour que la vie l'emporte malgré les deuils et les malheurs multiples...
(Le jeu de mots de l'Évangile nous offrirait encore ample matière à réflexion sur les questions actuelles et difficiles de la procréation assistée, de l'insémination artificielle..., mais tel n'est pas notre sujet de ce matin !)

- "Papa, après la mort, il y a quoi ?"
L'histoire de la femme dont les Saducéens prétendaient tirer argument contre la résurrection se retourne ainsi et nous oriente à l'essentiel de la résurrection... et de la vie !

Ce qu'il y aura après la mort ne se dessine pas à partir du présent : ce n'est pas la belle image multicolore que nous pourrions plaquer sur les clichés gris et noirs de notre vie présente...

Ressusciter n'est pas un théorème à démontrer ni un rêve à mémoriser : c'est un acte de foi en Dieu, le Vivant et le Dieu des vivants, celui-là même en qui Jésus mit sa confiance à l'heure de la plus dure menace, de la violence et de la mort...
Et c'est ainsi passer du destin à la destination :
faire face lucidement à la réalité quotidienne de la souffrance et de la mort qui nous côtoient et nous menacent, et contester leur prétention d'avoir le dernier mot sur la chronique de notre vie...

Ressusciter : une décision de foi, un risque d'espérance, un regard différent - d'amour - porté sur l'horizon de notre vie, que la mort imprègne, mais qu'elle n'enferme pas !
Et l'inconnue de ma résurrection future projette ainsi sur mes deuils et mes angoisses, mes labyrinthes d'aujourd'hui la trace lumineuse du "Dieu des vivants"

Et c'est à une femme que j'aimerais emprunter quelques paroles, non pas de conclusion, mais de méditation continuée.
Poétesse d'une terre voisine de celle de Jésus - terre déchirée de luttes et d'espoirs de paix -, elle évoquait la "saison des hommes" qui font face à la mort en croyant à la vie, plus forte :

"Sachant qu'elle nous sera ôtée,
Je m'émerveille de croire en notre saison,
Et que nos coeurs chaque fois
Refusent l'ultime naufrage.
Que demain puisse compter,
Quand tout est abandon;
Que nous soyons ensemble
Égarés et lucides,
Ardents et quotidiens,
Et que l'amour demeure après le discrédit.
(...)
Les dés étant formels et la mort souveraine,
Je m'émerveille de croire en notre saison."
("Seul, le visage")
Et Andrée Chedid, Libanaise d'Égypte, de constater, dans un autre poème :
" Nous ne pouvons bâtir
Qu'adossés à la mort.
Nous ne pouvons bâtir
Qu'accordés à demain."
("Contre-Chant")


Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique