Réconciliation !

image

Avril - juillet 1994 est sans doute la période la plus sombre et la plus horrible de notre histoire. Aujourd'hui, dix ans ont passé mais les plaies sont loin de se cicatriser. Les cas de traumatismes sont encore nombreux, les émotions sont encore intenses et les interrogations restent sans réponses. En effet nous avons vu comment ce génocide est arrivé, nous l'avons vécu, nous en avons été victimes, mais nous ne comprenons ni pourquoi il est arrivé, ni pourquoi il a atteint une telle ampleur.
En tout cas, ce drame nous aura révélé jusqu'où l'être humain peut aller dans la barbarie et la torture de son semblable :
· on a touché les profondeurs de l'insondable,
· on a dépassé les limites de l'imaginable,
· on a atteint le plus haut degré de déshumanisation de l'autre,
· on a banalisé les souffrances et la mort de l'autre par un cynisme le plus effroyable.
Aujourd'hui, dix ans après, nous nous souvenons de cette période avec beaucoup de douleur et d'émotions.

Mais nous devons vivre. Le bien doit triompher du mal. C'est ce que le dimanche de Pâques nous apprend. La résurrection du Christ que nous célébrons le matin de Pâques nous donne la certitude que la victoire est possible. Malgré un passé chargé de malédiction, un futur meilleur est possible. Le christianisme est une religion d'espérance, une religion qui nous ouvre l'avenir même quand tout paraît sombre et sans issue.
Mais ce lendemain prometteur dont nous rêvons doit immanquablement passer par la réconciliation. La réconciliation demeure la seule clé valable de notre histoire et de la reconstruction de notre pays. Cependant si nous comprenons tous l'importance de la réconciliation pour notre situation de crise, nous n'en saisissons pas encore les mécanismes.

À ce sujet, notre texte peut nous donner quelques éclairages. Le récit d'Esaü et Jacob est une histoire de rivalité, d'intrigues, de vengeance et de peur, mais aussi une intéressante histoire de réconciliation.
Pour mieux comprendre notre histoire, divisons-la en quatre actes comme si elle était une pièce de théâtre.
1) L'histoire commence par une rivalité prénatale. Le verset 23 du chapitre 25 nous dit que déjà dans le ventre de leur mère, les deux enfants se heurtent pour l'espace. Notons au passage que beaucoup de Rwandais ont tué d'autres Rwandais pour leur prendre leur terre.
2) Deuxième acte : Après leur naissance, les deux rivaux grandissent. Esaü devient un chasseur habile et Jacob, un excellent cuisinier. Un jour rentré d'une chasse infructueuse, terrassé par la faim, Esaü échange son droit d'aînesse contre la nourriture préparée par Jacob. Celui-ci profite de la vulnérabilité de son frère pour lui ravir ce qui constitue sa vie. Ce marché conclu de façon injuste et malhonnête déchaîne la colère d'Esaü contre son frère. Encouragé par sa mère Jacob s'exile à Charan chez son oncle Laban. Fin du deuxième acte.
3) Arrivé chez Laban son oncle qui deviendra plus tard son beau-père, Jacob gagne sa vie grâce à son labeur. Il devient un homme heureux avec une grande famille et beaucoup de richesses. Vingt ans s'écoulent, mais le temps ne fait pas disparaître pour autant le poids de sa culpabilité. Malgré vingt ans passés dans une vie matériellement comblée, il n'oublie pas le tort qu'il a causé à son frère. Même sous la protection de son beau-père, il est rattrapé par son passé. Ce passé accablant qui l'empêche de jouir pleinement de ses biens doit disparaître. Il décide alors de retourner dans son pays natal pour rencontrer la victime de sa machination. C'est le 3ème acte.
4) Quatrième et dernier acte. Voilà Jacob sur le chemin de retour. Il avance très doucement. Sa famille nombreuse et ses troupeaux ne lui permettent pas d'aller vite. Mais il est dans l'incertitude et la trépidation, car la réaction de son frère est imprévisible. Il prend des précautions. Il lui envoie d'abord des messagers. Il l'appelle même son seigneur, signe de peur ou de retournement ? Mais le rapport de ses messagers est terrifiant. Jacob est alors saisi de panique. Il cherche la protection de Dieu et conçoit une stratégie de défense. Il prend des mesures conciliaires. C'est alors qu'il fait une expérience unique en son genre. Il lutte toute la nuit avec un étranger surnaturel. Et la Bible nous apprend que cet étranger est Dieu lui-même.
Le lendemain, Jacob voit Esaü venir à sa rencontre accompagné de 400 hommes. Pris à nouveau de panique Jacob se prosterne en terre sept fois devant lui en l'appelant encore une fois son seigneur. Mais Esaü court à sa rencontre. Il l'embrasse, se jette à son cou et le baise. Tous les deux éclatent en sanglots.

Nous devons remarquer la différence dans la façon dont ils se parlent. Pour Jacob, Esaü est son seigneur tandis qu'Esaü retrouve son frère. Esaü a pardonné à son frère. Il n'est pas intéressé par de nombreux et précieux cadeaux de Jacob. Désormais ce qui compte pour lui c'est de revoir son frère vivant et de pouvoir se réconcilier avec lui. Les deux se rencontrent après 20 ans de séparation et d'inimitié. Ils s'embrassent. Ils sont tous les deux émus. Chacun a pénétré la douleur et les souffrances de l'autre. Cela les libère de leur passé destructeur. Débarrassé du poids de sa culpabilité, Jacob regarde la face de son frère comme on regarde la face de Dieu.
Tel est le dénouement de cette histoire de tromperie, de colère, de haine et d'exil. C'est un dénouement heureux, mais aussi le début d'un nouveau départ pour les deux frères.

Tel devrait être le dénouement de notre histoire, nous peuple du Rwanda. Notre histoire marquée par les souffrances et la mort doit céder la place à une nouvelle histoire où chacun reconnaît dans l'autre l'image de Dieu. Quand nous rencontrons véritablement Dieu, nous voyons les autres dans une bonne lumière, nous voyons ce qui est bon et divin en eux. S'ils étaient engagés dans la bataille, il y aurait eu un bain de sang. Pensez aux vies humaines qu'ils allaient perdre. Le récit nous donne un bon exemple de réconciliation où la culpabilité est reconnue et le pardon offert.
La réconciliation n'est pas une contrainte; elle n'est pas non plus des embrassades sentimentales et hypocrites qui ne dégagent pas les responsabilités des individus et des groupes. La réconciliation émane du fond du cœur et rétablit les relations rompues. Elle arrive là où il y a confession de culpabilité et pardon. Telle est la seule voie qui nous permettra de renaître, de revivre. Si nous ne voulons pas laisser à nos enfants un pays déchiré et exsangue, nous devons sortir de nos gangues ethniques et des sentiers battus. Nous devons être les uns pour les autres une véritable guérison. Permettez-moi de conclure avec cette phrase de Martin Luther King, junior : "Si nous ne voulons pas vivre ensemble comme des frères nous mourrons ensemble comme des fous."

Prédications dans le même lieu

Aucun résultat.

Prédications de la même personne

Aucun résultat.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
La chorale : Ijwi Ry'impanda (Voix de la trompette) de l’église Anglicane, ss la dir. de Wildforce Murengezi.

En collaboration avec