Où est ton Dieu ?

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En ce jour du 8 mai, soixantième anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale qui a connu les pires horreurs que l'homme dans sa folie peut imaginer, ce psaume fait ressurgir des images que nous serions tentés de vouloir chasser de notre mémoire ? Cohortes de déportés, juifs, tziganes ou homosexuels, marchant vers les fours crématoires. « Pourquoi dois-je marcher, dit le psalmiste, l'air sombre, sous l'oppression de l'ennemi ? Alors que mes os se brisent, mes adversaires m'outragent, en me disant sans cesse : où est ton Dieu ? »
Où est ton Dieu ? Cette question lancinante pour tous ceux qui se souviennent des souffrances traversées ou qui sont aujourd'hui dans l'épreuve, est tout à la fois, interpellation spirituelle, défi lancé à ma propre foi, mais aussi défi à l'honneur de Dieu. M'atil abandonné dans l'épreuve ? Est-il un Dieu absent de l'histoire des hommes ? Le psalmiste répond à ce double défi par le souvenir. Il tourne ses yeux vers le temple de Jérusalem ; il fait pour lui cet effort de mémoire pour faire resurgir les images de ce temps où il s'avançait au milieu de la foule « jusqu'à la maison de Dieu, dans les cris de joie et de reconnaissance, d'une multitude en fête.»
« Pourquoi être abattu, pourquoi gémir sur toi-même ? Attends Dieu!» Après cet appel, il poursuit : «Je le célébrerai encore pour son salut.» L'expérience spirituelle de la présence de Dieu, un jour ressentie, un jour vécue, appelle d'autres moments de semblable communion, garantit au fidèle le retour de pareille assurance d'être dans la main de Dieu qu'il pourra célébrer « pour son salut ». La foi, malgré le doute qui vient la bousculer, vit de la mémoire et ouvre à l'espérance.

Mais plus encore, elle ouvre au témoignage; elle offre au fidèle la capacité d'apercevoir et de dire l'invisible présence de son Dieu qui, en Jésus-Christ, s'est fait homme, partageant la destinée humaine, et avec les choses faibles du monde confond et vainc les fortes.
Cette certitude de la foi ne nie pas l'épreuve ; peut-être même la rend-elle plus terrible tant le fidèle en comprend la contradiction radicale avec la volonté de Dieu; tant elle lui fait ressentir la distance quasi infranchissable que le mal instaure entre lui et son Dieu. «L'abîme appelle l'abîme. …tous les flots, toutes les vagues ont passé sur moi.» Pourtant dans un souffle il dit «Mon Dieu !», dans un souffle de foi qui témoigne d'un lien jamais rompu avec ce Dieu qui marche avec lui dans l'épreuve. Paradoxe de la croix, où le fils bien aimé lui-même éprouve l'abandon du Père et persiste à s'adresser à lui : «Mon Dieu, mon Dieu... ».
Où est ton Dieu ? Devant ce défi existentiel pour le fidèle, le psalmiste dit toute la force de la prière. Il ne s'y réfugie pas dans une vaine consolation personnelle, comme pour s'enfermer dans un cocon de résignation tout artificielle. Mais il en fait un cri et un engagement. Un cri vers Dieu : «Que le Seigneur dépêche sa fidélité !» Il a soif de Dieu, d'un Dieu vivant qui se manifeste. Il a faim d'une présence qui soit plus nourrissante que ses propres larmes. Il attend quelque chose de Dieu : sa lumière dans l'obscurité, sa délivrance des forces du mal. Il en va de l'honneur de Dieu qu'il se fasse connaître à ses ennemis !
Ce cri qui monte vers Dieu est le ressort de notre intercession, prière de la communauté chrétienne qui prend le relais des cris des hommes qui montent vers Dieu. Véritable combat de la prière, où ceux qui vivent dans la paix accueillent la souffrance du monde et la font monter vers Dieu, écoutent cette souffrance et font de leur propre vie des instruments entre les mains de Dieu pour répondre à la souffrance.
Ici même, en cette modeste ville du Poitou, apparemment si loin des troubles du monde, des hommes et des femmes se sont joints dans la prière et dans l'action, pour entendre le cri des victimes du nazisme et soustraire à sa violence, quelques poignées d’hommes, de femmes, et d’enfants. C'est dans leur sillage, et celui de beaucoup d'autres, que doit aujourd'hui encore s'inscrire notre prière, en paroles et en actes, pour dire la présence de Dieu dans le désordre de sa création.
Entendons-nous, par exemple, en ces derniers jours, le cri de nos frères et sueurs du Togo qui appellent au secours pour que la justice et la paix prennent la place du totalitarisme et de la répression ? Sommes-nous prêts à relayer leurs cris, dans la prière et l'action ? Cette prière exige parfois la plus grande discrétion, mais le psalmiste sait bien qu'elle a besoin tout autant de la force d'une communauté unie dans la louange. Pour être forte et fidèle, notre intercession doit être portée par la louange, témoignage d'une espérance qui soutient notre action. C’est ensemble que nous attendons Dieu !
Oui, attendre Dieu, c'est placer la vigilance au cœur de notre vie spirituelle et de notre engagement chrétien. C'est trouver les voies et moyens de dire Dieu dans un monde qui se voudrait sans Dieu. Lorsqu'à l'occasion de la commémoration de la fin de la guerre, nous portons notre regard sur le témoignage des chrétiens, il me semble qu'il faut en souligner une quadruple dimension
• Tout d'abord, la capacité qui nous est offerte de résister, résister à tout ce qui est négation de la dignité de l'être humain. Il y a un mois à peine, le 9 avril, nous nous souvenions du Pasteur Dietrich Bonhoeffer, exécuté par les nazis pour avoir participé à la résistance contre Adolf Hitler. Il a laissé l'empreinte d'une foi agissante. Il a ouvert la voie à tant d'autres pour une Église confessante.
• Dire Dieu c'est ensuite, le défi adressé à nos Eglises, comme à chacun de nous, d'être les avocats de la volonté de Dieu pour l'humanité qu'il aime. Les chrétiens doivent être aux premières lignes de ceux qui défendent le respect des conditions d'existence, des libertés d'expression, de l'égalité des droits pour tous les êtres humains. Hier, cette ville où nous sommes cachait des juifs, aujourd'hui saurait-elle accueillir les nouveaux persécutés pour les soustraire à la violence de notre monde ? Et chacun de nous, se savoir mobilisé pour l'honneur de Dieu ?
• Dire Dieu c’est encore suivre le chemin que l'Évangile nous trace dans ce monde de violence. Et que notre continent européen a cherché à suivre au long des décennies qui se sont écoulées depuis la Seconde Guerre mondiale : ce chemin, c'est celui de la réconciliation et de la paix. Nous en sommes fiers et reconnaissants. Les ennemis d'hier se sont donné des institutions pour qu'à l'avenir aucune guerre ne devienne possible entre eux tant la solidarité, l'interdépendance seront au cœur de leurs relations. Mais ce travail doit être sans cesse poursuivi, et les chrétiens doivent y jouer un rôle soutenu, pour que la prévention des conflits et leur résolution non-violente, prennent toujours le pas sur les capacités militaires ou les rapports établis sur la force et la puissance.
• Mais plus radicalement encore, c'est dans l'enracinement dans l'Évangile du Christ que les chrétiens de toute confession, ensemble, trouveront la force d'attendre Dieu. Attendre, comme l'on attend l'aurore, comme nous prions avec ferveur que son règne vienne. Mais attendre aussi, comme les veilleurs qui tiennent leur lampe allumée pour dire au monde l'invisible présence d'un Dieu qui marche à ses côtés. Attendre dans la foi, l'intercession et la louange.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Robert Fouchier (harmonium)
Musique
Patrick Morin, trompette; chorale ad hoc, direction Ginette Souché