Dimanche prochain, toute la Suisse commémorera la journée des malades, le 4 mars 2007. Une journée dédiée à celles et ceux que la maladie touche dans leur vie quotidienne, puisqu'ils doivent « vivre avec ». Une journée pour que les bien-portants se souviennent qu'il n'est pas « normal » ou que ce n'est pas « un dû » d'être en bonne santé.
Le thème proposé cette année est : « malade: pourquoi moi ? » Oui, pourquoi la maladie vient-elle tout à coup bouleverser une vie, la vôtre peut-être ? Pourquoi maintenant, pourquoi cela m’arrive-t-il à moi ? Et à ces pourquoi viennent s'en ajouter beaucoup d'autres. Cette question du pourquoi ne serait-elle pas un passage presque obligé face au fait de souffrir ?
Mais y a-t-il une réponse à cette question ? Et que faire de ces questions ? Y rester, les éviter ? Et lorsque l'on est croyant, avons-nous d’autres manières de réagir ? Pour tenter d’esquisser des pistes à ces questions, je vous propose d'examiner ce que le texte de l'évangile de Jean que vous venez d’entendre peut nous dire.
Un homme « emmuré »
Centrons d'abord notre regard sur l'homme malade que nous présente le récit. On apprend très peu de choses sur lui : on ne sait pas de quoi il souffre, ni comment. On ne connaît pas son nom ni sa situation; son identité est résumée à un homme malade. Comme si aujourd'hui encore, la maladie pouvait à elle seule "résumer" une personne. Réduire le malade à sa maladie, cela n’a toujours pas changé, aujourd'hui encore
La seule chose que nous dit le texte c'est la durée de la maladie de cet homme: 38 ans ! A l'époque c'est toute une vie puisque les gens vivaient moins longtemps. Une vie entière résumée à une maladie, ou une maladie qui résume la vie lorsqu'elle touche une personne. Reste-t-il encore autre chose de cette vie que la maladie qui l'affecte ? Même si pour nous ce n'est pas toujours une question de durée réelle, mais de profond bouleversement intérieur ? Tout n'est-il pas centré autour de la maladie ? Tout ne se réduit-il pas à la maladie?
Pour renforcer ce mal-être, je me rends compte, par la réponse de l'homme à la question de Jésus : « Veux-tu guérir ?», qu'il est extrêmement solitaire. Depuis longtemps, personne n'est là pour l'aider à le plonger dans la piscine au bon moment, dit-il. Comme si la maladie avait cet effet d'isoler, de couper les relations. En effet il ne peut plus marcher, donc aller vers autrui. Il vit ainsi un véritable isolement.
Mais n'y a-t-il pas non plus cette solitude à l'intérieur de soi : personne pour comprendre ce que cela fait d'avoir une maladie, ce qui est bouleversé ? Combien on souffre, comment cela tombe sur le moral ? D'ailleurs dans le cas de l'homme de Jean 5, je constate qu'il ne sait plus vraiment communiquer : à la question de Jésus : Veux-tu guérir ? » ne répond-il pas « Personne n'est là… » Comme si cette solitude vécue coupait les relations et provoquait des ruptures avec autrui ! En effet ne rend-il pas autrui responsable de sa non-guérison ?
Le seul lien avec l'autre est lourd à porter pour chacun des partenaires. Il est fait d'une attente, celle de la guérison, difficile à combler. Comme si le soignant était réduit à un « faire » et les proches à une impuissance, un « non-faire ». N'y a-t-il pas une prise de conscience pour nous, les bien-portants de ces ruptures dues à la lourdeur vécue de la maladie, qu’il nous faut accepter dans la relation?
Rupture dans la relation avec Dieu aussi : l’indice c’est le chiffre 38, la durée de la maladie de l'homme. En effet il fait allusion à la durée du séjour du peuple d'Israël dans le désert, punition infligée au peuple d'Israël qui n'a pas eu confiance en Dieu lors de la toute première arrivée en Canaan et qui est renvoyé dans le désert jusqu'à la mort de toute cette génération.
Aujourd'hui lorsque je fais des visites, j'entends d'ailleurs souvent « Qu'ai-je fait au bon Dieu pour mériter cela » ou pire encore « Dieu me punit certainement par ma maladie ». Il y a donc un lien presque automatique entre la maladie, la responsabilité de Dieu et la culpabilité personnelle. C’est peut-être un essai de réponse au pourquoi de la maladie lorsque l’on n’a pas de réponse. Où est Dieu et qu'a-t-il fait ?
Ce long constat de l’état de maladie de cet homme de Jean 5 me semble décrire ce que vivent beaucoup de malades rencontrés dans mes visites. En effet par sa réponse à la question de Jésus le malade de Jean 5 semble répondre à un « pourquoi » que Jésus n'a pas prononcé. Comme si cet immobilisme de 38 ans, était englué dans les causes, cette question du « pourquoi », déclinée ici sous différentes formes :
· Pourquoi suis-je malade?
· Pourquoi si longtemps ou autrement dit pourquoi cela bouleverse-t-il ma vie si profondément ?
· Pourquoi suis-je isolé ?
· Pourquoi mes relations avec autrui sont-elles bouleversées ?
· Pourquoi enfin Dieu me fait-il traverser cela ?
Or je constate que cet homme semble tourner en rond dans les cercles de ses pourquoi au pied d'un mur depuis longtemps infranchissable. Il se retrouve dans un malheur et un désespoir encore plus grand. N’est-ce pas peut-être là la première conclusion à laquelle nous mène ce texte: que les pourquoi sont inévitables, mais qu’à force de les soulever, la personne malade risque de se trouver dans une situation intérieure sans issue.
Cependant un point positif concernant l'homme malade de Jean 5 me surprend : si personne ne peut l'aider, pourquoi reste-t-il encore là, auprès de cette piscine ? Ne serait-ce pas qu'après ces 38 années, il a encore l'espoir de guérir ? Bien que tout semble négatif n’y a-t-il pas toujours un germe d'espérance ? Et n'en n'est-il pas de même pour celles et ceux que je visite dans leurs chambres d'hôpital et qui savent, malgré tout, garder une étincelle en eux, une petite flamme de vie.
« Veux-tu guérir ? »
Mais alors que faire, que vivre, comment répondre à ces questions ? Ou plutôt comment en sortir ? Que peut faire Dieu dans cette situation ? Est-il vraiment là où on l'attend ? L’attitude de Jésus face à cet homme peut nous donner trois pistes de réponses à tous ces pourquoi.
D'abord, l'homme de Jean 5 avait raison d'espérer. Un jour, un inconnu se dirige droit vers lui seul et lui demande : veux-tu guérir ? Question surprenante, car la réponse semble évidente ! Pourtant, examinons-la de près et nous comprendrons comment Jésus s’y prend.
D'abord, remarquons que c'est Jésus qui prend l'initiative de la rencontre. Au milieu de cette multitude de malades, d'aveugles, de boiteux, d'estropiés, de paralytique (selon v. 3) c'est cette personne-là qu'il choisit et avec laquelle il veut parler en particulier. Acte qui nous dit combien chacun de nous est précieux devant Dieu, quelle que soit notre situation ou notre état. Il nous aime et désire toujours nous rencontrer.
Et plus encore, selon le texte de Jean 5, Jésus s'adresse au malade comme à une vraie personne qui a encore une volonté propre. Il ne lui fait pas un sermon, comme moi ce matin, il lui pose une question : le malade a donc son avis à donner. Et en lui rendant en quelque sorte la parole, Jésus le ramène à lui-même et à sa propre volonté.
Nous, aujourd'hui, savons qu’il s’agit de Jésus. Mais, par contre, sur le moment, l’homme malade ne savait pas qui était cet homme selon le verset 13. Il ne s’agit donc pas d’avoir ou non la foi pour que Dieu agisse ! Dieu ne se laisse pas enfermer dans nos catégories, son amour pour nous va bien au-delà. Je me demande aussi si Dieu n’agit pas ainsi fréquemment : nous ne découvrons qu'après son intervention qu'il était là, avec nous, alors que nous désespérions de sa présence.
Voilà donc la première piste qui répond aux pourquoi existentiels : chacune et chacun de nous a de la valeur pour Dieu non par ce qu'il fait, mais parce qu'il existe, tout simplement. Et rien ne lui fera perdre cette valeur : Dieu nous aime. Et par cet amour «basique» nous pouvons ensuite vivre l’affection des autres et l’estime de soi.
Dans ce passage Jésus s'adresse aussi à nous bien-portants, visiteurs, accompagnants ou proches : il met en avant ce service de l'accompagnement et de l'écoute comme une étape que nous pouvons vivre avec la personne et qui pourra l’aider à dépasser ses pourquoi, en osant prendre l'initiative d'une rencontre même si parfois nos paroles peuvent sembler peu de choses.
Prendre ce temps d'écoute où l'on se centre sur les besoins de l'autre, sur ce qu'il peut encore vouloir pour sa vie. N'est-ce pas ainsi mettre en avant sa personne (et non sa maladie) et ce qui fait encore sens pour elle ! C'est ce qu'on appelle « le spirituel », le souffle de vie en chaque humain, malade ou non. Et cette écoute pourra aider autrui à mettre en mots ce qui l'habite, à l'aider à revenir à soi-même.
Par la réponse que Jésus donne à l’homme : « Lève-toi, prends ton grabat et marche », il nous dévoile une deuxième piste pour sortir des pourquoi. Dans ce texte Jésus ne rentre pas en matière avec des réponses improbables aux pourquoi de l’homme, il ne s'en embarrasse pas. Il passe directement au comment faire pour s'en sortir : « Lève-toi !» lui dit-il.
Lève-toi. C'est le même mot qui exprime la résurrection dans le Nouveau Testament. Comme pour dire, hier comme aujourd'hui : quelle que soit ta situation, une nouvelle vie, un nouveau départ est toujours possible ! Il s'agit de se lever, c'est-à-dire de passer de la position horizontale à la position verticale. Symboliquement redevenir humain, se remettre debout, pour soi et au milieu des autres. Symboliquement aussi revenir à la vie, la vie intérieure : il faut pouvoir faire le premier pas, celui de la volonté peut-être pour avancer à nouveau, marcher, comme l’ordonne Jésus à l’homme malade.
Je voudrais illustrer cela par l’expérience d’une malade atteinte d’un cancer et qui se répétait sans cesse « Je ne veux pas mourir » pendant sa maladie. Elle a été en rémission puis a vécu une rechute. Elle a eu une révélation lorsqu’elle s’est dit : « Maintenant je choisis de vivre !» et a vécu sa maladie tout différemment.
C’est en quelque sorte remettre la personne au centre d'elle-même, ne pas la laisser trop longtemps être envahie par sa maladie. Non pas l’évacuer, mais qu’elle revienne à sa place, une maladie qui atteint un être humain. Pour que la personne garde toute l’importance.
Cependant dans ce texte c'est à une véritable guérison que nous assistons. L'homme est complètement guéri. La parole du Christ a donc toute autorité. C'est notre 3ème piste pour dépasser les pourquoi.
Aujourd'hui, croit-on encore à cette puissance du Christ ? Certes, nous n'assistons peut-être pas à des guérisons aussi nombreuses que l'Évangile nous les relate. Cela existe pourtant encore, mais c’est Dieu qui en décide. En ce qui nous concerne par contre croyons-nous intérieurement que Dieu a encore cette parole d'autorité ? Qu’il désire, par différentes personnes ou moyens nous rappeler qu’il nous veut debout dans la vie ?
Aimerions-nous lui laisser l'initiative ? Aimerions-nous le laisser agir là où on ne s’y attend pas ? S’il a de l'autorité, il peut en avoir pour nous encore aujourd'hui, même lorsqu'il n'est pas question de pureté de foi… puisque cet homme ne connaissait pas Jésus ! Même s'il n'est peut-être pas question pour vous de guérison totale, mais au moins de renforcement intérieur et de chemin vers un apaisement. Osons alors faire confiance au sens large et restons à son écoute !
Car la différence avec l'avant est de taille : grâce à l'intervention de Jésus dans sa vie, ce n'est plus la souffrance ni la maladie qui le porte, mais le contraire : en quelque sorte je dirai que les « pourquoi » ne peuvent jamais être évacués – car quelles réponses leur donner ? –, mais ils ne prennent plus toute la place ! L'homme s'est retrouvé et il est à nouveau au centre de sa vie, il en a retrouvé la direction, il marche
C'est ce que je vous souhaite à vous, personnes malades :que vous puissiez vivre de cet amour que Jésus vous porte afin de vous relever, debout et à vous-mêmes, afin de retrouver le comment vivre malgré les inévitables pourquoi et donc retrouver la volonté d’avancer dans une confiance revivifiée, en Dieu et en soi.
Afin que vous ne soyez plus des malades, mais des personnes qui vivent avec une maladie. Car Dieu nous veut tous debout dans notre vie : alors, « lève-toi…et marche! »
Amen !
Malade: pourquoi moi ?
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