Chers frères et chères soeurs dans le Seigneur, que la Paix, l’Amour de Jésus-Christ soient avec vous ! C’est dans la communion de cette paix et de cet amour fraternel des Enfants de Dieu, que je voudrais saluer au nom de la Cevaa, toutes les églises de Suisse qui nous ont très chaleureusement accueillis depuis deux semaines. A elles toutes je voudrais dire la reconnaissance de tous les délégués de notre Assemblée Générale.
Permettez-moi donc aussi par la même occasion de saluer tous les auditeurs de ce culte que nous voudrions vivre sous le signe de la Joie et du Partage ! Ce matin, nous avons le bonheur de partager avec vous toutes et tous la Parole de Dieu à partir de ce passage biblique que nous allons découvrir et méditer et qui se trouve dans le livre d’Esaïe au Chapitre 55, les versets 1 à 8 et où nous lisons…
Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur ! Quelle impression étrange cela donne d’écouter ces paroles qui d’une certaine manière peuvent nous paraître insolites ou surréalistes ! En effet ce passage nous place devant des choses étranges : d’abord il commence par un appel pour le moins surprenant : « Ô vous qui êtes assoiffés, venez vers les eaux, même celui qui n’a pas d’argent, venez ! » Qui de nous donc est assoiffé en ce moment pour que cet appel lui soit destiné ? Vers quelles eaux nous invite-t-on à aller ? Et comment imaginer dans notre vie d’aujourd’hui la gratuité des choses, tant nous sommes éduqués et habitués à ne recevoir qu’au prix de l’argent c’est-à-dire en payant !
Nous sommes donc en droit de nous interroger sur l’incongruité des paroles que nous venons d’entendre. Et cela continue dans les versets qui suivent : « Demandez du grain et mangez ; venez et buvez ! – sans argent, sans paiement – du vin et du lait. » Sommes-nous donc devant le délire d’un prophète fou ? Se moque-t-on de nous ?
Tels pourraient être nos questionnements et nos impressions, si nous recevions ce texte au premier degré. Mais si nous nous donnons un peu la peine de nous y attarder et d’y réfléchir en profondeur, nous aurons la surprise agréable de découvrir que ces paroles de Dieu par la bouche d’Esaïe peuvent avoir encore aujourd’hui un sens, une portée édifiante et une pertinence réelle dans nos vies, à nous qui les écoutons, des millénaires après les Israélites. C’est à cette autre approche que je vous invite pour ces quelques minutes de partage.
Frères et Sœurs en Christ, les délégués d’une quarantaine d’églises venus de tous les continents viennent de se réunir ici en Suisse et durant deux semaines ils se sont donné pour tâche de réfléchir sur la Communauté qu’ils composent à savoir la Communauté d’Églises en Mission.
Durant 2 semaines ils ont échangé, débattu de sujets divers, les uns plus ou moins gais que les autres. Ils ont parlé de vision, de programmes, de projets, d’échanges de personnes. Et sous-tendant tous ces sujets, ils ont aussi parlé de finances et d’argent. Et souvent c’est ce dernier sujet qui a conditionné les orientations retenues, le fonctionnement futur et l’organisation de la vie et l’avenir de la communauté.
N’est-ce pas là, le signe évident que le monde dans lequel nous vivons, ne peut plus faire l’économie de la question financière, donc de l’argent. Et les églises ne sont point à l’abri d’une telle réalité. La question du coût est devenue incontournable où que nous soyons, quoi que nous fassions. Même le temps a un coût et c’est la raison pour laquelle nous le limitons. Par exemple, j’ai un nombre de minutes bien fixé que je ne dois point dépasser pour la présente prédication. Toute notre vie est ainsi régie par la notion du coût.
Dans ces conditions, comment donc recevons-nous ce passage que nous venons d’écouter et qui du début à la fin nous parle plutôt de la notion de gratuité ? Quand bien même nous trouvons étrange le message de ce passage, il n’en demeure pas moins d’actualité comme un message percutant en interpellations.
Mais ce que je dis là est risqué car, chers frères et sœurs, quand tout à l’heure nous allons quitter ce temple à la fin du culte et que sera clôturée notre Assemblée Générale, c’est une autre réalité que celle de ce message que nous allons retrouver n’est-ce pas ? Quelle est-elle donc cette réalité de nos quotidiens ? N’est-ce pas celle d’un monde organisé, régi, ordonné par le règne de l’argent ? Où trouverons-nous encore une parcelle où serait tolérée et dite la notion de gratuité ? Laquelle de nos activités que nous reprendrons serait exemptée de la loi de l’argent ?
Où entendrons-nous encore dans nos occupations un message, une invitation à la consommation gratuite ? Nulle part ! Nous allons tous rentrer disciplinés, dans les rangs de l’ordre de l’argent ! Oui, c’est cela la vraie réalité de notre vie. Une réalité où la place de tous et de chacun est bien indiquée selon la capacité financière ou économique qui est le sien.
Nous allons renouer avec cet ordre social qui a réglementé d’avance tout, où les pauvres sont dans les cantonnements de leur faible poids économique et où les riches ou les possédants vont occuper allègrement les vastes espaces que leur confère la valeur de l’argent dont ils disposent. Oui nous allons nous réintégrer dans nos compartiments d’où nous serons invités ou sommés de reprendre un mouvement infernal de la course vers la recherche de l’argent qui permettra ou non de se procurer l’eau, le lait, ou la farine de la subsistance ou de la survie. Nous allons retrouver cette réalité dans laquelle se démènent aussi nos églises au rythme du vécu de nos populations.
Ceux parmi nous qui résident dans les pays du Nord, vont retrouver leurs préoccupations qui sont celles, entre autres, de comment répondre aux exigences sociales d’une société qui ne trouve plus dans les discours de nos églises, de réponses à leurs préoccupations ; nos églises qui elles-mêmes s’interrogent sur la diminution de leurs recettes d’argent. Ces églises pour certaines vont se retrouver devant les phénomènes embarrassants de l’immigration étrangère pour lesquels les gouvernements promulguent des lois d’exclusion ou de limitation du nombre d’étrangers.
D’autres parmi nous qui viennent de pays du Sud vont eux aussi se retrouver dans la gestion d’autres problèmes, à savoir la misère environnante de leurs populations, les catastrophes provoquées par la folie des hommes, notamment les guerres, les conflits ethniques, la famine, la sous-alimentation, le sida, le paludisme, les régimes de dictature et que sais-je encore ?
Dans tous les cas, il est sûr que les messages qui sortiront de nos temples seront simplement les échos angoissés que nous renvoient les cris provoqués par cette tourmente du règne de l’argent. Alors tous nos efforts à travers nos programmes de formation et d’animation théologique, tous nos programmes et projets missionnaires seront élaborés, discutés, retenus par ce qu’impose cette loi de l’argent.
C’est ainsi que nous allons épouser des règles et des comportements et des discours qui en apparence, expriment notre sincérité de cœur pour un monde fraternel et solidaire, mais qui au fond, ne sont souvent que l’expression de notre désarroi et de notre impuissance à dire Dieu comme le fait Esaïe. Alors nous nous réfugierons derrière des mots tels : bonne gouvernance ; rigueur de gestion, nécessité de rendre compte. Des mots et expressions tels l’aide au développement, mais un développement qui ne développe jamais, échanges Nord-Sud et tant d’autres. Ainsi les messages de nos prédications aussi seront le plus souvent en porte-à-faux avec nos idéaux et les attentes de nos populations désemparées.
L’on me taxera peut-être d’exceller dans le pessimisme ! Et pourtant pouvant-nous faire la démonstration contraire de cette réalité tourbillonnante et vertigineuse du Règne de l’argent ? Rassurez-vous néanmoins ! Mon intention en m’exprimant ainsi n’est pas pour nous dire de baisser les bras. Non au contraire, je voudrais nous inviter plutôt à oser faire écho aux paroles d’Esaïe ! Et à oser imaginer qu’un autre monde nous est possible à faire surgir de nos engagements communs.
Et je suis heureux que nous soyons en Suisse ce matin, car il existe dans ce pays un homme remarquable pour lequel j’ai beaucoup de respect et d’admiration : il s’appelle Jean Ziegler. Je ne le connais pas personnellement et physiquement cet homme mais j’ai eu la chance de lire pratiquement tous ses livres. Et pour moi le message qui sort de ces livres est comme une actualisation de celui du prophète Esaïe. J’admire cet homme tout simplement à cause de son courage à oser dire ce que l’on voudrait maintenir sous silence. Et il ne fait pas que dire, il identifie, il dissèque, il dénonce les mécanismes de ce Règne de l’Argent. Ce Règne qui prend un visage diabolique et qui s’impose comme tel, un Règne qui déshumanise, qui broie tout sur son passage, qui tue l’Espérance, qui marginalise, qui défigure et qui anéantit nos identités et nos vies.
Comme cet homme je voudrais avec vous rêver que les changements sont possibles. Et pour moi ils sont possibles si pour leur part nos églises, nos institutions œcuméniques, au lieu de s’enfermer dans leurs coquilles d’institutions aux règles rigides qu’il faut pérenniser, si nos églises, nos institutions de par l’action de ceux qui les dirigent, acceptaient de devenir des espaces de renouveau pour l’imagination d’une société autre et nouvelle. Des espaces qui accueillent celles et ceux que l’on confine dans les ghettos de la misère et de la pauvreté, des espaces qui proposent des discours neufs dans un langage accessible à tous. Des espaces débarrassés de préjugés où l’on n’exacerbe pas la concurrence des intérêts institutionnels imposés par le souci du contrôle de l’argent. Bref des espaces de générosité où toutes et tous, nous accepterions de repartir à l’école de l’Amour.
Car en fait, à quoi se résument les propos de Dieu que fait retentir le prophète Esaïe si ce n’est tout simplement le message de l’Amour ? Il nous faut oser identifier les destinataires du message que Esaïe appelle : « Vous, les assoiffés… ! » En réalité, chacun d’entre nous fait partie de ces assoiffés, car derrière nos agitations, nos richesses, nos pauvretés, nous avons une soif cachée, celle d’aimer et d’être aimé. Nous manquons du lait de l’Amour, de la farine de l’Amour qui lui, n’obéit pas à l’imposture de l’argent ni du coût.
Osons donc une autre écoute du monde et au lieu de nous étourdir du brouhaha de la course à l’argent, écoutons une musique plus douce que le Créateur a enregistrée pour nous depuis la fondation du monde : la musique de l’amour de la fraternité, la même qui apaise de façon égale l’enfant, l’adulte, la personne âgée. Cette musique dont le rythme sied de façon égale à tout être humain quelque soit sa couleur de peau et sa culture ou sa religion, car cette musique-là a été conçue à partir de la belle variété de nos diversités géographiques, culturelles et dans l’harmonie de notre force d’aimer.
Écouter cette musique, c’est accepter l’invitation faite à nous par Dieu. Un Dieu qui ne se cache point dans les nuages de nos ségrégations confessionnelles, mais un Dieu si proche de chacun d’entre nous et qui offre sa tendresse à tous pour peu que nous acceptions d’oser un mouvement de repentir vers Lui, c’est-à-dire celui qui consiste à quitter nos égoïsmes, nos tendances à accumuler pour nous seuls, et plus que notre part, en lésant l’autre du sien.
Utopie ! me dira- t-on peut- être , mais avons-nous d’avenir sans utopie ? Notre thème pour les deux semaines qui s’achèvent était : « Qu’ils sont beaux les pieds du messager sur la Montagne ! » Oui ils sont beaux parce que est beau le message qu’ils apportent !
Que le Seigneur nous fasse la grâce d’être aujourd’hui et les jours qui viennent des relais de ce message beau et attendu par les millions de femmes, d’enfants, et d’hommes de par le monde et qui nous espèrent à la croisée de leurs routes.
Que les Églises de la Cevaa s’engagent pour porter sur tous les continents d’où nous venons, ce beau message qui doit remettre debout et dans la dignité les femmes et les hommes au nom de qui nous nous disons en mission.
Amen !
L'incroyable invitation
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