C'est un jour de fête aujourd'hui, la fête de la Réformation. À Genève tout à l’heure, il y aura une grande célébration devant le mur des Réformateurs, donnant le départ de l’année Calvin, puisque notre réformateur aurait 500 ans en 2009. Mais que fêtons-nous au juste ? Une naissance ou une séparation ? Au fond, la Réformation, c’est un schisme, un temps difficile de l'église chrétienne. Est-ce bien là un événement à fêter ? Je me pose d’ailleurs cette même question pour d'autres fêtes, comme la Révolution française et le chant de la Marseillaise, portant aux nues un temps troublé et un bain de sang.
La Réforme a marqué la division de l'Église, une séparation, un divorce, ce qui – comme dans un couple – n'est jamais une chose souhaitable même si parfois cela devient inévitable et peut-être un moindre mal. Luther ne souhaitait pas cela, il ne voulait que témoigner de sa découverte, partager un évangile qui appelle à la grâce, à la joie, à un salut immérité, mais donné par amour et reçu dans la reconnaissance.
Il n’a pas pu continuer de vivre et de proclamer sa foi et ses certitudes nouvelles à l’intérieur de l’Église, la Réforme à eu lieu, un mal nécessaire, et l'Église de Jésus-Christ a continué sa route, divisée, mais cherchant à se comprendre, cherchant à se réformer et à se réveiller, tout en s'assoupissant souvent. Des réveils ont eu lieu, de nouvelles communautés ont émergé, ont grandi. Difficulté parfois de coexister et pourtant richesse de pouvoir s'interpeller mutuellement. Différentes églises appelées toujours à être un seul corps, le corps du Christ. C'est cela qui est important, que nous rappelons et proclamons aujourd'hui, le Christ, vivant au milieu de nous, nous offrant son pardon, son amour et sa grâce.
La fête, c'est d'être ensemble aujourd'hui, avec des églises de la ville de Neuchâtel issues de la Réforme et avec tous ceux qui sont réunis avec nous par les ondes pour nous souvenir de ce qui nous unit, le Christ. C'est bien plus central que ce qui nous sépare et c'est ce qui nous unit également avec les catholiques, les orthodoxes, et tous les autres chrétiens d'ici et d'ailleurs.
En effet quelles que puisse être nos différences ecclésiologiques ou même christologiques, nous proclamons ensemble Jésus comme le Christ, le Fils de Dieu et le Sauveur du monde. C'est là que réside la source de notre joie et de notre foi, ainsi que le désir de la partager autour de nous. Comme les premiers disciples, nous sommes venus nous asseoir ce matin pour l'écouter et pour mieux comprendre encore qui est ce Christ que nous confessons. Que nous demande-t-il et que nous promet-il ?
Le texte des Béatitudes qui ouvre le discours du Christ est un texte magnifique, mais difficile, qui a fait couler beaucoup d'encre, parce qu'il peut être compris et a été compris de manières bien différentes, en fonction des époques et des sensibilités.
En partageant sur ce texte dans le conseil de communauté locale du Temple du Bas, deux points de vue se sont exprimés : ceux qui ressentaient ce texte comme paniquant en vue de l'immensité du chemin de perfection qui semblait être exigé pour chacun de nous, et d'autres l'ont compris comme une promesse pour ceux qui souffraient aujourd'hui.
Appel à la sainteté ? Compensation sans condition pour nos malheurs présents ? Ou encore ? Jésus est monté sur la montagne, il s'est assis, il se prépare à enseigner, et c'est le premier enseignement public qui nous est rapporté dans l'évangile de Matthieu, sa leçon inaugurale pourrait-on dire et voici qu'il commence par ce texte de proclamation, les Béatitudes.
Heureux les pauvres en Esprit...
Devant lui ses disciples, Les premiers à qui il s'adresse, mais aussi la foule venue l'écouter, en quête spirituelle, mais aussi par simple curiosité et voici qu'il leur dit : Heureux les pauvres en Esprit, car le royaume des cieux est à eux. Une phrase à l'impersonnel, une phrase lancée à la cantonade, à saisir pour qui veut la prendre.
Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés !
Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre !
Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés !
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde !
Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu !
Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux !
Heureux serez-vous, lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on répandra sur vous toute sorte de mal, à cause de moi.
Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux, car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
Ce texte arrive ainsi à nous, de plein fouet, comme les auditeurs de l'époque ont dû l'entendre. Les Béatitudes ne sont pas pour un petit cercle de parfaits, elles sont pour tous, elles sont grâce, mais aussi exigence. Un chemin à la suite du Christ, comme tout le sermon sur la Montagne d'ailleurs, mais ce texte pose en ouverture la réalité du bonheur dans la voie que le Christ nous invite à suivre.
L'expérience de Luther est intéressante, car il avait choisi la vie monastique, soit justement, la recherche de la perfection pour le salut de son âme et voilà qu'il n'y parvenait jamais ou plutôt qu'il n'était pas sûr d'y parvenir. Puis il découvrit que la voie de la sainteté n'est pas que pour un petit cercle d'élus, mais pour tous et qu'elle commence par la grâce. Révélation de cette grâce imméritée qui est devenue dogme de l'Église réformée : La justification par la foi seule, mais il ne faut pas oublier que Luther, comme Calvin et d'autres réformateurs persévérèrent en même temps dans la recherche de sens, dans la recherche de Dieu et l'accomplissement de sa volonté.
Les Béatitudes : Une attitude de vie. Une invitation à ne pas rester au fond du puits, dans le désespoir, la complaisance sur ses malheurs, mais se mettre en route, avec ses manques et ses difficultés vers ce bonheur proclamé et promis. Vivre cette affirmation du Christ comme un appel, une vocation, un encouragement à ne pas céder à la plainte et au pessimiste ambiant. Se mettre en route. On peut, en effet, disserter longtemps sur les Béatitudes, mais surtout, on peut se mettre en route pour les vivre. « En marche » traduit Chouraqui.
Il n'empêche que la barre est très haute et le bonheur paradoxal, mais la Réforme a justement insisté sur la grâce qui précède l'exigence. Nous ne pouvons nous lancer dans ce chemin que parce que nous nous savons profondément aimés, accueillis tel que nous sommes et mis en route sur un chemin de vie, un chemin juste qui nous promet le bonheur et qui nous promet de surcroît que quelqu'un nous y conduira pas à pas.
Pour cela, accepter de laisser faire, au risque de se perdre. Peur et promesse coexisteront toujours. Peur de se tromper et de ne pouvoir avancer sur ce chemin du bonheur. Promesse que la vraie vie se situe bien là et en vaut tous les désagréments et les peurs.
L’avenir nous fait peur souvent maintenant, un avenir sombre, peut-être bouché, peut-être plus court que nous le pensions. Mais que faire, sinon de se risquer sur un chemin qui nous semble justement risqué et infini, mais qui se révèle en même temps, comme le seul qui a du sens ?
Que faire, sinon partir et découvrir. Accepter de se perdre, de se laisser déposséder pour être redonné par le Christ. Sur ce chemin, le but semble parfois s'éloigner dans la mesure où nous avançons et descendons dans les profondeurs, que nous vivons les Béatitudes en vérités et en humilité et que nous découvrons combien elles sont vraies et justes, combien elles nous ouvrent à la vie et nous mettent en communion avec le Christ et en même temps que nous découvrons toute la distance qui nous sépare de la sainteté, qui reste seulement un horizon.
Les Béatitudes à la fois :
l Mise en route et horizon ;
l Grâce et Exigence, une superposition parfois difficile à faire dans nos têtes et pourtant !
Grâce pleine et entière, exigence surhumaine car fruit de l'Esprit, ces deux réalités coexistent dans ce texte si court et si dense, qui promet et invite à entrer dans un chemin difficile et pourtant un chemin qui mène à la joie et au bonheur, un chemin dans la paix de se savoir conduit, un juste chemin, un chemin de vie. Le déjà et le pas encore. Et le bonheur nous est donné, parce que nous entrons là dans la communion avec le Christ, dans le royaume de Dieu promis.
Et je m'arrête là, car l'essentiel pour chacun de nous, est de vivre dans l'Esprit de ces Béatitudes, de se mettre en marche, avec une confiance renouvelée en Celui qui nous guide avec amour. Que le bonheur nous soit donné dans une vie assumée et confiée au Christ.
Amen !