Un récit de la guérison d'un homme sourd, un seul dans tous les évangiles. Jésus rencontre beaucoup de personnes atteintes de toutes sortes de maladies et de handicaps, mais un seul sourd. Et encore, il le rencontre dans un pays étranger, pas en Israël, mais dans le pays de Tyr et de Sidon.
Un homme sourd, et qui parle difficilement. Il n'est dit nulle part que cet homme est muet. Les sourds ne sont pas muets. Ils ont une voix différente, parce qu'ils ne s'entendent pas parler, c'est tout. Et beaucoup, sachant qu'ils maîtrisent mal leur voix et leur prononciation, préfèrent parfois ne pas sortir leur voix.
Il y a toutes sortes de causes à la surdité, toutes sortes de circonstances qui font qu'on perd l'audition et toutes sortes de degrés dans la perte d'ouïe. Et toutes sortes de manières de vivre avec la surdité ou la malentendance.
La surdité et la malentendance ne se voient pas. C'est un handicap invisible, et donc bien difficile à assumer. Les sourds ont souvent l'impression qu'ils n'intéressent pas beaucoup, ils se sentent comme transparents aux yeux des entendants. Ils ont envie parfois de secouer les autres et de leur dire : « Eh, je suis là ! » Mais quand on parle difficilement ? Quand on a une voix étonnante, pas normale ?
Alors, on reste entre sourds, et là, on parle beaucoup ! L'un des paroissiens de la Communauté raconte que, dans son carnet scolaire, quand il était à l'école, il était souvent écrit : trop de bavardages !
La communauté sourde est comme une nouvelle famille, où l'on se retrouve, on partage les fêtes, on donne des nouvelles, on se soutient dans les difficultés et le deuil. À la Communauté des Sourds et Malentendants de Genève, plus précisément, comme dans les autres communautés de Suisse romande ou d'ailleurs, on partage la foi, le culte, la prière, l'engagement chrétien. On écoute l'histoire de chacun, de chacune, on la respecte et on s'encourage à vivre en relation.
Parmi nous, il y a Janine. Janine a sa voix, elle n'a pas toujours été sourde. Elle nous explique maintenant son parcours et sa vie.
Témoignage de Janine Corlet
Je suis née entendante. A l’âge de 7 ans, j’ai été opérée d’une mastoïdite, suivie d’un traitement à la streptomycine. A partir de là, mon ouïe a baissé progressivement, mais on ne s’en est aperçu vraiment que lorsque j’avais 17 ans. Ce fut un moment très pénible pour moi concernant le choix de mes études, concernant le piano que j’étudiais aussi. Mais j’ai été bien entourée et conseillée !
J’ai réussi mon diplôme de laborantine médicale à Berne. À 22 ans, je suis allée travailler dans un hôpital à Londres pendant 1 an. Là, on m’a vivement conseillé de porter un appareil acoustique alors que j’entendais encore à 50 %. En Suisse, en 1960, le sujet était tabou ! Mon entourage anglais était formidable et nos amis de l’Eglise suisse, en particulier le pasteur Claude Reverdin, m’ont beaucoup aidée à accepter mon handicap.
De là, départ pour 6 ans à l’Institut Pasteur à Paris, où j’ai de nouveau rencontré un entourage très compréhensif. Retour en Suisse : Sion, Vevey et finalement Genève où j’ai travaillé 31 ans, dont 21 au centre médical universitaire. Les contacts se sont très bien passés dans un service avec parfois 19 nationalités et 12 langues différentes.
J’ai donc perdu complètement l’ouïe vers 28 ans déjà. Le fait d’avoir été appareillée très jeune m’a permis de m’habituer plus rapidement à jouer entre perte naturelle et récupération artificielle. De plus, j’ai pris de nombreux cours de lecture labiale et j’en prends encore !
J’ai toujours annoncé la couleur à mes interlocuteurs, ne cachant pas ma surdité : cela évite de nombreux malentendus, car beaucoup de personnes ne réalisent pas qu’ «entendre n’est pas forcément comprendre.» Donc, pour comprendre, j’ai besoin de lire sur les lèvres.
Je termine en disant que la seule chose qui m’affecte encore aujourd’hui, c’est de ne plus pouvoir entendre la musique comme avant. Je reconnais parfaitement ce que j’ai joué ou entendu jusqu’à 25-26 ans par la mémoire auditive, mais pour le reste, c’est du « bruit ! » Merci.
(reprise de la prédication)
Revenons à notre texte biblique. Pour dire d'abord que, au cours des siècles, il a été brandi pour défendre des idéologies complètement opposées. Des entendants, concernés par la surdité, religieux, éducateurs, etc. pleins de bonnes intentions et de charité, ont pris dans ce texte les arguments pour dire : voyez, Jésus veut que les sourds parlent, donc il faut interdire de pratiquer la Langue des Signes, il faut démutiser et oraliser. Ils ont été les plus forts pendant longtemps. Et d'un autre côté, les sourds disaient : mais non, Jésus se met en relation avec l'homme sourd exactement comme il faut le faire, avec des gestes et des expressions. C'est lui qui s'adapte, donc il s'intéresse vraiment à la personne avec sa surdité.
Ce texte peut alors avoir des effets aussi bien libérateurs qu'oppresseurs, selon les uns ou les autres. Vous devinez bien dans quel sens nous avons essayé de le lire.
Marc raconte tous les détails de cette rencontre, et on comprend bien tout cela quand on est concerné par la surdité. Des gens amènent à Jésus cet homme sourd. Car comment, autrement, aurait-il su, tout seul, que cet étranger, de passage dans sa région, pouvait peut-être faire quelque chose pour lui ? Voilà que cet homme le prend à part, se met bien en face de lui, l'entraîne à l'écart. Jésus lui montre ainsi qu'il est là pour lui, pas pour un groupe, et que son attention n'est pas distraite par les gens qui sont autour de lui.
Puis, Jésus fait des gestes, il utilise ses mains, ses doigts, ses yeux, l'expression de son visage. Il ne parle pas à l'homme sourd tant qu'il n'entend pas. Vous avez remarqué ? Le seul mot que Jésus prononce : « Ephata, c'est-à-dire ouvre-toi !» s'adresse à Dieu tout autant qu'à l'homme sourd. Ouvre-toi ! Non pas « Vous les oreilles, ouvrez-vous ! », mais : Ouvre-toi. Toi qui es ici avec moi, ouvre-toi. Que ton cœur s'ouvre à mon accueil. Que ta personne s'ouvre à ma présence. Que tes oreilles s'ouvrent à mes paroles. Que tes yeux s'ouvrent à mes gestes. Que ta vie s'ouvre à mon appel.
Oh oui, l'homme sourd devait avoir les yeux grands ouverts, il devait être intrigué et impatient de savoir ce qui allait lui arriver. Et ce qui lui arrive, c'est qu'« aussitôt, les oreilles de l'homme s'ouvrent, sa langue est guérie et il peut parler normalement. »
L'homme entend maintenant autant qu'il voit, il rejoint les gens, ceux qui l'ont amené à Jésus et les disciples qui étaient avec lui. Il entend les exclamations et les cris, les conversations et les commentaires. Il entend comme tout le monde. Et ce que tout le monde entend est une parole stupéfiante : « Ne dites rien à personne ! » Comment ? Cet homme peut enfin parler et la première chose qu'il saisit, c'est qu'il doit se taire ?
Jésus sait bien ce qu'il fait en disant cela. Il ne veut pas qu'on croie en lui à cause des choses extraordinaires qu'il fait, mais à cause de sa vie, bien plus forte que tous les handicaps, toutes les difficultés, les empêchements qui s'opposent à la vie. Jésus sait bien aussi quelle sera la réaction des gens : plus il leur commande de se taire, plus les gens racontent. Et ils disent : « Tout ce que Jésus fait est vraiment formidable : il fait entendre les sourds et parler les muets ! »
Un homme a été guéri. Ses oreilles se sont ouvertes, sa langue s'est déliée. C'est le premier niveau de la guérison. Et ensuite, surtout, il n'est plus dépendant des autres pour savoir et comprendre ce qui se passe autour de lui. Il n'a plus à regarder sans comprendre, il n'a plus à rester en marge des événements. Cet homme a été d'abord rencontré de manière très personnelle par Jésus, puis il a été remis dans la circulation de la vie, parmi les siens. Cet homme a alors retrouvé une relation normale avec son entourage. Il a reçu la possibilité de sa parole propre. Il peut aller et venir sans plus « être amené » par les autres. Voilà la grande dimension de sa guérison. La guérison plus grande que celle des oreilles et de la langue.
A la CSMG, nous n'avons pas d'expérience de guérison de la surdité. Même si beaucoup de nos membres pensent que la vie serait tellement plus facile s'ils entendaient, ils vivent vraiment, pleinement, avec leur handicap. Ils supportent l'ignorance, l'exclusion, les maladresses et l'éloignement. Ils supportent l'esprit de supériorité des entendants et les regards qui se détournent. Ils acceptent l'impatience de ceux qui n'ont pas le temps de prendre le temps de leur parler tranquillement, personnellement.
Et ils parlent, on ne peut plus les arrêter, quand ils évoquent la surdité des entendants à leur égard, l'incapacité de beaucoup à entendre les besoins particuliers des personnes sourdes ou malentendantes, et à y répondre. A la CSMG, on a bien toute cette expérience-là, mais on n'a pas l'expérience de la guérison. Pourtant ce n'est pas faute d'avoir la foi. Ce n'est pas faute de faire confiance à Jésus, d'aimer être près de lui. Nous saisissons toutes les occasions de le rencontrer, particulièrement dans le Pain et le Vin, et dans sa Parole. Cette Parole que, de la Belgique au Congo Brazzaville, de la France à la Suisse romande, des dizaines de personnes, sourdes et entendantes, ont commencé à traduire en Langue des Signes française, afin d'avoir enfin accès à l'Evangile dans sa première langue. Oui, nous croyons autant que les autres. Mais toujours avec la surdité.
Tous les moyens de communication mis en place dans nos cultes ne guérissent pas. Mais ils prouvent une conviction : comme dit la théologienne américaine handicapée Kathy Black, c'est dans une communauté où tous sont « interdépendants » qu'on peut s'attacher à faire comme Jésus dans son ministère terrestre : restaurer les relations, prendre garde aux faiblesses et aux difficultés de chacun, inventer les moyens de faciliter la communication, et donc rendre possibles le partage, l'échange, la réciprocité. Une communauté où s'expérimente la guérison est une communauté où chacun est interdépendant, où chacun se sent responsable des autres. Où chacun et chacune peut prendre garde aux autres et les amener à Jésus. Où chacun est rencontré très personnellement et aussi intégré dans des relations vivantes.
Aujourd'hui, chers auditeurs, ce sont les membres de la Communauté des Sourds et Malentendants de Genève qui vous font signe, et qui ouvrent tout grand leurs bras, pour vous inviter à vous ouvrir à la rencontre, à vous ouvrir à la confiance et à l'attention à chacun autour de vous. Ce sont les sourds et les malentendants de ce coin de pays qui vous disent, de leur voix spéciale, ce que vous savez déjà d'expérience : il faut vivre des relations vraies et profondes pour donner sens à la vie. Seule une vie en relation sème la paix dans le cœur et autour de soi.
C'est cela que nous sommes appelés à vivre, tous ensemble, maintenant. Ce n'est pas la guérison physique, mais c'est la vie dans toute sa profondeur. En attendant ce jour où, comme l'a dit l'un des paroissiens de la CSMG :
Nous, nous sommes sourds.
Mais à notre mort,
Dieu nous dira : Ouvre-toi !
Et tout va s'ouvrir,
et ce sera une grande joie.
Amen !
Toi, ouvre-toi !
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