Matthieu, dans les chapitres 18 à 20 de son évangile, reprend les enseignements de Jésus sur la vie communautaire. Juste avant ce texte des ouvriers de la 11ème heure, il y a l’histoire du jeune homme riche. Juste après, nous lisons l’histoire des vendeurs chassés du temple. Ce n’est donc pas un détournement du texte que d’en faire une analyse économique. Mais l’économie de Dieu est différente de celle des hommes. Ses préoccupations portent sur d’autres points que notre recherche effrénée du profit.
La première chose qui me frappe, c’est qu’il y a, au début du jour, un contrat négocié : un denier par jour. Le maître loue des ouvriers. Il leur garantit un salaire décent, qui permet au travailleur de vivre, lui et sa famille. Nous ne sommes pas dans l’arbitraire et le salaire n’est pas à bien plaire. Et, à la fin de ce récit, ce contrat sera respecté et les ouvriers seront payés selon la somme convenue. Ils n’auront donc pas à se plaindre.
Mais dès la 3ème heure, les termes du contrat changent. Le texte dit : ce qui sera raisonnable. Reste à savoir ce qui est raisonnable ! Dans notre logique économique, le raisonnable serait de payer selon le temps de travail effectué. Ainsi, ceux qui ne travailleront qu’une heure dans cette vigne ne seront payés que pour le 12ème du salaire convenu. Ceux de l’époque devaient penser la même chose puisque, à la fin de la journée, les ouvriers qui ont travaillé toute la journée protestent.
Mais le maître ne voit pas les choses ainsi ; il calcule d’une autre manière. Pour le maître, travailler est une nécessité. Cela se perçoit dans la question qu’il pose aux ouvriers de la 11ème heure, à la fin de la journée : « Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire? »
La question est légitime et nous la posons aujourd’hui aux jeunes qui n’entreprennent pas un apprentissage, aux hommes de 50 ans qui restent à la maison, aux migrants qui traînent dans nos villes ou nos villages. Et beaucoup donnent la même réponse que ces ouvriers-là : « C'est que personne ne nous a loués ! » Ils sont au chômage. Dans notre pays, ils étaient plus de 106’000 en juin 2007 à pouvoir dire : « Personne ne nous a embauchés ! »
Devant ce fléau des « sans travail », le maître de ce récit ne pose pas les plaques ; même s’il ne reste qu’une heure de travail, à peine de quoi se mettre dans le bain, il leur fournit l’occasion de retrouver une dignité. Quel est le regard du maître au moment de faire les salaires ? Il regarde chaque ouvrier dans sa dimension humaine.
Cet employé est peut-être marié, il a peut-être une famille à entretenir. Le texte ne nous dit rien sur la couleur de peau, la nationalité ou le statut social. Chacun doit manger, se nourrir, se vêtir. Lorsque la personne loue sa force de travail, elle le fait parce qu’elle a besoin d’un salaire. Mais le maître sait aussi qu’avec un douzième de nourriture, sa santé sera mise en péril ; avec un douzième de toit, il ne sera pas abrité. Que deviendrait une femme responsable de deux enfants, si elle ne gagnait qu’un douzième de salaire ? ou ce manutentionnaire payé un douzième du RMI ?
Chaque être humain a droit à un minimum vital, c’est-à-dire un minimum qui gardera intactes ses possibilités de se développer, de poursuivre une existence décente. C’est ce potentiel de vie que le maître estime raisonnable de conserver, et c’est pourquoi il offre à tous, indépendamment de leur productivité, la somme de « un denier ».
En regardant ce qui se passe aujourd’hui dans notre société suisse, une classe de travailleurs m’inquiète particulièrement. Ce sont les working poor, ces travailleurs à plein temps qui ne reçoivent pas un salaire leur permettant de vivre dignement. Les plus affectés sont les femmes, les ressortissants étrangers, les familles monoparentales, les temps partiels, le secteur des bas salaires. Le phénomène des working poor montre que ce ne sont pas les individus qui sont fainéants ou laxistes. C’est un système mis en place pour générer de plus grands profits.
Chacun, dans nos sociétés, cherche à monter dans l’échelle sociale. Mais nous savons que nous pouvons aussi en descendre… de plus en plus bas. Ce constat est encore plus vrai lorsque nous regardons la situation des travailleurs dans les pays émergents ou dans le tiers-monde.
L’Ascension nous invite à lever le regard. Le Christ retourne vers son Père. C’est l’enseignement qu’il a reçu de son Père qu’il nous transmet. Mais quelle est la vision du Maître dans cette parabole du Royaume ? La réponse est dans la question du Maître aux ouvriers : Ne m'est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux? Ou vois-tu d’un mauvais oeil que je sois bon ?
Un maître qui ne se résigne pas face à ceux qui sont sur la touche. Un maître qui ne capitalise pas ses biens, un maître qui tient compte des besoins plutôt que du rendement, voilà un maître bien dérangeant dans notre vision de l’économie.
J’ai précisé, en début de message, que Matthieu classait ces Paraboles du Royaume dans une catéchèse sur la vie communautaire. Ce qui est en jeu ici, c’est le vivre ensemble de la communauté. Comme les dix commandements à l’époque de Moïse sont un code fondamentalement différent des coutumes du temps d’alors, l’enseignement de Jésus dans ces paraboles vient en rupture avec les usages du début de l’ère chrétienne. Dans le Royaume de Dieu, celui du Bon Maître dont parle Jésus, l’humain, créature de Dieu, est au centre.
Le Maître n’est pas bon par bonté d’âme. Il ne s’agit pas ici de créer sur terre un paradis utopique qui supprimerait toutes les inégalités. Tous ces textes nous transmettent un code de vie. Le Maître est bon parce qu’il sait que le respect de l’autre, la prise en compte de ses besoins, est la condition sine qua non pour arriver à un développement durable de la communauté.
En respectant les besoins fondamentaux de chacun, une vie en communauté est possible. C’est le message transmis tout au long du ministère de Jésus : restaurer chacun dans sa dignité, individuellement et collectivement. Vivre selon d’autres règles ne peut que générer des inégalités, des souffrances et par conséquent des révoltes. Le débat actuel sur la faim dans le monde, l’inégalité de la répartition des richesses de la planète en est, malheureusement, la parfaite démonstration.
L’Ascension nous rappelle que, depuis la venue de Jésus-Christ dans le monde, il y a une communication rétablie entre Dieu et l’humanité. La croix a cette dimension verticale, un lien entre le ciel et la terre. Mais elle a aussi cette dimension horizontale, cet amour du Christ pour toute l’humanité. L’évangile de Jésus-Christ ne sépare pas le public et le privé.
La foi implique un engagement dans le mode de vie et le fonctionnement communautaire. La parabole des ouvriers se déroule dans le monde du travail, dans le quotidien des hommes et des femmes de ce temps et d’aujourd’hui. Elle n’a pas de frontière, ni dans le temps, ni dans l’espace.
Au cours de ces cultes diffusés depuis le Val-de-Travers, nous avons insisté sur trois aspects de ces paraboles du Royaume.
§ Vous êtes le bonheur de Dieu, le trésor que Dieu recherche.
§ Le pardon est la clé qui vous permettra de vivre et vous développer harmonieusement en communauté.
§ L’épanouissement de chaque être humain est le but ultime de ce bon maître. La richesse acquise par le travail de tous peut et doit être partagée selon les besoins fondamentaux de chacun.
Inspirez-vous donc de ces paraboles du Royaume et vous vivrez et votre témoignage au monde portera du fruit.
Amen !
Un Royaume où l’humain est au centre
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