Matinée oecuménique à l’occasion des 40 ans de l’Atelier oecuménique de théologie (AOT)

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Prédication dialoguée


A : Mais enfin, qu’est-ce que tu fais ?
G : Ben je marche, ça se voit pas ?
A : Nous, on voit que tu marches… mais je te rappelle qu’on nous écoute à la radio… et les auditeurs ne peuvent pas voir ce que tu fais. Et puis, qu’est-ce que c’est ce bouquin sous ton bras ?
G : C’est une Bible. Et je marche parce que je cherche Dieu. Et pour chercher Dieu, paraît-il que marcher est un bon truc.
A : Quoi ? Marcher aiderait à trouver Dieu ? Oh ! Tout d’abord, arrête-toi, parce que tu nous donnes le tournis à t’agiter comme une hélice ! Approche-toi un moment et, s’il te plaît, racontes-nous.
G : Marcher est un bon truc lorsque l’on est en quête de Dieu. Voilà ce qui est marqué là, dans ce livre. Ecoute plutôt : « ce que le Seigneur attend de toi, c’est que tu marches humblement avec ton Dieu. » Alors je me dis qu’en marchant, je vais peut-être trouver ce que je cherche.
A : « Ce que le Seigneur attend de toi, c’est que tu marches humblement avec ton Dieu », c’est une phrase du prophète Michée (je crois). Mais tu penses vraiment que tu vas trouver Dieu comme ça en marchant ? D’ailleurs, chercher Dieu, c’est un peu vague, ça, non ?
G : Je cherche Dieu, parce que j’ai soif, j’ai faim... il y a quelque chose au fond de moi, comme un souffle, une aspiration, un manque… Je ne sais pas…
A : Eh ben, vaste programme, ça. Et puis c’est marrant, parce qu’en t’entendant, je me dis que moi aussi, je cherche Dieu.
G : Toi ? Laisse-moi rire alain! Tu es un prêtre, et tu enseignes à l’AOT, à l’Atelier Œcuménique de Théologie ; ton travail, c’est d’expliquer aux autres qui est Dieu et comment on peut s’en approcher. Ne me dis pas que toi tu cherches Dieu, c’est pas possible ! Tiens, d’ailleurs ; tu pourrais peut-être me dire quel chemin prendre, pour trouver Dieu, ça me ferait gagner du temps ?
A : Tu sais, j’ai bien lu quelques livres, j’ai réfléchi sur Dieu ; mais j’ai beau être prêtre, j’ai de plus en plus l’impression que « Dieu », ça me dépasse ; que plus je vais de l’avant, plus je m’interroge. Et puis, ce que nous sommes en train d’échanger me fait penser à un très beau récit qui se trouve dans l’Evangile de Luc, au chapitre 24… Ecoute ça :

13Et voici que, ce même jour, deux des disciples de Jésus se rendaient à un village du nom d'Emmaüs… (jusqu’au verset 35)


G : Alors comme ça, cette histoire te fait penser à moi : et pourquoi donc ?
A : Et bien, parce que ces deux hommes sont comme toi : ils marchent. Et ce n’est pas aujourd’hui qu’ils se sont mis à marcher : cela fait des mois qu’ils cheminent. Voilà des mois qu’ils se sont mis en route, parcourant les chemins de Galilée en compagnie de ce Jésus qui leur a tant apporté.
G : Ok, moi aussi je marche ; mais je n’ai pas la chance de marcher en compagnie de Jésus ! Je suis toute seule, moi. Dieu doit avoir d’autres soucis à régler que de vouloir marcher avec moi. Et puis, ton histoire est étrange, avec ce Jésus qui semble jouer à cache-cache avec ses amis : on ne le reconnaît pas, il fait semblant de ne rien savoir sur ce qui s’est passé… il fait même mine de s’en aller… et ensuite il se fait prier pour rester ; et finalement quand enfin ils le reconnaissent, il disparaît ! C’est vraiment pas très fair-play, d’agir ainsi, comme pour troubler encore plus ces pauvres gens. D’ailleurs, ce doit être cela qu’il fait avec moi, Dieu : il joue à cache-cache ! Et moi, je marche d’un coin à l’autre de la planète, et chaque fois que je pense l’avoir trouvé, c’est comme s’il m’appelait plus loin !
A : Tiens, tu as raison, je n’avais jamais vu les choses comme ça : Dieu paraît jouer à cache-cache ! Mais regarde un peu ce qui se passe avec ces deux hommes : au début, ils sont sans entrain, sans vie. Imagine ce qu’ils viennent de vivre : c’était une belle histoire. Ce Jésus qui faisait le bien partout où il passait, cet homme qu’ils avaient suivi et aimé, lui en qui ils avaient mis toute leur espérance… C’était une belle histoire, mais maintenant cette histoire était terminée; leur maître a été crucifié. Plus jamais, il ne serait à leurs côtés sur la route ; ces deux marcheurs avaient de quoi avoir l’air sombre !
Au contraire, à la fin du récit, après avoir discuté avec le troisième homme, ils sont comme regonflés, revivifiés. Leur mémoire change de couleur, leurs ténèbres se dissipent, leur histoire s’éclaire, leur cœur se réchauffe. Le ressuscité partageait leurs pas et eux ne le savaient pas.
G : Alors ça, il faut vraiment que tu m’expliques, parce que c’est du chinois pour moi : un homme qui revient à la vie, qui apparaît, disparaît, réapparaît, et on ne le reconnaît pas, et il devient invisible – ça, c’est sûrement la meilleure ! C’est comme la cape d’invisibilité dans Harry Potter : hop je mets la cape, je disparais ; j’enlève, je réapparais… !
A : Je suis d’accord, c’est pas facile à comprendre tout ça.
G : Ah bon, je vois que tu reviens à la raison !
A : Mais toi, tu ne m’as pas bien écouté : je t’ai dis : regarde l’effet que la présence du Ressuscité a sur eux ; considère comment ils passent de l’abattement à la joie, et se remettent en route avec de nouvelles perspectives ; ils se lèvent, et c’est une résurrection.
G : Ca je peux comprendre. Depuis le début, il y a un mot qui m’intrigue, dans cette histoire : quand ils disent à la fin que leur cœur brûlait alors qu’il leur parlait. Comme si Jésus répondait à quelque chose qui les touchait en plein cœur. Et c’est le geste de rompre le pain qui leur fait prendre conscience de cela. Manger ensemble du pain, cela revient à partager le plus banal de nos existences, mais aussi le plus vital : la nourriture. On fait ça tous les jours, couper du pain ! Le matin, pour les tartines ; le soir, pour manger avec le fromage ! Couper du pain, et nous voilà en train de toucher à quelque chose qui ressemble fort à une rencontre avec Dieu ! Moi qui croyais être à des années-lumières de Dieu : il est peut-être bien plus près que ce que j’imaginais !
A : C’est comme si Jésus déplaçait chaque fois ces deux hommes : Alors qu’ils quittaient Jérusalem pour fuir des mauvais souvenirs, il les questionne justement sur ce qui les attriste. – Quand les deux parlent de la visite des femmes au tombeau vide, le Christ leur met le nez dans les Ecritures et leur explique ce qu’ont annoncé les prophètes de l’Ancien Testament ; – Et lorsque les marcheurs s’arrêtent, lui fait mine d’aller plus loin pour provoquer une invitation…
G : Là, je dois dire, présenté ainsi, ça me parle. Je pense à ces rencontres à l’improviste avec des gens que j’aime bien ; quand vient le moment de se dire au revoir, on n’a pas tellement envie de se séparer, et personne n’ose s’inviter à manger… Pourtant nous sentons tous cette envie au fond de nous de rester encore un moment... ça donne de ces repas improvisés tellement délicieux… ! Mais c’est incroyable, encore une fois : nous étions en train de parler de cet évènement compliqué qu’est la résurrection – et nous voilà à discuter de choses toutes bêtes, de relations qui se tissent, d’envie, de désirs, de pain, de cœurs brûlants… Et Dieu serait là-dedans ?
A : Mais il y a quand-même une chose qui me chiffonne, moi : à peine les deux hommes ont reconnu Jésus, et celui-ci disparaît…
G : Ah, toi aussi, il y a des choses que tu ne comprends pas ? Pourtant, ça me paraît clair à moi : en les laissant seuls, Jésus les a forcés à se remettre en route, à revenir sur leurs pas, pour parler à d’autres de tout ce qu’ils avaient vécu. C’est peut-être là l’ultime déplacement que Jésus a provoqué chez eux : il ne voulait pas un club de disciples fermés sur eux-mêmes. Depuis lors, c’est par une foule ininterrompue de témoins, que le récit de ces événements est parvenu jusqu’à nous. Grâce à ces témoins, nous pouvons nous aussi vivre de ce feu qui brûlait il y a 2000 ans sur la route d’Emmaüs.
A : Tu vois, je te l’avais dit : j’ai plus de questions que de réponses… et en parlant avec toi, depuis un moment, je perçois des choses que je n’avais jamais vues avant… et j’avance, moi aussi. C’est cela que nous faisons à l’Atelier Œcuménique de Théologie : partager nos questions, échanger nos doutes, questionner nos certitudes. Bref, nous nous enrichissons de nos expériences de vie et de foi.
G : [pause] Je marchais pour chercher Dieu ; j’étais un peu en panne, et voilà que je suis tombée sur toi ! Parler avec toi, Alain, ça a comme apaisé ma soif, comme calmé ma faim. Après avoir pris le temps de m’arrêter un moment, je peux reprendre la route - humblement : je sais maintenant que je ne suis pas seule sur le chemin. D’autres cherchent aussi.
Est-ce que je peux t’offrir un verre, histoire qu’on discute encore un moment ?
A : Oui, je veux bien… (G disparaît) mais, qu’est-ce que tu fais… mais, mais je ne la vois plus ; où est-elle passée ? Elle a disparu ! C’est incroyable ça. Elle m’invite à boire un verre, et… elle disparaît.
Mais c’est fou : elle disparaît comme Jésus dans le récit. Juste au moment où j’avais enfin le sentiment d’y voir un peu plus clair… Mais j’y pense : vivement que je croise au détour de mon chemin d’autres pèlerins.

Détails

Avec la participation de
Norbert Heiniger
Orgue
Anne Deshusses-Raemy
Musique
La « schola » de l’AOT, sous la direction d'Anne Deshusses-Raemy