Chanter un Requiem lors d'un culte protestant, une provocation?

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Écouter le culte :

‘Requiem aeternam dona eis, Domine… Dies irae, dies illa, qua resurgit ex favilla judicandus homo reus…’ ‘Seigneur, donne-leur le repos éternel, et que luise pour eux la lumière perpétuelle ! C’est à toi que toute chair viendra… Jour de colère, ce jour où se relèvera de la poussière l’homme coupable, en vue d’être jugé…’

Préserver les défunts des feux de la colère divine au jour du jugement, leur accorder le repos après une vie d’épreuves et de combats : telles sont les sollicitations du Requiem, prière liturgique de l’Eglise qui a traversé siècles et frontières.

Si l’enfer et le purgatoire relèvent désormais des imageries d’un passé révolu pour la plupart de nos contemporains - en Occident du moins -, l’idée d’une vie après la mort n’a pas cessé de faire partie de l’espérance humaine, attente d’une délivrance ou d’un apaisement après le temps de contraintes et de contrariétés que serait notre vie sur terre.
‘Que ton repos soit doux comme ton cœur fut bon’, lit-on ainsi sur des faire-part de deuil, ou encore ‘Repose en paix : tes souffrances sont finies’.

Mais pour ce qui est de la forme que pourrait revêtir cette vie posthume, les réponses varient :
- certains croient que leur âme - leur être intime - est destinée à reprendre vie dans un corps différent, jusqu’à ce qu’elle ait achevé un cycle d’existences destinées à la purifier ;
- d’autres espèrent recouvrer après la mort l’état d’heureuse plénitude que leur venue au monde aurait brusquement brisé.
Enfin, il y a celles et ceux qui sont d’avis que tout se joue ici et qu’ils n’ont rien à craindre ni à espérer après leur mort…

* * *

A l’époque de Jésus, une partie des Juifs croyaient à la résurrection - mais une résurrection réservée à de rares élus, pour compenser les peines qu’ils avaient endurées par fidélité à la Loi divine. Pour ces martyrs de la foi, comment le Dieu Juste n’aurait-il pas prévu une récompense, ailleurs ?

D’autres n’y croyaient pas, comme les Saducéens qui regroupaient surtout les familles de prêtres liés au Temple de Jérusalem. L’unique autorité, selon eux, était la Loi, les cinq ‘livres de Moïse’. Or ils ne mentionnent aucune résurrection ; celle-ci n’était donc qu’une invention humaine.

Un jour, quelques-uns de ces Saducéens viennent poser à Jésus une question piège sur la résurrection. Ils prennent l’exemple d’une femme qui aurait été mariée à sept frères morts les uns après les autres sans avoir eu d’enfant. Or la Loi de Moïse préconisait que le frère d’un homme décédé sans avoir eu d’enfant épouse la veuve de celui-ci, afin de lui assurer une descendance et la permanence de son nom. Alors, demandent-ils à Jésus, s’il y a vraiment une résurrection, duquel de ses sept maris successifs cette femme serait-elle l’épouse pour l’éternité ? (cf. Deut. 25/5ss)
Les Saducéens commencent ainsi par décrire la situation invraisemblable d’une malheureuse qui aurait cumulé les deuils, et ils demandent ensuite à Jésus de dresser son portrait de famille après résurrection.

Jésus ne cherche pas à résoudre le casse-tête théologique et matrimonial que lui soumettent ses interlocuteurs : il conteste la manière même dont ils abordent la question et les appelle à changer d’horizon. Ce n’est pas en argumentant sur notre vie présente d’humains menacés, mutilés, parfois même tentés par la mort que l’on prouvera la résurrection ou son inexistence.
Penser la résurrection à partir de nos deuils et de nos désillusions conduit à une impasse et à l’absurde : autant demander quelle taille aurait, ressuscité, un enfant mort en bas âge, ou bien comment un sourd ressuscité entendrait les chœurs des anges du Royaume !
Pour les Saducéens, la femme aux sept maris décédés les uns après les autres n’était qu’une figure purement fictive, un mannequin sans vie, une hypothèse sans visage.
Leur manière de raisonner me rappelle celle d’un homme qui demandait un jour à Jésus de lui donner une définition du prochain que la Loi commande d’aimer. En réponse, Jésus lui avait raconté l’histoire on ne peut plus concrète, terre-à-terre, d’un malheureux voyageur que des brigands avaient agressé, le laissant à moitié mort sur la route. Un étranger inconnu venu de Samarie s’en était approché pour prendre soin de lui, après que d’autres - des religieux - étaient passés sans s’arrêter. Lequel d’entre eux s’était fait le prochain de l’homme qui gisait blessé ? (Cf. Luc 10/29ss) Pour Jésus, il n’y a pas de définition théorique du prochain mais des actes, des interventions toutes simples de solidarité et de bienveillance qui peuvent rapprocher les hommes dans ce monde marqué de violences et de destructions.

Il en va de la résurrection et des ressuscités comme du prochain : ce n’est pas une affaire de définitions abstraites ni de cas d’école à discuter, mais la trace d’une vie possible et d’une bonté à l’œuvre au quotidien de ce monde où nous côtoie la mort. C’est pourquoi Jésus se référait au ‘Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob’ : un Dieu pour qui Abraham, Isaac et Jacob ne sont pas des statues figées dans un lointain passé, mais des personnes dont il avait marqué la vie de sa puissance et qui pour lui - en lui - demeurent des vivants, des modèles de foi et de persévérance malgré leurs faiblesses humaines, leurs erreurs et leurs errements… Et Jésus ajoutait une précision surprenante encore au sujet de ces ressuscités, de ces vivants : ils sont, disait-il, ‘comme des anges dans les cieux’.
Mais attention : entendant le mot anges, n’allez pas vous imaginer de petits personnages ailés qui voltigeraient en musardant au milieu des nuages ! Dans l’Evangile, les anges évoquent des messagers, des témoins porteurs d’une Parole de vie et de bonté inspirant des relations nouvelles, à l’encontre du mal et de la malveillance.

Par sa réponse, Jésus ouvrait un horizon très différent de celui dans lequel les Saducéens cherchaient à le coincer avec leur invraisemblable affaire d’une femme sept fois veuve de sept frères morts sans descendant.
En un sens, la réponse de Jésus renvoie bien à cette femme, mais autrement, dans une tout autre perspective : avec ses mariages successifs, cette femme ne serait-elle pas l’exemple d’une volonté tenace de vivre et de donner la vie en dépit du malheur et des deuils cumulés ?

Alors que les Saducéens voulaient en faire un argument décisif contre la résurrection, l’histoire de cette femme se trouve ainsi retournée pour nous orienter à l’essentiel : une vie et une résurrection qui affrontent et surpassent la mort !
Ressusciter n’est pas une hypothèse à démontrer ni une illusion à dénoncer qui nous aiderait à mieux accepter nos deuils, nos défaites ou nos renoncements. Ressusciter est un acte de confiance en Dieu, le Dieu des Vivants, le Dieu qui nous voit et nous veut vivants, appelés à la vie, non pas seulement plus tard, après la mort, après que nous aurons achevé notre parcours sur terre avec ses contraintes et ses contrariétés, mais à présent déjà, chaque fois que nous faisons face à la mort et au malheur en affirmant une vie plus forte, plus féconde, à l’instar de cette femme qui s’efforçait de vivre encore, malgré tout, et de donner la vie, même sans y parvenir...

Il en va là d’un changement décisif sur le plan de notre foi et de la manière d’aborder notre existence : le passage du destin à la destination, deux mots voisins dans nos dictionnaires, mais que tout oppose ! L’enjeu, c’est de passer de la croyance en un destin tracé d’avance qui nous serait imposé d’ailleurs et qu’il faudrait apprendre à accepter, soumis, à la reconnaissance d’une destination, d’un sens donné à notre vie présente qui oriente nos jours et nous incite à tenir le cap reconnu et adopté, quels que puissent être les vents contraires et les tempêtes…

Laissons donc les Saducéens à leurs raisonnements alambiqués de deuils et d’impuissances pour prouver que la mort serait sans issue et notre vie sans avenir !
Avec Jésus - et avec la veuve persévérante - contestons plutôt à la mort la prétention d’avoir le dernier mot sur notre vie et sur nos relations !
N’essayons pas d’imaginer ce que serait une vie future à la lumière du présent et de ses souffrances, mais considérons notre vie présente et orientons-la à la lumière de Jésus mort et ressuscité, vivant, celui dont l’Evangile affirme qu’il est ‘la résurrection et la vie’ (cf. Jean 11/25), dans cet ordre-là, justement : la résurrection qui englobe et féconde la vie - cette vie, la vôtre et la mienne !
‘Papa, après la mort, il y a quoi ?’, demande l’enfant quand le vieux chat est mort, ou le moineau blessé recueilli en rentrant d’école. ‘Mon enfant, après la mort… et avant elle, il y a la vie !’

Proche par ses origines de la Palestine chère à Jésus, une femme de lettres de notre temps évoquait dans ses poèmes la ‘saison des hommes’ qui font face à la mort sans l’ignorer ni l’édulcorer, lucides, parce qu’ils croient à la vie, plus forte.

Nous ne pouvons bâtir, écrivait Andrée Chédid, Qu’adossés à la mort.
Nous ne pouvons bâtir, Qu’accordés à demain. (‘Contre-chant’)
Adossés à la mort comme à une muraille imposante et dure, compacte, qui se dresse derrière nous, derrière et non devant, parce que devant nous, du côté de demain, il y a Jésus ressuscité, vivant, qui ne cesse de tracer un chemin de résurrection et de vie auquel nous accorder…


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Confession de foi, en écho à la prédication


Qu’autrefois Jésus ait été relevé d’entre les morts,
je le crois.

Que demain, plus tard, nous soyons à notre tour relevés de la poussière des tombeaux,
je l’espère et je le crois.

Mais ce qui m’importe, c’est aujourd’hui :
c’est qu’aujourd’hui, dans la vallée des ossements où se dessèchent
des humains sans joie et sans espoir,
des humains piétinés et oubliés,
méprisés et avilis,
c’est qu’aujourd’hui soit à l’œuvre la même force qui autrefois a relevé Jésus d’entre les morts
et qui demain nous relèvera de la poussière,
c’est qu’aujourd’hui, dans ta vie et dans la mienne, cette même force soit à l’œuvre
pour vaincre la mort, - la mort qui tue l’amour, la foi et l’espérance -,
et nous remettre debout.
Et cela, je le crois et le vois :
le Vivant nous fait vivre de sa vie dès maintenant ;
dès à présent, avec Jésus crucifié et ressuscité, nous sommes passés de la mort dans la vie !



(d’après un auteur inconnu)

Chanter un Requiem lors d'un culte protestant, est-ce de la provocation? Certainement pas, car d'une part le pasteur Ion Karakash saura préciser la position de la théologie protestante vis-à-vis de la mort, de ses croyances, de ses rites. Et d'autre part parce que le Requiem de Florian Leopold Gassmann (1729-1774) est une page attachante ; relativement brève (elle ne comporte que le début du cycle liturgique), elle est représentative du style classique viennois qui sera ensuite illustré par Mozart, Haydn et beaucoup d'autres. Encore inconnue, cette page sera une révélation pour les paroissiens comme pour les auditeurs de ce culte. De la résurrection à la vie. Contrastant avec le ‘Requiem’ chanté par le chœur, l’Évangile appelle à vivre ici et maintenant à la lumière de Jésus, crucifié et ressuscité.Florian Leopold Gassmann est né à Brüx (Bohème, actuellement Most) le 3 mai 1729, et mort à Vienne le 20 janvier 1774. Il quitta tôt le foyer familial pour Karlsbad puis pour l’Italie, où il fut élève du Padre Martini à Bologne, puis à Venise au service du Comte Veneri. Il y composa chaque année, de 1757 à 1761, un opéra à l’occasion du carnaval. En 1763, il se fixe à Vienne où il succède à Gluck comme compositeur de ballets. Lors d’un déplacement en Italie en 1765-66, il a comme élève Antonio Salieri, qu’il ramène avec lui à Vienne. En 1764, il est composieur de la chambre, puis, en 1772 Hofkapellmeister. Il participa à la fondation de la Musikalische Sozietät der Witwen u. Waisen, devenue par la suite Tonkünstlersozietät, pour laquelle il organisa de nombreux concerts. Il réorganisa la chapelle de la Cour ainsi que les archives musicales impériales. On lui doit une vingtaine d’opéras, de la musique d’église (dont cinq messes), une cinquantaine de symphonies, de la musique de chambre. Son Requiem, ne comporte que quatre épisodes liturgiques, suivant une coutume de l’époque qui n’hésitait pas à compléter une page d’un auteur par des apports dus à la plume d’un collègue ou par du chant grégorien. Le premier de ces quatre épisodes pourrait bien avoir inspiré un certain Mozart...

Détails

Avec la participation de
Eléonore Maystre Goldschmid,
Orgue
Sona Igityan
Musique
Catherine Fuchs, Aline Chenaux, hautbois, Hyemin Kim, basson, Patrick Bielser, Matthieu Bielser, trompette, Abel Rohrbach, Adrian Branger, trombone, Tania Passendji, Julia Didier, violon, Semida Tecu, alto, Jean-Luc Magnenat, violoncelle, et le choeur paroissial sous la direction de Didier Godel