Bienne, ville de l’avenir!

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On nous l’avait promis dans les années soixante. La cité pouvait se parer de quelques-uns des plus beaux fleurons du monde horloger. Elle ne comptait pas loin de septante mille habitants et l’on s’attendait à un développement croissant. Même la paroisse réformée y croyait, elle qui ne cessait de construire en vue des développements futurs. Et nous avons dans cette paroisse deux grands bâtiments qui datent de ces années glorieuses. Plus encore: des terrains étaient déjà achetés en vue de bâtir de nouvelles églises dans l’est de la ville. L’avenir était alors radieux!

Plus de trente ans ont passé et voilà que l’expression "ville de l’avenir" apparaît sous le jour dérisoire d’une illusion perdue. Il y a eu une succession de crises horlogères, puis la situation actuelle caractérisée par d’âpres combats sociaux et tant de laissés pour compte. La population a fondu pour atteindre un peu plus de cinquante mille habitants. Le taux de chômage atteint plus de 7%. La ville est terriblement endettée. Ses employés doivent faire de grands sacrifices. Malgré les efforts entrepris, de nombreux bâtiments publics sont en piteux état et il faut parer au plus pressé. On s’efforce de croire à l’avenir, mais cet "avenir radieux" apparaît aussi dérisoire que celui annoncé dans le livre d’Alexandre Zinoviev du même titre.

Désillusion! Fatigue! Découragement! Désengagement surtout! J’ai en tête ces propos d’un paroissien au sujet du climat régnant dans son entreprise: les exigences de travail affolantes, le stress imposé, les réductions de primes, tout cela a conduit à un tel découragement que le laisser-faire s’installe. Et la conscience professionnelle qui a tellement fait la réputation de l’arc jurassien et de notre région en particulier s’évanouit.

Alors il faudrait qu’une promesse de vie crédible puisse retentir!

Une promesse de vie: bien entendu nous ne sommes pas les maîtres du jeu économique et politique. Et Dieu seul sait ce qui va encore advenir ici et ailleurs. Car ce n’est pas tellement mieux ailleurs, dans les villes et villages de la Suisse romande. Mais si nous nous laissons accabler, si nous nous laissons détruire par les licenciements, les réductions de salaire, les rythmes infernaux imposés à ceux qui ont encore un emploi; si nous nous laissons emporter par le vent du découragement ou par la torpeur de l’impuissance, c’est le sens même de notre vie qui va s’envoler.

Alors il faudrait qu’une promesse de vie, une promesse crédible puisse retentir!

Qui la prononcera?

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Nous avons entendu la lecture d’un texte d’Esaïe. Plusieurs prophètes différents s’expriment dans le livre d’Esaïe. On considère généralement que le texte de ce jour vient d’un prophète ayant vécu dans la deuxième moitié du 6e siècle auprès de ses compatriotes déportés à Babylone. On le nomme commodément le deuxième Esaïe. Il utilise un langage étonnant: "Holà, vous tous qui avez soif, je vous offre de l'eau, venez."

Imaginez-vous la scène! Nous sommes dans une ville orientale, sur la place publique! Le soleil brille! La chaleur est étouffante! Il y a foule! Les marchands crient! Il y a des odeurs d’animaux. Et au milieu de tout ce monde, dans la chaleur et dans la poussière, le vendeur d’eau: "Holà, vous tous qui avez soif, je vous offre de l'eau, venez."

Mais cette offre répercutée chez le prophète se charge de toute une symbolique! Autrefois, les parois des temples et des palais orientaux étaient couvertes de fresques dans lesquelles les divinités offraient l’eau en abondance. L’eau, la vie! L’eau, symbole de la vie en sa plénitude. Et nous le savons aussi, nous qui parlons parfois de notre soif de vie et des conditions où nous tirons la langue! L’eau qui apaise la soif de vie!

Je me représente la situation de ce peuple d’Israël déporté. C’est la déprime totale: déportation politique, cassure économique, désastre religieux. Le pays n’est plus là, celui que Dieu avait promis à Abraham. Le temple n’est plus là, lui qui assurait la présence du Seigneur au milieu de son peuple. Peuple sans pays, peuple exilé, peuple sans référence. Plus rien! Survivre uniquement!

Une offre retentit! Offre concrète qui prend pied dans les circonstances de la vie! Mais offre aussi qui saisit le fond des choses: quand on est exilé, quand on est esclave, quand on a faim, quand on a soif- dans l’amertume du moment - c’est aussi la vie qui s’échappe. Quel sens a donc la vie? "Holà, vous tous qui avez soif,
je vous offre de l'eau, venez...
Accordez-moi votre attention
et venez jusqu'à moi.
Ecoutez-moi, et vous revivrez."

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Quelle est la crédibilité de cette offre?

Même si vous n'avez pas d'argent,
venez vous procurer de quoi manger,
c'est gratuit; prenez du vin ou du lait,
c'est pour rien.
...............
Accordez-moi votre attention
et venez jusqu'à moi.
Ecoutez-moi, et vous revivrez.

"Tout est gratuit", dit le prophète. Et il ajoute: "Vous revivrez".

Et nous nous méfions aujourd’hui comme autrefois! Il y a dans nos commerces tant d’ "actions spéciales", il y a tant de "liquidations partielles ou totales", il y a tant de "prix cassés". Bien sûr, il y a les bonnes occases; mais il y a surtout les lois du marché. Il y a les arrière-pensées; il y a l’arnaque sur le client! La générosité gratuite, vous n’y pensez pas?

Offre d’une vie pleine, gratuitement! Un nouvel avenir radieux!

Que veut dire plénitude de vie? Quel est le sens de ce mot? Que peut-il signifier ici et maintenant dans une situation qui semble avoir son avenir derrière elle, "avenir radieux" vite entaché de toutes nos désillusions, de toutes nos déceptions?

Je constate que pour le prophète cette vie pleine résulte d’une écoute. Et je pense que cela mérite notre attention. N’êtes-vous pas à l’écoute vous aussi, vous les paroissiens de Mâche-Boujean, vous les auditeurs de la radio romande?

Une écoute! Le texte hébraïque a ici une construction verbale compliquée qu’il est possible peut-être de rendre en ces termes: "Ecoutez donc! Ecoutez-moi! "

Oui, il s’agit d’une parole qui veut redonner la confiance.

Mais comment une parole peut-elle redonner la confiance? Il y a tant de mots vides! Il y a tant de mots creux! Le discours politique nous en fait souvent la triste démonstration. Mais le langage de l’église n’est-il pas tout autant pitoyable?

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Voici un peuple, le peuple d’Israël d’autrefois, exilé, isolé, déporté dans un lointain pays. Voici le peuple d’Israël d’autrefois étrangement semblable à l’église chrétienne qui a perdu de son poids, de sa crédibilité. Elle est souvent perdue, découragée, réduite à des mesures discutables de survie. Voici ces hommes, ces femmes de la société d’aujourd’hui qui ne croient plus en eux-mêmes ni en rien, mais qui essaient de survivre tant bien que mal.

"Ecoutez!", dit le prophète. Et il s’efforce d’assurer la crédibilité de la parole divine qu’il annonce.
"Tournez-vous vers le Seigneur
maintenant qu'il se laisse trouver
Faites appel à lui,
maintenant qu'il est près de vous"
"En effet, dit le Seigneur,
ce que je pense n'a rien de commun
avec ce que vous pensez,
et vos façons d'agir
n'ont rien de commun avec les miennes.
9 Il y a autant de distance
entre mes méthodes et les vôtres,
entre mes pensées et les vôtres
qu'entre le ciel et la terre."

La crédibilité de la parole repose sur la distance entre les plans de Dieu et nos propres plans. Nous entendons ici que nous ne pouvons pas comprendre les projets d’un Dieu trop lointain. Mais là où nous aimerions dire que nous ne pouvons pas comprendre Dieu parce qu’il est lointain, le prophète vient nous dire que nous ne pouvons pas comprendre Dieu parce qu’il est proche! C’est la proximité de Dieu qui fait que ses projets n’ont rien à voir avec les nôtres!

Nous aimerions bien reléguer Dieu dans le ciel. Mais le ciel de Dieu n’a rien à voir avec notre ciel. Le ciel de Dieu est tout proche de nous. Et nous sommes incapables de reconnaître cette proximité.
"Il y a autant de distance
entre mes méthodes et les vôtres,
entre mes pensées et les vôtres qu’entre le ciel et la terre"
Il y a là une manière de dire que Dieu nous rencontre là où ne l’attendions pas!

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Je me plais à croire en un Dieu dont la distance réside justement dans son incroyable proximité!

Et cela se vérifie jusque dans la propre prophétie du deuxième Esaïe. Il a été le prophète d’une plénitude retrouvée et d’un avenir radieux. Il a annoncé le retour au pays pour les exilés et une vie nouvelle et magnifique. Certes il y a bien eu un retour au pays. Mais cela n’a pas été un pèlerinage majestueux. Il y a bien eu une nouvelle vie au pays, mais elle n’a rien eu de somptueux. Elle n’a rien eu de facile. Et Israël a continué d’être un pays occupé.

Mais peut-être pourrions-nous voir la prophétie se réaliser là où de nouveau les voies de Dieu n’ont pas été les nôtres et où ses projets n’ont pas été nos projets. C’est Jésus, l’homme de peu, lui-même incapable de trouver un lieu où faire reposer sa tête qui a lancé son appel: "Venez à moi vous tous qui êtes fatigués de porter un lourd fardeau et je vous donnerai le repos". C’est Jésus, l’homme assoiffé au bord d’un puits, qui a lui-même proposé à une femme de Samarie une eau qui étanche la soif de vie.

En ce premier dimanche de l’Avent, je me plais à penser que la plénitude l’espérance prophétique trouve son accomplissement dans le Christ. Dans la naissance modeste de cet homme, dans toute la trajectoire qui le conduit jusqu’à sa mort, se joue cette parole qui est celle de Dieu et qui ne correspond pas à nos pensées. Dans cette vie qui fut la sienne et qui ne fut ni belle ni éclatante, se joue aussi le sens de notre propre vie, se joue aussi notre espérance.

Avenir radieux? Sûrement pas s’il s’agit simplement de nos rêves de sécurité, de confort et d’amélioration permanente de nos conditions de vie. Mais courage donné à une vie qui ne se laisse pas écraser par les circonstances présentes: exil et perte d’identité pour les israélites d’autrefois; morosité et découragement pour tant de gens aujourd’hui au près et au loin. Courage donné à une vie qui se sait portée par une Parole venue d’ailleurs, mais incarnée dans l’humble destin de Jésus. Courage donné à une vie qui sait alors s’ouvrir à un avenir inconnu, mais où Dieu sera toujours présent.

Amen.

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Avec la participation de
Orgue
Nathalie Caccivio
Musique