Culte transmis de l'assemblée du Désert, Mialet (France)

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Sans qu’on y prenne garde, c’est comme si le temps s’était emballé.
Il y a bien longtemps, les changements se faisaient presque imperceptiblement, sur la longue durée. Le fils reprenait la ferme du père. Puis, à son tour, il la transmettait à son propre fils. L’originalité de chacun n’était guère de mise : on venait occuper une place qui semblait à peu près immuable. Bien sûr, chaque génération apportait quelque chose : on ajoutait une aile de bâtiment ici, on améliorait les techniques là ; à la faveur d’un mariage - mariage qui était d’ailleurs étroitement codifié et souvent presque prévisible - on agrandissait les terres. Le plus souvent, les changements sociaux étaient lents, il fallait plusieurs générations pour les percevoir.

Puis est venu le temps où il s’est agi de « réussir sa vie », comme on dit. Réussir sa vie, c’est-à-dire principalement : choisir soi-même son métier et mener sa carrière, choisir soi-même son conjoint et bâtir sa propre famille. Des choix à faire, idéalement, une seule fois dans l’existence. Ce modèle est apparu au XIXème siècle ; c’est celui dans lequel nous avons été élevés. Dans ce modèle, le changement coïncide avec le renouvellement des générations. A chacun, à chaque génération, de choisir son chemin et de le parcourir. On est passé de la vie-état, immuable, dans le modèle précédent, à la vie-trajectoire, projet à construire.

Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une autre perspective. Il faut se préparer à changer plusieurs fois de métier au cours de sa vie. Il est de plus en plus probable que le couple et la famille se recomposeront. Et si ce n’est pas le cas pour soi, on le constate au moins dans l’entourage. Et puis, on déménage beaucoup plus fréquemment, les appartenances politiques ou religieuses évoluent rapidement. Bref, les changements qui se faisaient autrefois sur plusieurs générations, puis qui se sont faits au rythme des générations, se font maintenant à l’intérieur de chaque génération.

C’est comme si le temps s’était emballé. Il a considérablement accéléré. Pas seulement à cause de la technique, comme dans les transports ou la communication. C’est nous-mêmes qui accélérons. Par exemple, nous parlons plus vite, on a pu le mesurer. Nous faisons de plus en plus de choses à la fois et non plus successivement, depuis travailler à domicile, jusqu’à téléphoner au volant ou passer l’aspirateur pendant que la machine à laver tourne ! Il est devenu rare de fixer un rendez-vous longtemps à l’avance, qui ne soit pas remis en cause ou qui ne doive être confirmé. Nous avons le sentiment d’avoir de moins en moins de temps pour les choses importantes.
Et savez-vous que, chaque jour, nous dormons en moyenne une demi-heure de moins qu’il y a 40 ans et deux heures de moins qu’il y a un siècle. Il ne faut pas s’étonner que nous soyons fatigués ! Cette fatigue, personnelle et surtout sociale, est tout sauf anecdotique. Elle est le signe d’un grand désarroi. Courir plus vite quand on connaît le but à atteindre, passe encore : l’effort a du sens. Mais aujourd’hui, vers quoi courons-nous ensemble ? Depuis l’effondrement des utopies politiques, à la fin du XXème siècle, nous avons le sentiment d’être sans horizon. Les difficultés économiques et sociales nous laissent penser que l’avenir de nos enfants sera moins bon que le nôtre. Les menaces qui pèsent sur le climat et la planète nous font même douter d’un futur habitable.

Nous avons le sentiment de courir toujours plus vite, individuellement et collectivement, sans savoir vers quoi et même en faisant du surplace. C’est comme s’il fallait déployer de plus en plus d’efforts, simplement pour ne pas être dépassé. Faire preuve d’une énergie considérable, pour gravir des pentes qui s’éboulent. Comme l’écureuil dans sa roue, c’est une sorte d’agitation figée, de course sur place, d’immobilité frénétique. Au désert, le peuple d’Israël a sans doute connu une expérience du même ordre. Certes, il courait moins vite que nous : il avançait au rythme lent des pas des familles et des troupeaux. Mais il a tourné en rond, pendant 40 ans. Plus il marchait, moins il en voyait le bout. Et pendant 40 ans, ce ne fut plus, comme aux premiers temps de la marche, une trajectoire tendue vers la terre promise. C’était devenu une sorte de piétinement nostalgique, toujours recommencé. Le temps fuyant était devenu sans but, comme une sorte de cercle infernal.

Peut-être est-ce la tentation majeure de toute période d’isolement, d’épreuve ou de persécution, de tout Désert avec un D majuscule, au fond : que le chemin de résistance et d’espoir se transforme en tourbillon de mélancolie, en spirale de désespoir. Et sans doute aujourd’hui, alors même que nous, dans notre région du monde, nous ne sommes pas dans un temps de persécution, sans doute vivons-nous, à cause de cette accélération insensée et sans but, une sorte de temps qui s’effondre sur lui-même. Où tout paraît vain. Où demeurent finalement tous nos « A quoi bon ? ».
Quand le temps ne va plus nulle part, c’est l’enfer.

***

Que s’est-il passé pour qu’Israël tourne en rond pendant 40 ans au désert ? Tout simplement, Israël a oublié qu’il allait bien quelque part. Où donc ? En terre promise ? Oui, bien sûr. Mais la terre promise, ce n’est qu’un pays si je puis dire, ce n’est qu’un objectif. Cet objectif représentait autre chose, il signifiait autre chose, de plus essentiel. Ce vers quoi le peuple marchait vraiment, ce n’était pas seulement une terre, c’était un rendez-vous. Le jour où le Seigneur s’était fait connaître à Moïse, il avait donné ce rendez-vous. Et ce avec quoi Israël avait vraiment rendez-vous, c’était Dieu lui-même. C’est ce que nous avons lu tout à l’heure :

« Qui suis-je », dit Moïse au buisson ardent, « qui suis-je pour aller auprès du pharaon et pour faire sortir d’Egypte les Israélites ? » ; « Je serai avec toi, répond Dieu, et voici quel sera pour toi le signe que c’est moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir d’Egypte le peuple, vous servirez Dieu sur cette montagne ». (Ex 3, 9-12)

Voilà le vrai sens de la marche d’Israël, sorti d’Egypte et en route vers la terre promise : rencontrer et servir Dieu. Le sens de sa marche, c’est le rendez-vous avec Dieu. C’est ce grand rendez-vous qui donne à Israël sa raison d’être. Car même après le désert, même installé en terre promise, le peuple d’Israël devra continuer à marcher vers Dieu.

Les prophètes le lui rappelleront à temps et à contretemps : Ils seront mon peuple, dit Dieu selon Jérémie, et je serai leur Dieu, s’ils reviennent à moi de tout leur cœur. (Jer 24,7) Les psaumes chanteront cette marche vers Dieu, notamment les psaumes des montées ou celui que nous venons de chanter. Les psaumes célèbreront la marche vers le rendez-vous que Dieu donne à son peuple. Ce rendez-vous avec Dieu, vers lequel le peuple est appelé à marcher, ce n’est pas seulement un rendez-vous lointain. Ce n’est pas seulement un grand rendez-vous ultime, au dernier jour, dernier jour du peuple ou dernier jour de chacun. C’est aussi un rendez-vous de chaque jour.
C’est pourquoi les livres bibliques, qui racontent la marche au désert, insistent tant sur les rendez-vous quotidiens que Dieu donne à son peuple. Chaque jour, Dieu donne rendez-vous à Moïse et Aaron à la tente de la rencontre. Chaque matin, Dieu donne rendez-vous à son peuple, en lui donnant la manne qu’il faut quotidiennement ramasser et ne pas stocker.

Israël est en quelque sorte le peuple du rendez-vous, le peuple du rendez-vous avec Dieu. Du grand rendezvous à l’échelle de l’histoire, comme de petits rendez-vous à l’échelle du quotidien. C’est cela qui le constitue. Avant, c’étaient des clans familiaux, les clans d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; c’étaient des tribus. Mais dès lors que Dieu lui donne rendez-vous, alors Israël est constitué en tant que peuple.
Oui, le peuple d’Israël a rendez-vous avec Dieu. Et lorsqu’il l’oublie, c’est son malheur. Alors le désert devient pour Israël non plus l’occasion d’un tête-à-tête avec son Dieu ; le désert devient un enfer de désespoir, où le temps épuise et s’épuise, dans une immobilité sans sens, dans des ténèbres sans horizon.

Or voici que le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière (Es 9, 1). Vous savez que le début de l’évangile de Matthieu reprend cette phrase du prophète Esaïe (Mt 4, 16). Le Nouveau Testament s’inscrit ainsi dans cette perspective d’un peuple qui a rendez-vous avec Dieu. Mais le Nouveau Testament renverse les choses sur deux points essentiels. D’abord, ce rendez-vous n’est plus seulement celui de Dieu avec un peuple. C’est celui de Dieu avec tous les peuples, avec tous les hommes et avec tout homme. Tous les peuples, toutes les nations, toutes les langues ont rendez-vous avec le Dieu vivant. Et chaque être humain aussi. Celui qui a rendez-vous avec Dieu, ce n’est plus seulement celui qui remplit les conditions requises : être de tel peuple, avoir telle généalogie, être rituellement pur… C’est tout être humain : chaque homme, et chaque femme, et même chaque enfant dit Jésus. Chaque être humain a rendez-vous avec Dieu, qu’il soit pur, et savant, et docteur de la loi, ou qu’il soit impur, obscur et mécréant. Et ce sont même les boiteux, les estropiés, les aveugles, les collecteurs d’impôt honnis et les prostituées méprisées, les petits enfants qui ne comptaient pour rien et les païens, qui ont la première place à ce grand rendez-vous avec Dieu.

Pourquoi donc ? C’est le deuxième renversement, essentiel, dont témoigne le Nouveau Testament. Ce n’est plus un peuple qui doit aller vers Dieu pour ce rendez-vous, ni même tous les peuples, ni même tous les humains.
C’est Dieu qui vient. C’est lui qui s’avance et qui vient au rendez-vous avec les humains. En Jésus de Nazareth le Christ, Dieu a renversé la logique du rendez-vous. Ce n’est plus un peuple qui doit traverser un interminable désert pour aller vers Dieu. Ce ne sont pas même tous les peuples et chaque être humain qui doivent traverser les déserts de l’histoire ou de l’existence pour marcher vers Dieu. C’est Dieu qui vient. Il vient en personne. A la rencontre des humains. A la rencontre de chacun.
Au commencement la parole existait déjà, écrit l’évangéliste Jean. La parole était avec Dieu et la parole était Dieu. (…) La parole est venue dans son peuple, mais les gens de son peuple ne l’ont pas reçue.
Pourtant, certains l’ont reçue et croient en elle. (…) La parole est devenue un homme, et il a habité parmi nous. (Jn 1)

En Jésus, le Christ, Dieu est venu pour les humains. Il s’est approché. Il est venu dans l’histoire, au ras du sol, à hauteur d’homme. Chaque jour, Jésus venait à la rencontre de celles et de ceux qui étaient sur son chemin. Il les écoutait, il leur parlait, il les touchait, il les appelait par leur nom. Et l’aujourd’hui de chacun de ceux qu’il rencontrait devenait l’aujourd’hui de Dieu.

Je vous disais en commençant : quand le temps ne va nulle part, c’est l’enfer. Quand le peuple d’Israël avait le sentiment de tourner sans fin dans le désert, de s’épuiser dans cette marche immobile, il vivait le désespoir. Et son désespoir venait de ce qu’il oubliait ceci : il avait rendez-vous avec Dieu. Or voici que Jésus-Christ est venu renverser cette perspective, révéler ceci en pleine lumière : Dieu ne donne plus rendez-vous à un peuple, non ; Dieu vient lui-même à la rencontre des hommes. Dieu a rendez-vous avec tous les humains et avec chacun.

***

Pourquoi est-ce que je vous parle de ces rendez-vous de Dieu ? Pourquoi parler, aujourd’hui et ici, de rendez-vous ? Parce que c’est ce que nous vivons. Ce matin, nous avions rendez-vous, et c’est pour cela que nous sommes venus. Ce matin, nous avions rendez-vous, et ce matin spécifiquement, nous nous rappelons que ce rendez-vous a lieu chaque année, à date fixe, depuis cent ans.

Rendez-vous avec qui ? Avec quoi ? Les uns avec les autres ? Bien sûr.

Rendez-vous avec le souvenir de pères dans la foi ? Sans doute. Et nous nous rappelons d’ailleurs qu’eux mêmes se donnaient rendez-vous, dans des assemblées clandestines, dont ils avaient besoin pour se rappeler et se redire que, dans leur Désert à eux, Dieu leur donnait rendez-vous.

Rendez-vous avec quoi encore ? Avec la Bible ? Oui. Pour y relire les récits des rendez-vous d’autrefois. Mais bien plus, en ouvrant les Ecritures, nous découvrons et nous redécouvrons ceci : aujourd’hui, Dieu a rendez-vous avec les hommes. Demain, Dieu a rendez-vous avec les hommes. Il a rendez-vous avec nous. Et il a rendez-vous avec toi.

Dieu a donné rendez-vous à son peuple, autrefois. Dieu s’est donné rendez-vous avec les humains, en Jésus-Christ. Et ces rendez-vous ne sont pas seulement venus jusqu’à nous comme de simples récits, transmis au fil des générations et lestés du témoignage de celles et ceux qui les transmettaient.
Aujourd’hui encore, le Seigneur vient. Il vient, comme le dit le livre de l’Apocalypse de Jean, les toutes dernières phrases de la Bible :

Celui qui atteste ces choses dit « Oui, je viens bientôt ». Amen, viens Seigneur Jésus!

Le Christ vient. Le Christ, qui est en quelque sorte le rendez-vous vivant, la rencontre personnifiée de Dieu avec les hommes, le Christ n’est pas resté enfermé dans son tombeau. Il est vivant. Il est vivant pour nous et il a rendez-vous avec nous. Il est vivant pour toi et il a rendez-vous avec toi.

Quand ? Je ne sais pas. Comment ? Je ne sais pas non plus. Mais depuis qu’il est venu, en chair et en os, sur les chemins de Palestine, à la rencontre de chaque être humain, il ne se lasse pas de nous rejoindre là où nous en sommes. C’est pourquoi, je te le dis : il a rendez-vous avec toi. Aujourd’hui ? Demain ? Un autre jour ? Ce sera une rencontre singulière.
Alors, guette-le. Ouvre tes oreilles et écoute. Ecoute les chuchotements de la tendresse, les cris du monde et le silence des bâillonnés. Ecoute et tends l’oreille vers le murmure de la Parole de Dieu.
Ouvre tes yeux et regarde. Regarde la beauté du monde, regarde l’homme défiguré sous les outrages, regarde le visage de ta voisine, de ton voisin : c’est le visage d’une sœur, d’un frère. Regarde les pas du Seigneur qui nous rejoint sur nos chemins. Ouvre ton intelligence et ton esprit. Lis les Ecritures et prie. Et puisque le Seigneur vient vers toi, demande-lui de se faire connaître.

Quand le temps tourne en rond, lentement ou comme un tourbillon. Quand se réveille au creux du ventre l’inquiétude du lendemain, un lendemain dont pourtant nous n’attendons plus grand-chose. Quand on exige de toi que tu fasses tes preuves à chaque instant, et que cela devient si lourd. Quand rien ne semble pouvoir briser les cercles du chômage, de la dépression, de tous les « à quoi bon ? » qui nous rongent… Rappelle-toi.

Le Seigneur vient, pour te libérer. Rappelle-toi la parole du psalmiste, qui s’écrie :
J’ai mis ma confiance en toi, Seigneur ! J’ai dit : tu es mon Dieu ! Et mes temps sont dans ta main. (Ps 31, 15-16)

Oui, nos temps sont dans sa main. Tes temps sont dans sa main. Car le Seigneur vivant vient vers toi. Il a rendez-vous avec toi.

Aujourd’hui, aujourd’hui où nous fêtons pour la centième fois ce rendez-vous au Désert, aujourd’hui où nous avons à nouveau ensemble ouvert les Ecritures, c’est cette parole toute simple que je veux te dire, c’est cette bonne nouvelle que je veux te donner : oui, ma sœur, mon frère, le Dieu vivant a rendez-vous avec toi.

Amen.

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