Célébration oecuménique du Jeûne fédéral, Saint-Gall

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Chers sœurs et frères rassemblés dans cette église ou qui nous suivez à la télévision, avez-vous quelquefois l’impression de vous trouver dans une gorge étroite? Vous avez trébuché sur des ronces. Vous êtes à terre, le corps couvert d’égratignures, en sang. Comme vous voudriez voir la lumière, sentir la chaleur, avoir une perspective! C’est une expérience que Gallus a faite, lui qui s’est trouvé prisonnier dans un tel lieu inhospitalier, un «non-lieu».

Et maintenant? Par quels moyens sortir? Comment retourner au large? Ce n’est pas toujours facile. Dois-je rester, est-ce que je veux rester? Gallus, lui, est resté. Il a cherché l’espace intérieur dans la gorge sauvage, et finalement il l’a trouvé. La prière l’a aidé.

Il a médité régulièrement sur les 150 psaumes, et notamment sur ce verset du psaume 31 dans lequel un homme en quête d’asile reconnaît devant Dieu: «Tu ne m’as pas livré aux mains d’un ennemi, tu m’as remis sur pied, tu m’as donné du large» (Psaume 31,9). Trouver un large espace dans une gorge étroite, dans une situation de vie oppressante, menaçante. Comment est-ce possible?

Gallus peut nous indiquer une piste pour trouver un tel chemin intérieur avec des conséquences extérieures: quand il rencontre l’ours, il ne s’enfuit pas. Il lui fait face. Il affronte ce qui surgit sauvagement et impétueusement autour de lui et en lui, ce qui l’ébranle tout entier, ce qui le terrasse et le rend malade.

Il dresse une croix au milieu des fourrés. Avec cette croix, il a constamment devant les yeux le chemin de Jésus, quels que soient le trouble qui est en lui et le tumulte autour de lui. Se trouvant lui-même au fond de l’abîme, Gallus comprend concrètement à ce moment comment Dieu lui-même, en Jésus-Christ, vient au-devant des hommes qui, précisément, traversent une période particulièrement difficile de leur vie.

Nous voyons qu’il y a une lutte chez Jésus. Il a dû surmonter des moments de désespoir. Nous apprenons comment il a retrouvé la confiance en Dieu, et Dieu lui a ouvert le chemin vers la vie nouvelle, au-delà de la croix.

Est-ce que je peux, moi aussi, comprendre quelque chose, alors que je suis confronté à ce qui me fait obstacle, à ce qui m’empêche de poursuivre ma route? Je regarde l’obstacle, je me demande ce que Dieu pourrait me dire par là. Ainsi, je me tiens devant ma croix et je m’efforce d’avoir confiance, de croire que Dieu reste aussi auprès de moi et qu’il peut me donner finalement la vie nouvelle. Mais une telle confiance, aussi ardemment que nous désirions l’éprouver, n’est pas toujours là et n’est pas disponible à volonté. L’un ou l’autre d’entre nous peut manifester de l’impatience. Attendre, tenir bon, prendre le temps, donner du temps à Dieu pour qu’il s’occupe de nous : cela ne correspond pas au rythme rapide qui est de règle aujourd’hui. La plupart d’entre nous sont habitués à s’attaquer rapidement aux choses et à les exécuter sans tarder.

Je pense que pour lutter contre cette tendance, il faut un certain entraînement. J’essaie de m’orienter toujours à nouveau sur cette perspective: il y a de l’espace, beaucoup d’espace. Dieu a mis mes pas dans ce large espace. Cet espace est ouvert sur beaucoup de côtés. Je peux l’explorer, un pas après l’autre. Peut-être en me déplaçant dans cet espace et en priant. Peut-être en laissant venir à moi, vers moi, les personnes qui sont bienveillantes à mon égard. Peut-être en me tenant aux côtés des autres, porté par la force de Dieu, et en marchant avec eux.

Ces différents aspects apparaissent aussi chez Gallus: il s’est toujours tourné vers Dieu dans la prière. Il a accepté l’aide des hommes lorsqu’il était malade. Plus tard, il est devenu pour les gens qui l’entouraient un partenaire de dialogue et un conseiller hautement apprécié.

Ainsi, Gallus, dans ce lieu inhospitalier, ce «non-lieu» au fond de la gorge, a commencé par trébucher. Puis il a trouvé là son lieu de destination. Il est resté et il a lutté pour son existence, pour le sens de sa vie. Dieu ne l’a pas «livré aux mains d’un ennemi», pour reprendre les termes du psalmiste résumant toutes sortes de menaces. Le lieu inhospitalier, le «non-lieu», est devenu pour Gallus un lieu accueillant. Dieu l’a aidé à découvrir là et à réaliser ce qu’il voulait le voir accomplir dans cette vie.

Le rayon d’action extérieur de Gallus, qui avait beaucoup voyagé précédemment, est devenu plus petit. Mais l’espace que Dieu a ouvert en lui s’est fait d’autant plus large. Dans le passé, il avait déployé un zèle missionnaire particulièrement intense pour essayer d’amener les gens à la foi, voire pour les y forcer. Il n’a pas eu une très grande réussite de cette manière. Et si ensuite il a acquis un rayonnement qui fascinait ceux qui l’approchaient, c’est précisément parce qu’il avait trouvé la paix avec Dieu et avec lui-même. Beaucoup venaient à lui avec joie et volontairement. Il était là pour eux, il les écoutait, leur donnait des réponses, priait et guérissait.
Celles et ceux qui venaient le voir retrouvaient le courage de se risquer à faire leurs propres pas positifs dans le vaste espace ouvert par Dieu.

Mener à leur terme nos combats intérieurs et extérieurs, comme l’a fait Gallus, me paraît indispensable parfois aussi pour nous, quand nous nous développons et que nous aspirons à nous libérer d’un joug qui nous opprime.

Oui, moi aussi j’aimerais savoir comment je peux marcher la tête haute. Certes, je suis exposé à l’ennemi tout autour de moi et aussi en moi, mais je ne suis pas livré à cet ennemi. Il ne m’anéantit pas. J’aimerais avoir la certitude que Dieu m’aidera à en sortir. J’aimerais entendre la promesse m’assurant que moi aussi il me remet sur pied et me donne du large. Gallus reste donc dans un lieu inhospitalier, un «non-lieu», et vit concrètement la manière dont celui-ci se transforme en son lieu de destination.

À partir de l’exemple de Gallus, nous pouvons aussi distinguer des développements prometteurs dans les domaines de la société, de la politique et de l’économie. Le monde semble devenu, à bien des égards, un «non-lieu». La crise de l’endettement, la famine et la guerre envahissent et étouffent, à l’instar des buissons de ronces sauvages, ce qui aimerait croître et vivre. Il y a aussi des épines dans les relations entre notre pays et d’autres.

Les accords fiscaux, la question de l’attitude de nos banques, le taux de change du franc, les dissensions à propos du bruit des avions – il n’est pas facile de distinguer comment et en quel sens vont évoluer les choses. Ce qu’on croit sûr se perd. En tant qu’État suisse et en tant qu’individus, nous étions naguère, de manière générale, appréciés et estimés. Aujourd’hui, nous nous sentons souvent mis en question, contestés. Et nous ne savons plus très clairement où est notre place en Europe et dans le monde.
Quand, derrière notre maison, je fais quelques pas en direction du sommet de la colline, je laisse aussitôt derrière moi, pour un moment, l’aspect étouffant et oppressant de ces questions. La vue est large sur les toits de la ville, la ceinture verte des collines, le lac de Constance et, au-delà, jusqu’en Allemagne. «Dieu m’a remis sur pied, il m’a donné du large» – l’image devient concrète. Je le comprends clairement: ce large espace dépasse les frontières dans les limites desquelles nous nous enfermons parfois.

Ce concept de «non-lieu» auquel je me suis référé tout au long de cette méditation nous renvoie à un mot d’origine grecque qui, précisément, signifie littéralement «non-lieu». Ce mot, c’est l’utopie. Les «non-lieux» nous obligent à regarder plus loin, à développer des utopies. Beaucoup pensent que les utopies sont des idées qui ne se réalisent jamais, des lieux qu’on n’atteint jamais.

J’aimerais, à partir de l’histoire de Gallus, donner à cela un éclairage positif: avoir des utopies signifie ne pas se voir contraint de fuir. Les utopies peuvent aider à transformer les «non-lieux» en lieux de vie agréables. Les visions se développent, l’espace dans lequel Dieu nous place s’élargit, il se fait praticable sous nos pas. Dans la notion d’utopie se cache donc aussi pour moi l’avenir. Je pense que le théologien Paul Tillich en est convaincu quand il écrit: «Être homme, cela veut dire avoir des utopies.» Cela signifie qu’il y a toujours un lieu imaginable où la vie peut continuer, autrement que jusqu’ici peut-être. Comme nous l’avons vu à propos du développement de la ville de Saint-Gall, il peut arriver qu’autour d’une gorge envahie par les ronces un site florissant se développe, qu’une vie variée et bonne s’épanouisse. Le territoire de la Suisse actuelle était à l’origine une forêt vierge impénétrable. Aujourd’hui, nous vivons dans un pays hautement développé.


La France et l’Allemagne ont été fréquemment impliquées dans des guerres durant de nombreux siècles. Depuis plus de 65 ans, une paix durable s’est instaurée entre elles. Parfois, les choses vont plus vite qu’on ne s’y attendait: qui aurait pensé, au début de 1989, qu’à la fin de l’année le mur qui divisait l’Europe tomberait?

Les «non-lieux» ont fait place à de bons lieux où fleurit la coexistence entre les êtres humains. Ce sont des utopies qui sont devenues un peu plus réalité.
Dieu promet qu’il ne livrera pas son monde aux mains de l’ennemi qui le menace, que les murs entre les hommes peuvent tomber, qu’il nous donne un large espace et nous ouvre l’avenir. C’est là que réside la force de l’espérance: la vie commune dans notre pays et au-delà peut continuer à se développer de manière positive, même si nous ne distinguons pas encore avec précision comment.

Voyons les choses comme elles sont, et centrons notre regard sur les possibilités qu’elles recèlent. Ouvrons-nous aux nouveaux espaces dans lesquels Dieu nous place. Osons les explorer, pas à pas. Et, comme Gallus, construisons quelque chose qui soit bon pour tous.

Amen.

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