Culte transmis en direct du temple d'Avenches (VD)

Nathalie Henchoz

Elle vivait tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
Elle « habitait avec son peuple », comme le dit exactement le texte ancien.
« Habiter avec », cohabitation : à lire ces mots, n’y a-t-il pas en nous comme une nostalgie qui se réveille ?
Elle vivait tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
Elle « habitait avec son peuple », comme le dit exactement le texte ancien.
Aujourd’hui, est-ce que j’ « habite avec mon peuple » ?
Toute la focale est sur le « avec » : je vis souvent à côté ; certains dimanches de votation, je vis contre ; je vis parfois loin, loin de lui… Mais est-ce que je vis avec ?
Et puis c’est qui mon peuple ?
Elle vivait tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
Dans le fond, à l’époque, on vivait en clan, en village… rien à voir avec notre monde d’aujourd’hui ! Oui, qui est-il, « mon peuple » ? Et n’est-ce pas parce que, dorénavant, la réponse à cette question n’est plus aussi simple, n’est plus aussi claire, n’est plus limpide, que l’inquiétude est partout ? L’inquiétude, justement…
C’est qui, mon peuple ?
Elle vivait tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
Preuve de cette tranquillité ? Elle est prête à ouvrir sa maison et à faire de la place, chez elle, pour le prophète de passage. Elle lui construit une chambre en dur, sur le toit plat de sa maison.
Mais a-t-elle bien fait, la femme de Shounem ?

Est-ce que vous connaissez la suite de l’histoire ? Afin de la remercier, le prophète demandera à Dieu pour elle le fils qu’elle n’avait pas encore… et ce fils naîtra mais il mourra. Drame ! Il mourra… mais reviendra à la vie quelques jours plus tard, selon le récit.
Un cadeau donc qui va lui faire perdre sa tranquillité. D’ailleurs, elle le savait… en tout cas elle ne voulait pas que l’on joue avec ce « manque » en elle, avec lequel elle avait su faire jusque-là, elle avait appris à vivre: ne vivait-elle pas tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
Oui, elle vivait tranquille avec son peuple et cela même sans enfant : elle avait trouvé un équilibre, son équilibre. Rien ne nous autorise à remettre en question cette sérénité affirmée…

Je suis sensible à cet équilibre trouvé, vécu : possible de vivre donc, avec ses manques et avec son peuple. Possible de vivre tranquille, « heureux », semble-t-il. Heureux, avec des manques et avec les autres. Et même de manière accueillante !
Certes, elle avait des moyens… mais elle n’avait pas tout. Et ce qui lui manquait, c’était, pour la culture de l’époque en particulier, une grosse chose, pas un détail ! Cela touchait au cœur de sa personne, à son identité de femme et au rôle de sa vie. À son sens.
Possible donc de vivre tranquille avec son peuple et ce manque…
« Besoin de rien, pas besoin de plus », répond-elle d’abord au prophète.
C’est si différent de ce que l’on nous fait croire, aujourd’hui. Et même de ce que l’on vit : notre quête de tranquillité ne se fait-elle pas souvent sur le dos des autres et de la création, pour essayer justement d’avoir plus et de combler ainsi nos manques ? Comme si, pour être bien, accompli, il fallait absolument « être et avoir tout », au détriment de ce qui nous entoure.
Elle vivait tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
En fait, c’est tout le contraire de cette « omnipotence » en 3D que le diable propose à Jésus dans le désert : on nous fait croire – et nous nous laissons bien vite convaincre ! - que tout serait parfait si tout était entre nos mains: ressources, pouvoir et même le sacré dont nous pourrions alors jouer ! Et que cela, il suffit de le vouloir ! Qu’il suffit de s’en saisir : « Si tu es fils de Dieu, … », dit Satan à Jésus. Sa foi – son baptême, pourrait-on même dire ! - va-t-elle ainsi le mener à croire à cette omnipotence qu’on lui fait miroiter ? Être fils de Dieu, est-ce cela ?
Il est rusé, le diable : en évoquant cette filiation, il insinue qu’en fait, il l’a, cette omnipotence ! Qu’il l’est, omnipotent… ou en tout cas qu’il peut agir comme tel ! Mais Jésus résiste. Et il résistera, jusqu’à la fin. Visiblement, pour lui, être fils de Dieu ne signifie pas cette mainmise sur les ressources, les autres et Dieu lui-même. Bien au contraire !
Oui, Jésus résiste à cette voix qui, dans le fond, ne cherche qu’une chose, diviser le monde…
Et nous ? Résistons-nous ?
Maintenant, on le comprend : l’enjeu, c’est la communion du peuple dont nous sommes, peuple large et nombreux s’il en est, tant tout, aujourd’hui, nous relie au monde entier. L’Église, déjà, en a ses dimensions !
Résistons-nous ? L’enjeu, je le répète, c’est l’union ou la communion du peuple, aussi étendu soit-il ! C’est le « vivre avec » de la femme de Schounem…
Oui, résistons-nous à la mainmise sur les ressources qui conduit forcément à la division entre ceux qui mangent et ceux qui s’échinent à produire. Toutes les parties sont perdantes puisqu’alors naissent les tensions entre les humains, les exils économiques et les exactions monstrueuses de la terre. On en vient même à prendre les armes ou à renvoyer à la mer ceux qui crèvent de faim et de soif…
Et pendant ce temps, que croyez-vous ? Eh bien ! le diable, il rit !
Et dans notre démocratie directe, résistons-nous à cette sorte d’omnipotence ou d’omniscience que l’on attribue au peuple que l’on nous dit apte à juger de « tout, tout seul » ? Si, d’une part, c’est le chemin le plus direct vers l’exclusion programmée des minorités, d’autre part, ne percevons-nous pas la manipulation de tels propos ? Le pire, c’est que l’on a déjà vécu tout ça. Que l’on nous a déjà fait croire cela! Le diable réussit donc son coup, comme il l’a déjà réussi bien des fois dans l’histoire des Hommes, ces Adam et ces Eve toujours si prompts à se croire capables de faire la différence entre le bien et le mal. Mais à cette place-là, sans garde-fou, la seule chose qu’ils sachent faire, c’est défendre leurs propres intérêts… leurs intérêts contre ceux des autres, s’entend !
Et finalement résistons-nous à cette mainmise sur Dieu et ses mystères lorsque dans les faits nous l’embarquons dans nos folies humaines ? Si l’histoire est tachée du sang d’hommes et de femmes disqualifiés péremptoirement au nom de Dieu, la tentation est d’autant plus grande, aujourd’hui où les équilibres changent : comment rester dans le dialogue alors que la peur est là et que l’anathème brûle nos lèvres ? Croire que l’on peut, sans autre, embarquer Dieu dans nos débats, c’est entrer dans une guerre fratricide… tout ce que désire le diable, remarquons-le.
Alors, en contrepoint à cette filiation biaisée, mal comprise ou, plutôt, interprétée de manière fallacieuse pour diviser le monde, celle vécue jusqu’au bout par Jésus, balisant ainsi un autre modèle d’Homme :
« Père, si tu le veux, écarte de moi cette coupe… pourtant : que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui se réalise » lance-t-il à Dieu à Gethsémané, acceptant qu’il y a peut-être plus important que sa propre vie et sa réalisation.
« C’est toi qui le dis », répond-il à Pilate, refusant de prendre à son compte les prétentions politiques qu’on lui attribue.
Et au final, si loin de la provocation, dans un grand cri de confiance : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ».
Là, plus personne ne rit, même pas le diable qui a définitivement perdu la bataille…

Elle vivait tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
Elle « habitait avec son peuple », comme le dit exactement le texte ancien.
Je le disais : ces mots réveillent en nous une sorte de nostalgie… À moins qu’il ne s’agisse en fait d’une aspiration. D’une aspiration à un autre monde, à une autre société. Aspiration à une vie plus sereine avec notre peuple.
Et si, en partie, cela dépendait de nous ?
Voyez la partie gauche de la tenture : nous avons bien souvent l’impression que le monde va à vau-l’eau. Une nature à la fois agressée et déchaînée ; une humanité folle, violente, divisée, allant jusqu’à mettre ses enfants en danger. Quel avenir pour notre monde ?
À droite par contre, assis autour de la table de ce même monde, des hommes et des femmes de partout qui partagent et regardent du côté de Celui qui dit être l’Alpha et l’Omega. Une nature foisonnante. Même une usine ! Mais quelque chose d’apaisé.
Cependant, l’évocation de cet artiste nigérian n’est-elle que l’expression d’un rêve pieux, lui, comme nous, aspirant à autre chose ?
Droite, gauche, gauche droite : entre ces deux mondes, je note pourtant que la séparation est fine : et si, en fait, il ne fallait pas grand-chose pour que, dans un sens ou dans l’autre, le monde bascule. Une attitude peut-être. Un positionnement, « une posture » comme l’on dit aujourd’hui…
Elle vivait tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
L’imposture du Diable, c’est d’utiliser nos faims pour nous inviter à tout revendiquer et à chercher alors à prendre le dessus, cela dans les 3 dimensions de notre vie. On est loin de la femme de Shounem et de sa tranquille cohabitation avec son peuple. C’est bien plutôt une déclaration de guerre…
La posture constante du Christ fut, elle, de nous montrer que plutôt que de nous faire l’égal de Dieu, cette filiation divine qui nous est offerte peut nous libérer de… nous-mêmes et de toutes les peurs de manquer liées, qui nous gâchent la vie et nous rendent si sensibles au chant des sirènes du monde.
Dès lors, bel et bien : « Moins pour nous, assez pour tous », comme le claironne la Campagne de Pain pour le Prochain, devient plausible. C’est une vraie alternative. Une vraie possibilité!
En tout cas le Christ a mis, dans la bataille, tout ce qu’il était pour nous montrer que l’on avait le choix. Que l’on avait un vrai choix ! Droite ? Gauche ?

Elle vivait tranquille, avec les siens, la femme de Shounem !
Elle « habitait avec son peuple », comme le dit exactement le texte ancien.

Amen.

Prédications dans le même lieu

Aucun résultat.

Prédications de la même personne

Aucun résultat.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique

En collaboration avec