Veillée de Noël depuis le Temple d'Aarau

Jeff Weese

Textes : Luc 1, 39-42 & 46-49 ; Luc 2, 1-7 & 8-16

Première partie

Lors de la préparation de ce culte nous sommes vite tombés d‘accord qu‘il fallait parler de Marie. Comme mère, c‘est elle qui a le plus contribué à la naissance de Jésus. On m‘a proposé d‘écrire un sermon ou une histoire sur Marie.

Comme par hasard, mon épouse et moi avons passé nos dernières vacances à Sils, Sils Maria, pas précisément pour préparer cette histoire, mais parce que nous aimons l‘automne en Engadine, là où de nombreux hommes célèbres m‘ont inspiré, entre autres Friedrich Nietzsche ou mon collègue et auteur de polars Ulrich Knellwolf. Bien que moins inspiré qu‘eux, j‘ai adapté pour ce soir cette petite histoire qu‘on m‘avait raconté à propos de Marie. Indirectement, c‘est bien Marie qui joue le rôle central dans cette histoire.

Certes, les choses ne se sont probablement pas déroulées exactement telles que je vais vous les raconter, mais l‘histoire n‘est pas dépourvue de sens.

Alors voilà. C‘est l‘histoire d‘un homme qui cherche à se fuir et qui finit par se retrouver. Marie perd cet homme et le retrouve. Puisque c‘est Noël, appelons cet homme Joe.

Ah comme ils s‘étaient disputés, Joe et Marie! Ils étaient au bord de la séparation. Et patatras, Marie tomba enceinte. Pour sûr, ils avaient longtemps désiré un enfant, mais ça n‘avait jamais marché. Alors Joe se demandait si Marie était vraiment enceinte de lui. Il y avait peu de chance qu‘il en soit ainsi, mais d‘un autre côté Joe ne croyait pas Marie capable d‘avoir eu une affaire avec un autre homme.

Alors après une randonnée en raquettes, voilà notre Joe assis l‘après-midi du 24 décembre dans la pénombre de la petite église de Fex au-dessus de Sils en Engadine, pour trouver un peu de calme. A gauche, une vieille tapisserie de la Nativité. Marie est au centre avec l‘enfant. A droite, derrière une murette, une main soutenant sa tête, Joseph contemple la scène de loin, l‘air de dire: « Hey, je sais comment tu te sens ! » Joe ne lui prête guère attention. Il tourne la tête vers le choeur de l‘église, éclairé par une fenêtre. Il reconnaît les fresques médiévales qui le décorent.

Au milieu, une mandorle avec Dieu lui-même et Jésus crucifié sur ses genoux. A droite, l‘entrée une maison ou d‘une église, au-dessus de laquelle est inscrit « Marie ». Marie est assise au dessus de cette maison. Deux anges tiennent une couronne au-dessus de la tête de Marie qui tient un Jésus déjà grand sur ses genoux. Agacé, Joe détourne les yeux en quête d‘autres motifs. Il soupire profondément puis se met à feuilleter un guide trouvé à l‘entrée qui donnait quelques explications sur les différentes représentations dans l‘église.

Pendant ce temps, il avait à peine remarqué une vieille femme venue s‘assoir sur le banc à ses côtés: « Annonciation à Marie » dit la vieille alors qu‘il déchiffrait les explications du guide. Avec un petit sursaut, Joe se tourne vers la femme et la remercie en ajoutant: « Je ne vous avais pas remarqué! ». Et la vieille de continuer: « Et là à gauche, Marie et l’enfant, avec Margaretha, Barbara et Katharina. »

Mais quel diable a bien pu attirer Joe dans cette chapelle? Tout ce qu’il voulait c’était d’être seul. C’est le calme qu’il cherchait. Joe voulait seulement échapper au bastringue de Noël, et surtout à sa Marie qui devait bientôt accoucher de son gamin, à elle. Joe ne voulait plus rien à voir avec tout ça. Il voulait régler cette affaire propre en ordre, y compris ses obligations financières pour autant que ce soit son fils à lui.

Mais le voilà tombé dans cette chapelle devant des représentations de « l’Annonce à Marie », « Marie reine du ciel », « Marie avec l’enfant » et « Marie avec trois collègues ». Marie, Marie, partout et encore Marie.
Dégoûté, Joe ne voulait surtout pas entamer une discussion avec cette femme, mais elle le regardait gentiment en ajoutant: « Sublimes ces fresques, non? »

[Interlude musical]

Deuxième partie

La brave dame connaissait bien les histoires dépeintes dans cette chapelle et elle se fit un plaisir de les détailler à un Joe qui ne pouvait plus s‘enfuir. Elle l‘invita à s‘approcher pour mieux voir, puis à prendre de la distance pour saisir l‘ensemble.

Bien contre son gré, Joe apprit que cette église fut d‘abord dédiée à Sainte Margarethe. Puis la vieille montra que malgré tout, Marie tient une grande place dans les fresques. Et Joe grogna dans sa barbe « oui, oui, Marie et encore Marie... » tout en remarquant le regard bienveillant de Joseph sur la vieille tapisserie.

« Que se passe-t-il ? » demanda la dame, « vous avez l’air tellement absent! Est-ce que je vous embête ? »
« Oh non, pas du tout! » répondit Joe, peu convaincant.
Alors, au lieu de le laisser tranquille, la femme l’attrapa par le bras et s’écria « Quelque chose ne tourne pas rond ! »
« Si, tout va bien, excusez-moi, je dois partir rejoindre mon hôtel avant la nuit. »
Mais elle ne le lacha plus et demanda: « Votre femme ne s’appellerait-elle pas Marie par hasard? »
« Euh, non... enfin... si… et puis alors? » balbutia Joe.
« Eh bien, j’ai trouvé ce matin même une alliance au départ de la piste de raquettes. »

Comme s’il avait reçu la foudre, Joe regarda sa main gauche. Effectivement, l’alliance qu’il portait encore malgré tout, n’était plus là. Elle avait dû tomber ce matin au moment d’enfiler ses gants. Décontenancé, il fixait la femme et reçut la bague en tremblant comme une feuille. Joe ne savait plus que répondre, tentant quelques remerciements de circonstance. Mais la dame lui saisit la main, la referma sur la bague en déclarant: « Cela vous portera bonheur. » Et elle ajouta: « Votre femme a besoin de vous! »

Alors qu’elle partait, Joe vit en arrière-fond la reine du ciel avec la couronne et l’enfant sur ses genoux. Couvert de sueur froide, Joe sentait la bague brûlante dans sa main. La gorge serrée, il eut juste le temps de demander à la femme son nom. Elle s’écria « Gabriela! » juste avant que ne claque la serrure.

[Interlude musical]

Troisième partie

Alors Joe sortit de la chapelle pour rappeler Gabriela qui avait disparut dans la blancheur éblouissante de la neige. Les passagers d‘un traîneau qui passait par là virent un Joe complètement abasourdi par ce qu‘il venait de vivre. Serrant l‘alliance dans sa main au point de sentir les pulsations de son coeur, Joe se ressaisit lentement et retourna dans la chapelle récupérer ses gants et son bonnet. Il s‘assit de nouveau et fit face une fois encore aux fresques séculaires, doucement éclairées par l‘extérieur enneigé.

Une grosse Bible était ouverte sur le baptistère. Joe se sentait étrangement vide. En même temps, le calme qu‘il était venu chercher commença à le gagner. Enfin la chapelle lui offrait ce calme désiré. Il sentit ses pieds gelés et fatigués par le parcours en raquettes, se réchauffer peu à peu. Malgré la faim, Joe sentait une émotion qu‘il n‘avait plus ressentie depuis longtemps.

Il regarda l‘alliance dans sa main. « Marie » était gravé à l’intérieur. Joe se leva et s’approcha de la Bible ouverte, pour lire le passage qui s’offrait à ses yeux: « Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, à une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David; cette jeune fille s'appelait Marie. L'ange entra auprès d'elle et lui dit: ‘Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi.’ À ces mots, elle fut très troublée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. L'ange lui dit: ‘Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père; il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n'aura pas de fin.’ »

Joe sentait encore l‘alliance dans sa main qui dégageait une chaleur dans tout son corps. Il remit la bague à son annulaire gauche, ramassa ses affaires, replaça le guide à sa place et sortit. L‘air hivernal lui fouetta le visage. Dans le crépuscule de la nuit de Noël, Joe inspira profondément quand soudain son Natel se mit à sonner: sur l‘écran, un message de Marie s‘alluma: « C’est un fils! »

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